SEPTEMBRE – OCTOBRE 2020
Bulletin rédigé par Maître Frédéric BAUSSET
Éditorial
LA QUESTION DE LA FORCE JURIDIQUE DES QUESTIONS-RÉPONSES DU MINISTÈRE DU TRAVAIL
« … les circulaires de commentaire ou d’interprétation de la norme sont des outils du passé inadaptés aux nécessités de notre époque marquées par la transparence et l’accès immédiat et partagé à la formation et qui doivent faire face à « la mise à disposition d’une documentation, régulièrement tenue à jour, sur les sites Internet des ministères ».
C’est en ces termes qu’une circulaire du premier ministre en date du 5 juin 2019 (JO 6) légitimait le recours aux questions-réponses.
Si cette pratique n’est pas récente en droit du travail et de la sécurité sociale, elle a pris ces dernières années une ampleur qui s’est intensifiée avec la crise sanitaire que nous vivons actuellement.
Ainsi, il n’est pas une entreprise qui n’a pas entendu parler du questions-réponses du Ministère du Travail sur l’activité partielle.
Mais, il en existe bien d’autres dont les derniers en date portent sur l’épargne salariale, les accords de performance collective ou encore les procédures de licenciement.
Régulièrement actualisées et mis à jour, ces questions réponses sont construites comme un outil pratique et pédagogique expliquant la norme dans un domaine en particulier. Animée par une logique du type « mode d’emploi » – comme les circulaires et les instructions ministérielles d’hier –ces questions réponses se veulent être une réponse adaptée à notre temps d’inexorable inflation – pour ne pas dire emballement – de normes législatives et réglementaires.
Nous sommes très loin des déclarations de bonne volonté en matière de simplification réglementaire.
La réalité est tout autre. La norme est multiple, complexe, changeante.
Les acteurs économiques s’y perdent.
Pour les aider et surtout pour s’assurer d’une application efficiente de ses normes, le gouvernement a recours à ces outils afin de favoriser une bonne compréhension des règles et ainsi garantir une meilleure mise en oeuvre.
Si l’on peut comprendre dans les temps qui courent leur utilité voire même leur nécessité, ils sont aussi l’indicateur d’une société qui s’étouffe de ce recours systématique à la règle édictée par l’État.
Phénomène révélateur de notre société judiciarisée, il convient de s’interroger sur la portée juridique de ces questions-réponses.
VIS-À-VIS DE L’ADMINISTRATION QUI A ÉDICTÉ SES QUESTIONS RÉPONSES :
La jurisprudence considère qu’à condition de clarté et de publicité, ces documents peuvent être rattachés à la doctrine administrative et en cette qualité sont parfaitement opposables à l’administration (CE 14 mai 2014 n° 358498).
Ce principe est entériné par le Code des relations entre le public et l’administration puisque l’article L 312–3 dispose que « Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l’Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret.
Toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée.». L’article L 312–2 précise que les documents concernés sont notamment : « (…) les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives ».
Dans ces conditions, il est parfaitement possible de se prévaloir du contenu de ces questions-réponses vis-à-vis des DIRECCTE et des agents de contrôle de l’inspection du travail en cas de contestation d’une de leurs décisions.
De même, il sera possible à notre sens de solliciter une indemnisation pour un préjudice subi du fait d’une application erronée d’une règle en raison d’une mauvaise interprétation mentionnée dans ledit texte.
VIS-À-VIS DU JUGE JUDICIAIRE :
Fidèle à sa jurisprudence notamment en matière de cotisations et de contributions sociales, ces textes, s’ils ont une certaine opposabilité vis à vis de l’URSSAF, ne s’imposent pas aux juges judiciaires (notamment Cass.Civ. 2ème ch. 30 mars 2017 n°15-25.453).
QU’EN EST-IL DANS LES RELATIONS ENTRE EMPLOYEURS ET SALARIÉS OU AVEC LES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL ?
En principe, il n’existe aucune opposabilité si la règle invoquée n’est pas rattachée à une règle juridique légale ou réglementaire, voire jurisprudentielle.
Pourtant, un examen attentif de certaines décisions de justice rendues à l’occasion de la crise sanitaire montre que certains tribunaux ont motivé leurs décisions sur la base des précisions du Ministère du Travail leur donnant ainsi une véritable force juridique.
Ainsi, la Cour d’appel de Versailles ou encore le Tribunal Judiciaire de Lille ont-ils considéré qu’au regard des recommandations du Ministère sur son site, il y avait lieu d’imposer la consultation du CSE lors de la mise à jour du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et ce alors qu’aucun texte dans le Code du travail ne prévoit une telle obligation (CA Versailles 24 avril 2020 n°20/01993 et Trib. Judi. Lille 24 avril 2020 n°20/00395).
Si a priori l’opposabilité directe n’existe pas, elle peut donc naître indirectement par intégration à une décision de justice.
En outre, le Ministère du Travail a montré qu’il était parfois tenté d’outrepasser le simple rôle explicatif des questions réponses pour y intégrer des précisions qui vont bien au-delà des textes sur lesquels le « questions-réponses » porte. Le « questions-réponses » en matière d’activité partielle a parfois révélé cette tentation d’interprétation normative qui peut s’expliquer par la soudaineté, l’ampleur et la gravité de la crise sanitaire.
Dans tous les cas, il conviendra d’examiner avec attention l’évolution de la jurisprudence sur ses questions-réponses et leur opposabilité.
Actualité
RECONNAISSANCE DE LA COVID-19 COMME MALADIE PROFESSIONNELLE (DÉCRET N°2020-1131 DU 14 SEPTEMBRE 2020)
Avec le décret 2020–1131 du 14 septembre 2020, le gouvernement permet sous certaines conditions la reconnaissance de la COVID-19 en tant que maladie professionnelle.
Le texte envisage deux types de reconnaissance selon les modalités classiques, l’une via l’inscription de la maladie dans un tableau annexé au Code la sécurité sociale (article R 461-3) et l’autre via un avis émis suite à expertise individuelle par un comité de reconnaissance de maladie professionnelle.
Rappelons que les enjeux sont importants pour l’entreprise puisqu’en cas de reconnaissance de maladie professionnelle, outre la possibilité pour les salariés de bénéficier d’un remboursement des frais de soins et la perception d’indemnités journalières plus favorables, cette reconnaissance permet le cas échéant l’indemnisation d’une incapacité permanente, le versement d’une rente aux ayants droits en cas de décès, et surtout la possibilité pour le salarié d’engager une action en reconnaissance de faute inexcusable contre son employeur ouvrant ainsi le moyen d’obtenir réparation de nombreux préjudices subis du fait de la contamination au COVID-19.
La question n’est donc pas neutre pour l’entreprise et mérite qu’on s’y attarde.
INSCRIPTION DANS UN TABLEAU :
L’examen du tableau permet de constater que les conditions qui y sont mentionnées peuvent être qualifiées de restrictives.
En effet, seuls les assurés travaillant dans le secteur de la santé entendu toutefois au sens large (personnels de soins et assimilés, de laboratoire, de service, d’entretien, administratif ou de services sociaux) pourront être pris en charge à la stricte condition que la contamination ait entraîné une affection respiratoire grave avec recours à l’oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance respiratoire.
La maladie professionnelle est donc conditionnée par un critère de gravité.
Par ailleurs, les activités concernées ainsi que les attestations ou examens requis sont précisément listées dans le tableau.
L’examen de ces activités montre que seuls les travaux en présentiel sont pris en considération.
Enfin, le délai de prise en charge, c’est-à-dire la période au cours de laquelle la maladie doit se révéler et être médicalement constatée, a été fixé à une durée de 14 jours, ce qui constitue en soi un délai relativement court.
Il apparaît très clairement que la rigueur des conditions mentionnées dans le tableau laisse à penser que les possibilités de reconnaissance ne seront pas très importantes.
RECONNAISSANCE SUR EXPERTISE INDIVIDUELLE :
Pour les assurés non visés ou qui ne remplissent pas les conditions prévues par ce tableau, la COVID-19 pourra tout de même être prise en charge à titre professionnel sur avis d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles.
Une expertise individuelle interviendra dans ce cadre et elle devra démontrer un lien de causalité entre la COVID-19 et l’activité professionnelle exercée.
Etant donné les caractéristiques de contamination du COVID-19, le lien de causalité risque d’être difficile à établir.
Le décret du 14 septembre 2020 prévoit par ailleurs la possibilité de confier l’instruction des demandes à un comité unique, à compétence nationale et composition allégée et ce afin de permettre un traitement plus rapide des dossiers de reconnaissance.
Jurisprudence
19 ET JURISPRUDENCE : L’ESSENTIEL A RETENIR
Voici un panorama qui, en synthèse, présente ce qu’il convient de retenir de la jurisprudence rendue au cours du deuxième trimestre de cette année en lien avec la situation de crise sanitaire.
Les principes ainsi posés, même si certains font l’objet de décisions contradictoires, restent applicables dans la période que nous continuons à traverser.
1 /
L’évaluation des risques spécifiques au contexte du COVID-19 et tout protocole sanitaire établi par l’entreprise doivent être intégrés dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) en le mettant à jour.
Trib. Judi. Paris 9 avril 2020 n° 20/52223
Le DUERP doit contenir le cas échéant une évaluation par site et par métier.
Trib. Judi. Lyon 11 mai 2020 n° 20/00593
2/
L’évaluation des risques spécifiques au contexte du COVID-19 et donc le DUERP doivent intégrer :
– l’évaluation des risques psychosociaux
Cour d’appel de Versailles 24 avril 2020 n°20/01993
Trib. Judi. Le Havre 24 avril 2020 n°20/00395
– la réglementation relative à la prévention des risques biologiques
Trib. Judi. Lille 3 avril 2020 n° 20/00380, 14 avril 2020 n° 20/00386, 24 avril 2020 n° 20/00395
Trib. Judi. Lyon 11 mai 2020 n° 20/00593
A contrario, certains Tribunaux Judiciaires ont exclu le respect de cette règlementation.
Trib. Judi. Aix-en-Provence 30 avril 2020 n°20/00365
Trib. Judi. Le Havre 7 mai 2020 n° 20/00143
3/
Les salariés mais également les personnes intérimaires et les prestataires provenant des entreprises extérieures doivent bénéficier d’une formation individuelle appropriée, traçable et tracée.
Cour d’appel de Versailles 24 avril 2020 n°20/01993
Trib. Judi. Lyon 11 mai 2020 n° 20/00593
4/
Le ou les CSE (central et d’établissement) doit être consulté lors de la modification du DUERP et préalablement à sa mise en oeuvre
Cour d’appel de Versailles 24 avril 2020 n°20/01993
Trib. Judi. Lille 24 avril 2020
A contrario, le Tribunal Judiciaire de Lyon a, quant à lui, considéré que, faute de texte, il n’y avait pas lieu de procéder à cette consultation avant la mise à jour du DUERP.
Trib. Judi. Lyon 22 juin 2020 n° 20/00701
Dans tous les cas, il est obligatoire d’associer le CSE aux démarches de prévention.
5/
En cas de reprise d’activité, le CSE doit être consulté à chaque étape du plan de reprise.
Trib. Judi. Nanterre 15 juillet 2020 n° 20/01157
Bulletin rédigé par Me Frédéric BAUSSET,
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