Bulletins JSA

MARS – AVRIL 2020

Bulletin rédigé par Maître Nathalie LENFANT, Cabinet RAVEL AVOCATS

Editorial

LE JOUR D’APRÈS….

Assurément cette période de crise sanitaire et de confinement nous aura, à tous, beaucoup appris :

– Aux gouvernants d’abord, qui, pleinement conscients de l’importance du principe de précaution, ont pourtant été incapables de lui donner une réalité. Le principe de précaution doit être appréhendé au regard de l’aléa infectieux et non au regard de la certitude de la réalisation de l’aléa, sauf à le vider de sens. Que l’on songe à la gestion du H1N1 : nous avions les masques et les vaccins mais, faute de réalisation du risque, le principe même de précaution a été décrié ! Cette prise de conscience devra conduire à donner corps à une approche préventive de l’aléa infectieux nécessitant de revoir nos politiques sanitaires, notre gestion hospitalière et de développer l’agilité de l’Etat via les acteurs locaux, au plus près du terrain.

– Aux entreprises ensuite, qui :

> d’une part, auront mesuré l’intérêt du télétravail et des applications digitales comme autant d’outils vitaux de la survie de leurs activités. Les accords d’entreprise ou les chartes de télétravail à venir s’en trouveront enrichis des expériences de confinement ;

> d’autre part, si elles ont perdu certains de leurs clients, parfois même leurs fournisseurs, elles se sont recentrées sur leurs valeurs. La solidarité de celles ayant remis en marche leurs machines pour fabriquer masques, gel hydroalcoolique est à saluer, conscientes de la santé des autres. La préservation de la santé de leurs propres salariés a pris corps, leur permettant de mesurer qu’au delà d’une obligation légale, elle n’était pas de vains « maux ». La reprise effective passera par la formalisation des modalités d’organisation, la prise de mesures de protection en concertation avec les représentants du personnel ou les syndicats ;

– aux salariés, encore, qui auront mesuré que le télétravail, revendiqué parfois comme la panacée, voire un droit, avait ses limites appréhendées, au quotidien, le temps de ce confinement. Au-delà de la difficile articulation vie privée/ vie professionnelle accentuée par « l’école à la maison », isolement personnel, le risque infectieux aura mis en exergue le besoin impérieux du retour au collectif, à la communauté de travail, qui s’est illustré notamment par la création de cafétérias virtuelles d’entreprise.

– à nous tous, enfin, que ce COVID-19, si malin qu’il soit, aura surtout rappelé à l’homme la précarité de « l’être » remettant à sa place la logique de « l’avoir », et remis l’humain au centre.

Il y a cinq ans, mon édito traitait du « travailleur à l’heure du numérique » et mettait en avant la nécessité pour les entreprises de négocier des accords d’entreprises sur la qualité de vie au travail pour tenir compte de la digitalisation de la relation de travail. Cinq années après, le COVID-19 aura permis de rappeler que nous devons trouver la ligne d’équilibre entre le digital, outil au service de l’homme, et le besoin d’appartenance à une communauté, besoin propre à l’humain. C’est autour de sa communauté de travail et de la négociation d’entreprise que la reprise et la reconstruction des entreprises devront donc être abordées.

Jurisprudence

COVID-19 : IMPORTANCE DU DOCUMENT UNIQUE d’EVALUATION DES RISQUES NOTAMMENT À LA REPRISE
(Tribunal judiciaire de Paris, Référé, 9 avril 2020 n°20/52223)

Le syndicat SUD a assigné en référé la société LA POSTE aux fins notamment que lui soit ordonné de procéder à une évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie de covid-19 tels que notamment les conditions d’exercice liées à l’épidémie, les risques psychosociaux résultant de l’épidémie mais également ordonné la mise en œuvre des gestes barrières et moyens de protection pouvant varier suivant les métiers.

Si l’évaluation des risques avait été bien effectuées, les juges ont en revanche constaté que la situation de crise sanitaire aigüe ne pouvait dispenser LA POSTE de son obligation spécifique d’information de l’ensemble de ses personnels via un Document unique d’évaluation des risques (DUER).

Le Tribunal rappelle ainsi l’obligation spécifique d’élaboration d’un Document unique d’évaluation des risques sur l’ensemble de son périmètre d’intervention et de ses branches d’activités et métiers, en association autant que possible avec les services de la Médecine du travail, ses services internes de médecine du travail, les instances représentatives du personnel et notamment les CHSCT compétents, les organisations syndicales et dans la mesure du possible, les personnels concernés, en procédant à une évaluation détaillée de chacun des risques professionnels identifiés du fait de la crise sanitaire d’épidémie de Covid-19, en application de l’article L 4121-2 du code du travail et au regard des impératifs généraux de santé et de sécurité au travail, cette mesure devant comprendre notamment :

> Le recensement de l’ensemble des activités postales estimées essentielles et non essentielles à la vie de la Nation,

> Les conditions d’exercice liées à l’épidémie de covid-19 des divers métiers et emplois des activités postales,

> Les mesures adoptées dans les cas d’infections signalées, avérées ou suspectées, tant en ce qui concerne les personnels que les locaux et mobiliers professionnels,

> Les risques psychosociaux résultant spécifiquement de l’épidémie de covid-19.

COVID-19 : DECISION AMAZON DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE : QUELLES CONSEQUENCES EN TIRER ?
(Tribunal judiciaire de Nanterre, Référé, 14 avril 2020 n°20/00503)

Le syndicat Solidaires a assigné en référé la société Amazon France Logistique aux fins notamment, que lui soit ordonné, à titre principal, d’arrêter l’activité des entrepôts en ce qu’ils rassemblent plus de 100 salariés en un même lieu clos simultanément et, à titre subsidiaire, d’arrêter la vente et la livraison de produits non essentiels et ce sous astreinte et en tout état de cause, que lui soit ordonné de procéder à une évaluation des risques professionnels liés à l’épidémie de covid-19 et de mettre en œuvre les gestes barrières et moyens de protection adaptés à chacune des activités de l’entreprise et ce sous astreinte.

Pour conclure à la violation de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés invoquée par le syndicat, le Tribunal a retenu que :

> Les instances représentatives du personnel n’ont pas été associées à l’évaluation des risques que la direction aurait menée.

> Le risque de contamination à l’entrée des sites dû à l’utilisation d’un portique de sécurité et celui résultant de l’utilisation des vestiaires n’ont pas été suffisamment évalués.

> Il n’est pas justifié de l’existence des plans de prévention avec toutes les entreprises extérieures ni que ceux-ci avaient été mis à jour.

> Si des mesures ont été prises et que l’organisation du travail a été constamment modifiée pour répondre à l’évolution de la situation, la société ne justifie pas que les nouveaux process ont été formalisés. En outre, il n’est pas justifié que ces changements, opérés sans concertation préalable avec les représentants du personnel, auraient été portés de manière appropriée à la connaissance des salariés. Ce risque n’a donc pas été suffisamment évalué.

> Le risque de contamination tenant aux manipulations successives des objets depuis la réception dans l’établissement à la livraison par les chauffeurs, ne fait pas l’objet d’une évaluation dans les DUERP. Le seul fait d’affirmer que les gestes barrières permettent une protection efficace ne répond pas à l’obligation d’évaluer préalablement les risques avant de définir les mesures de sécurité et de prévention nécessaires.

Concernant les risques psychosociaux en lien avec le risque pandémique et les réorganisations induites par mesures en place, le Tribunal a constaté qu’ils ne sont pas évalués dans les DUERP.

C’est dans ces conditions que le juge a ordonné à la société de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi que les mesures prévues à l’article L 4121-1 du code du travail en découlant, sous astreinte de 1.000.000 d’euros par et par infraction constatée.

Cette décision rappelle l’importance d’évaluer et d’actualiser régulièrement les risques liés à l’épidémie dans le document unique d’évaluation des risques professionnels et d’adopter les mesures en conséquence, en y associant les représentants du personnel.

Bulletin rédigé par Me Nathalie LENFANT
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