Bulletins JSA

FEVRIER – MARS 2021

Editorial

LA PREUVE DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES PAR LE SALARIÉ : LA COUR DE CASSATION PRÉCISE SA JURISPRUDENCE

Le contentieux de la revendication par les salariés du paiement des heures supplémentaires se multiplie devant nos juridictions, que ce soit à l’occasion de la contestation du motif de licenciement, lors d’une démission, ou encore par une demande de prise d’acte de rupture du contrat de travail ou de résiliation judiciaire.
A l’instar des demandes relatives au harcèlement moral, ces stratégies de contournement constituent un moyen, pour un salarié avec une faible ancienneté et qui s’estime injustement
licencié, d’obtenir une compensation financière bien supérieure à l’indemnité prévue par le barème “Macron” de septembre 2017 (article L.1235-3 du code du travail).
Ce barème n’offre au salarié qu’une indemnité maximale d’un mois de salaire s’il est licencié avant la date anniversaire de son embauche, et deux mois avant le terme de sa deuxième année…
Se placer sur le terrain d’un rappel d’heures supplémentaires peut donc s’avérer bien plus rémunérateur, en particulier si l’élément intentionnel est retenu par le juge, ouvrant alors le bénéfice de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé représentant 6 mois de salaires bruts.
Le débat porte sur la démonstration de la réalité des heures supplémentaires qui n’auraient pas été payées.
Le Code du travail prévoit un dispositif de preuve partagée entre l’employeur et le salarié, invitant le juge à former sa conviction.
Si la charge de la preuve repose en premier lieu sur le salarié, il faut rappeler que l’employeur a l’obligation légale d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail pour les salariés ne travaillant pas selon l’horaire collectif (article L.3171-2 et s. du Code du travail).
Dans un arrêt du 14 mai 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé que les employeurs avaient “l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur” (CJUE 14-5-2019 aff. 55/18 : interprétation de la directive 2003/88).
Si cette appréciation de l’existence et de l’évaluation des heures accomplies relève d’une appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation cherche à clarifier les conditions d’examen des heures supplémentaires par les juges.
S’agissant de la preuve par le salarié, elle a ainsi opéré une évolution de sa jurisprudence le 18 mars 2020 pour donner suite à cet arrêt de la CJUE (Cass. soc. n°18-10.919 M. A c société GETI) : la Cour de cassation a ainsi abandonné la notion “d’étaiement par le salarié de sa demande” (qu’elle exigeait depuis un arrêt du 25 février 2004) et indique que désormais “le salarié doit présenter à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ”.
ÉTAIT-CE UNE SIMPLE DIFFÉRENCE SÉMANTIQUE COMME NOUS AURIONS PU LE PENSER ?
La Cour de cassation vient de saisir l’occasion de rappeler dans un arrêt du 27 janvier 2021 qu’une évolution était bien à l’œuvre, dans la continuité des arrêts de la CJUE et du 18 mars 2020 (Cass. soc., n° 17-31.046, M. X c société Laboratoire Demavic).
Dans cette dernière affaire, un salarié technico-commercial avait saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le rappel d’heures supplémentaires impayées.
Le salarié avait produit un décompte des heures de travail qu’il indiquait avoir accomplies, mentionnant, jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que ses rendez- vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures quotidien et le total hebdomadaire.
L’employeur, de son côté, admettait ignorer le nombre d’heures accomplies par le salarié et ne pas les contrôler, de sorte qu’il ne fournissait aucun élément en réponse à ceux produits par le salarié.
La Cour d’appel avait rejeté la demande du salarié, au motif que le décompte qu’il produisait est « insuffisamment précis en ce qu’il ne précisait pas la prise éventuelle d’une pause méridienne ».
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, estimant qu’elle ne pouvait considérer ce décompte comme insuffisamment précis au motif qu’il ne mentionnait pas de pause méridienne.
Le contrôle du temps de travail et le suivi de la charge de travail sont également nécessaires pour garantir la protection, la sécurité et la santé des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours.
A défaut de respecter les règles imposées par la convention collective ou par la loi, en particulier l’absence d’un entretien annuel spécifique avec le salarié destiné à “évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération, la convention de forfait peut être privée d’effet par le juge.
Devront alors être rémunérées toutes les heures réalisées au delà de la durée légale de 35 heures.
En application de la jurisprudence de la Cour de cassation précisée le 27 janvier 2021, le salarié n’aura qu’à fournir au juge des éléments suffisamment précis sur la réalité des heures accomplies.
Néanmoins, un arrêt du 6 janvier 2021 (Cass. soc., 6 janv. 2021 n°17-28.234, Mr S c société Mademoiselle Desserts Broons) est venu apporter une atténuation à ces actions en tirant toutes les conséquences des effets de la suspension de la convention de forfait en jours. Selon la Cour de cassation, lorsqu’une convention de forfait en jours est privée d’effet, le paiement des jours de repos accordés en exécution de la convention est devenu indu. En conséquence, l’employeur est en droit de réclamer le remboursement au salarié de ces jours de repos pour la durée de la période de suspension de la convention de forfait jours.
Aussi, en application de cet arrêt, si le salarié n’est pas en mesure d’apporter au juge “des éléments suffisamment précis” des heures réalisées, il pourrait se retrouver devoir à l’employeur le remboursement des jours de repos pris…
A l’inverse, à condition qu’il dispose d’éléments probants, le salarié qui s’estime injustement privé de son emploi peut trouver dans cette contestation du forfait jours un moyen de négocier avec son ex-employeur une indemnisation bien supérieure au barème légal.
Les employeurs sont désormais prévenus : compte tenu de l’obligation qui pèse sur eux de contrôler la durée de travail de leurs salariés (prévue au sein du code du travail et rappelée par la CJUE), la charge de la preuve ne peut reposer sur le seul salarié.
Plus que jamais il convient de rappeler la loi et la jurisprudence imposent à l’employeur de comptabiliser les temps de travail de chaque salarié, qu’il devra en outre être en capacité de fournir à l’inspecteur du travail en cas de contrôle.

Actualité

COVID-19 : LES NOUVELLES MISSIONS DES SERVICES DE SANTÉ AU TRAVAIL (SST)

Une Ordonnance du 2 décembre 2020 avait autorisé le médecin du travail :
• à prescrire et renouveler un arrêt de travail en cas d’infection ou de suspicion d’infection à la covid-19 ;
• à établir un certificat médical pour les salariés vulnérables en vue de leur placement en activité partielle ;
• à participer aux actions de dépistage et de vaccination et plus généralement à la lutte contre la propagation de l’épidémie par des actions de sensibilisation à destination des employeurs et des salariés.
L’Ordonnance du 10 février 2021 prolonge ces missions jusqu’au 1er août 2021 (Ord. 2021-135 du 10-2-2021 art.3).

S’AGISSANT DE LA VACCINATION, LE MINISTÈRE DU TRAVAIL A DIFFUSÉ LE 25 FÉVRIER 2021 UN DOCUMENT QUESTIONS/RÉPONSES.

Il est précisé que :
• la vaccination, y compris avec le vaccin AstraZeneca, concerne les salariés de 50 à 64 ans inclus atteints de pathologies présentant une comorbidité avec la covid-19 (IMC supérieur ou égal à 30, antécédent d’accident vasculaire cérébral, etc). Si le médecin n’est pas informé de cet état de santé, le salarié devra en justifier ;
• les employeurs sont invités à informer l’ensemble des salariés qu’ils peuvent se faire vacciner par le SST (lorsque cela est possible), en indiquant de manière explicite que cette vaccination repose sur le principe du volontariat ;
Le Q/R insiste sur l’absence de toute conséquence pour le salarié qui refuserait la vaccination (aucune sanction, ni la possibilité de l’écarter de son poste tout en maintenant son salaire, aucun statut du salarié vacciné, et aucune inaptitude ne peut être tirée du seul refus de se faire vacciner).
• la confidentialité sera scrupuleusement respectée : le médecin du travail n’a pas le droit d’informer l’employeur des salariés vaccinés, le secret médical s’appliquant aux services de santé au travail ;
• aucun coût supplémentaire ne sera supporté par les entreprises ;

DE NOUVEAUX REPORTS POUR LES VISITES ET EXAMENS MÉDICAUX.

Le médecin du travail peut reporter les visites et examens médicaux :
• dont l’échéance résultant des textes applicables antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2020-386 du 1er avril 2020 (donc avant la crise sanitaire) intervient avant le
2 août 2021;
• qui ont déjà fait l’objet d’un report en raison du premier confinement lié au Covid-19.
Le report est possible dans le délai d’un an, calculé à partir de l’échéance résultant des textes en vigueur avant le 12 mars 2020. La visite doit donc être organisée dans le délai d’un an à
compter de la date initiale (si un salarié devait bénéficier d’une visite en mai 2020, reportée au plus tard au 10 décembre 2020, la nouvelle visite doit être organisée avant mai 2021).

Jurisprudence

CASS. SOC., 17 FÉVRIER 2021 : LA SIGNATURE D’UNE TRANSACTION RÉDIGÉE EN TERMES GÉNÉRAUX EMPÊCHE LE SALARIÉ DE REVENDIQUER L’APPLICATION D’UNE CLAUSE DE NON-CONCURRENCE CONTRACTUELLE.

Une Cour d’appel avait accueilli favorablement la demande d’une salariée, intervenant après signature d’une transaction, de versement de la contrepartie pécuniaire due en exécution d’une clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail.
Les juges d’appel relevaient que l’employeur n’avait pas levé la clause et que la transaction n’en faisait pas mention.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis : Elle précise que les obligations réciproques des parties au titre d’une clause de non-concurrence sont comprises dans l’objet de la “transaction par laquelle les parties déclarent être remplies de tous leurs droits et mettre fin à tout différend né ou à naître et renoncer à toute action relatives à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail”.
La Cour de cassation est venue rappeler sa position prise depuis 2014, donnant plein effet aux transactions rédigées en termes généraux.
La résistance de certains juges doit inciter les employeurs à une rédaction minutieuse du protocole transactionnel, et y inscrire systématiquement un renoncement à une éventuelle
clause de non-concurrence, tout en rappelant l’obligation de loyauté post-contractuelle imposée aux deux parties.

Bulletin rédigé par Me Nicolas SONNET
19 avenue de Grammont – BP 71013 – 37010 TOURS CEDEX 01