Bulletins JSA

Bulletin JSA – SEPTEMBRE OCTOBRE 2017

Bulletin rédigé par Maîtres Xavier BOULIER et Fabrice VIDEAU

Avocats associés de VOCA CONSEIL
8 rue Alfred Kastler – Unicité
14000 CAEN


Editorial

SECURISATION DES LICENCIEMENTS : ET SI ON COMMENCAIT PAR LE MOTIF !

Après deux essais avortés pour des raisons différentes (référentiel inconstitutionnel car fondé en partie sur l’effectif dans la loi REBSAMEN de 2015 et renoncement politique lors de la loi EL KHOMRI de 2016) nous avons enfin LA mesure supposée rassurer les employeurs, les sécuriser au point qu’ils vont embaucher sans peur de licencier si besoin : Le plafonnement des indemnités prud’homales.

Mais, au-delà des interrogations naissantes sur la résistance de cette mesure à l’aune de l’article 24 de la charte sociale européenne et de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, était-ce bien LA priorité ?

Fallait-il prendre le risque de cristalliser la vindicte populaire qui pense que l’on a « bradé » ses droits pour un résultat somme toute aléatoire, notamment au regard des cas de déplafonnement du barème prud’homal (violation d’une liberté fondamentale, harcèlement …) qui seront invoqués à tout va ?

« LE COEUR DU PROBLÈME N’EST-IL PAS PLUTÔT LE MOTIF DU LICENCIEMENT ? »

En effet, le plafonnement des indemnités prud’homales trouve son intérêt uniquement si l’employeur est condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Faut-il déjà être condamné !

Tout repose donc sur cette cause, qui doit être réelle c’est-à-dire existante, exacte et objective.

Cette cause qui doit également être sérieuse, c’est-à-dire soit d’une certaine gravité (pour les motifs disciplinaires) soit d’une certaine importance (pour les motifs économiques par exemple).

On nous assène régulièrement que le problème, c’est l’imprévisibilité.

Certes, mais plus que l’imprévisibilité des conséquences financières du licenciement « abusif », le vrai problème est l’imprévisibilité de l’appréciation des motifs de licenciement.

La difficulté tient à ce que, d’une juridiction à l’autre et parfois, au sein de la même juridiction, d’une composition à une autre, cette cause réelle et sérieuse est appréciée différemment.

Qu’on arrête déjà ces décisions contraires pour des cas similaires.

Qu’on arrête aussi ces revirements de jurisprudence à effet rétroactif.

Qu’on arrête par exemple de protéger l’alcoolique qui met en danger ses collègues par des artifices de procédures, des clauses insuffisantes dans le règlement intérieur …

Qu’on arrête enfin de considérer l’employeur comme un présumé coupable en s’alignant un peu plus sur les principes du droit pénal.

Ainsi, en matière pénale, la personne poursuivie est présumée innocente et le doute doit lui profiter.

Et si cela ne suffit pas, le juge tient compte de toutes sortes de circonstances atténuantes.

Mais devant le Juge prud’homal, le licenciement est par nature suspect. Le doute sur le motif de la rupture profite nécessairement et uniquement au salarié (article L L1235-1 du Code du Travail).

Et c’est le salarié qui bénéficie des circonstances atténuantes (« il a une grande ancienneté, il n’a pas été sanctionné auparavant, il ne savait pas, il n’avait pas l’intention de … »).

Alors, la véritable réforme à mener, à grand coups d’ordonnances (ou de 49-3, tout dépend des styles) n’était-elle pas plutôt de définir enfin cette cause réelle et sérieuse ou, à tout le moins, de donner une sorte de référentiel objectif des motifs du licenciement valables, limitant au maximum l’appréciation subjective si prégnante dans la juridiction prud’homale.

La tâche est ardue, c’est une évidence, puisque les éléments factuels fondant la cause réelle et sérieuse sont appréciés subjectivement mais elle aurait pu être menée, par petites touches, motif par motif et en réagissant immédiatement à toute interprétation trop restrictive des juridictions.

Alors bien sûr, il y a des avancées notables dans ces ordonnances sur des aspects importants des licenciements comme la fin de l’hypocrisie des recherches de reclassement à l’étranger.

Quoi que …. car si un reclassement en Allemagne pourrait sembler insultant pour un salarié Creusois de GM&S, il a tout son intérêt pour un strasbourgeois bilingue.

Certains saluent également la réduction du périmètre d’appréciation des difficultés économique du secteur d’activité du groupe au seul territoire national.

Mais sachant que 99 % des 3,1 millions d’entreprises françaises sont des micros entreprises, des TPE ou des PME à la seule implantation nationale, qui sera véritablement concerné ? Très peu en réalité.

Les puristes rétorqueront que le 1 % restant est constitué des Grandes Entreprises et Entreprises de Taille Intermédiaire qui représentent la moitié des effectifs salariés.

Certes, mais ce sont aussi celles qui sont le moins sensibles aux conséquences financières d’un licenciement « retoqué » par une juridiction prud’homale …

Alors, Mesdames et Messieurs du Gouvernement, si vous voulez vraiment rassurer les employeurs et les inciter à prendre le risque d’embaucher sans craindre de pouvoir licencier, il faut sécuriser la rupture plutôt que les conséquences de la rupture abusive.

Le quinquennat débute tout juste : Il est encore temps de croire que le changement, c’est maintenant.

Jurisprudence

DEVOIR DE VIGILANCE DE L’EMPLOYEUR SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL, L’AMBIANCE AU TRAVAIL ET LES RELATIONS ENTRE SES SUBORDONNÉS

L’obligation de sécurité issue de l’article L 4121-1 du Code du Travail impose à l’employeur de veiller à ce que, dans son fonctionnement au quotidien, l’entreprise ne porte pas atteinte à la santé physique et mentale de ses salariés.

Pour ce faire, l’employeur est tenu de prendre les mesures de prévention des risques, des actions d’information et de formation, tout en mettant en place l’organisation du travail et des moyens adaptés.

C’est une vigilance de tous les instants qui s’impose à l’employeur, le texte lui imposant d’adapter ces mesures afin de « tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

L’identification des salariés en souffrance au travail fait donc partie des obligations de l’employeur qui, dès lors qu’il connait cette situation doit impérativement, et rapidement s’attaquer à ses origines.

A défaut, le salarié en souffrance pourra prendre l’initiative de la rupture de son contrat de travail (demande en résiliation judiciaire, prise d’acte de rupture du contrat de travail) et demander au juge de considérer cette rupture comme imputable à l’employeur du fait de son manquement à l’obligation de sécurité.

Dans trois décisions rendues récemment, la Cour de Cassation s’est prononcée sur des situations invoquées par des salariés pour légitimer la rupture abusive de leur contrat de travail.

MÉSENTENTE ENTRE SALARIÉS
(Cass. Soc. 22 juin 2017, n°16- 15507)

Les cas de mésentente entre salariés ne doivent pas être sous-estimés par les employeurs. Ils sont systématiquement à l’origine d’une dégradation des conditions de travail, et peuvent, dans certaines hypothèses provoquer un « syndrome anxiodépressif réactionnel ».

Tel était le cas dans l’affaire tranchée le 22 juin 2017 par la Chambre sociale de la Cour de Cassation.

Dans cette espèce, un médecin spécialisé, salariée d’une association, a signalé à son employeur être victime de la mise à l’écart et du comportement méprisant d’un de ses collègues avec lequel elle partageait son bureau et devait travailler en binôme.

Malgré les réunions organisées par l’employeur pour tenter de remédier à cette situation, la désignation d’un coordinateur médical élu par ses pairs chargé de régler les difficultés au sein du staff médical, et une modification de l’organisation du travail en binôme, la Cour de cassation a sanctionné l’employeur du fait de la persistance du conflit entre les deux salariés.

La Cour souligne que l’employeur « n’avait pas pris toutes les mesures utiles pour régler avec impartialité par sa médiation le conflit persistant » qui opposait ses deux salariés afin de permettre à la salariée de réintégrer son poste, ou à défaut d’adapter l’organisation du travail de manière à séparer les deux protagonistes.

La Cour d’Appel en avait déduit l’existence d’un manquement à l’obligation de sécurité rendant impossible la poursuite du contrat de travail, appréciation confirmée par la Haute Juridiction.

L’obligation de sécurité est une obligation de résultat. Il faut donc agir jusqu’à ce que l’origine du « mal être » dénoncé par le salarié soit réglée.

EVOLUTION IMPORTANTE DES CONDITIONS DE TRAVAIL
(Cass. Soc. 8 juin 2017, n°16- 10458)

La vie des entreprises connait souvent d’importantes mutations : fusion, acquisition, conflits ou départ d’un associé, d’un dirigeant, sont autant de circonstances de nature à modifier en profondeur les conditions de travail des salariés.

Il est souvent facile de qualifier de « résistance au changement» les plaintes émises par les salariés pour lesquels ces changements sont parfois à l’origine de souffrances psychologiques certaines. La vigilance est, une fois encore, de mise.

Tel était le cas d’une secrétaire d’un cabinet d’avocat qui, après le départ d’un associé avec lequel elle avait longtemps travaillé, s’était plainte d’une dégradation du climat au sein du cabinet.

Les arrêts maladie de ses collègue les échanges épistolaires avec son employeur ont convaincu les juges du fond de la dégradation certaine de ses conditions de travail.

Stigmatisant l’inaction de l’employeur pour remédier à cette situation dénoncée par cette salariée, la Cour de Cassation confirme la décision de la Cour d’Appel ayant retenu que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et considéré que ce manquement avait été de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

RÉACTIVITÉ FACE AU COMPORTEMENT FAUTIF D’UN SALARIÉ ENVERS UN AUTRE
(Cass. Soc. 21 juin 2017, n°16- 24272)

Dans cette dernière affaire, un salarié a reçu de la part d’un collègue plusieurs courriels comportant des injures racistes. Avisé de cette situation, l’employeur a sanctionné l’auteur de ces messages par un avertissement, lui demandant de présenter des excuses.

Les faits ne se sont plus reproduits par la suite.

Malgré la réactivité de l’employeur, le salarié a développé un syndrome anxiodépressif imputé à cet incident. Un an plus tard, il saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande en résiliation judiciaire aux torts de son employeur, motivée, pour partie, par le manquement à l’obligation de sécurité.

La Cour d’Appel, comme la Cour de Cassation ne le suit pas dans sa démarche. En effet, selon les Juges, l’employeur a réagi « avec diligence et efficacité » : il est intervenu rapidement après avoir été avisé de la situation, et à la suite de son intervention, ces incidents ne se sont pas reproduits.

Le facteur temps est un indicateur important dans cette affaire.

En effet, le salarié a saisi le Conseil de Prud’hommes d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail plus d’un an après l’intervention de son employeur, au regard de la persistance de son syndrome anxiodépressif…

Or, l’on sait que pour justifier la rupture du contrat, le manquement de l’employeur doit rendre impossible la poursuite du contrat de travail, à l’instar de la faute grave du salarié.

Tel n’est pas le cas lorsque les manquements invoqués ont plusieurs mois (Cass. Soc. 23 mars 2014, n°12-23634). Il n’est pas certain que la décision ait été la même si le salarié avait introduit son action quelques jours après avoir reçu ces courriels, sachant que l’employeur n’a sanctionné l’auteur des courriels qu’un mois et demi après leur notification. Quoi qu’il en soit, cette décision rappelle à l’employeur son devoir de « diligence Et d’efficacité » face aux relations que peuvent entretenir entre eux ses salariés.

L’évolution du droit du travail et le déplafonnement des dommages et intérêts accordés par le Juge en cas de violation d’une liberté fondamentale ou de faits de harcèlement moral (futur article L1235-3-1 du Code du Travail) laissent un avenir certain à cette obligation de vigilance et de diligence.

RÉMUNÉRATION VARIABLE

(Cass. Soc. 5 juillet 2017, n°16-13042.)

Dès lors que les salaires minimums légaux et conventionnels sont respectés, la détermination de la rémunération des salariés peut être librement fixée à partir de critères fondés sur «des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur ».

Il est également constant que ces critères ne doivent pas faire porter « le risque d’entreprise sur le salarié ». (Cass. Soc. 2 juillet 2002 n° 00-13.111).

Par ailleurs, ces clauses de rémunération variable ne doivent pas permettre à l’employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié (Cass. Soc. 3 juillet 2001 n° 99-42.761).

Une fois ces critères remplis, la partie variable de la rémunération du salarié peut être déterminée librement dans le contrat de travail.

Dans une décision du 5 juillet 2017, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation apporte une nuance à cette liberté contractuelle, rappelant que l’assiette de calcul de la partie variable de la rémunération du salarié doit respecter les dispositions de l’article L 241-8 du Code de la Sécurité Sociale, aux termes duquel « la contribution de l’employeur reste exclusivement à sa charge, toute convention contraire étant nulle de plein droit. »

Au cas présent, un salarié devait recevoir, en plus de sa rémunération contractuelle de base « un additif représentant 2 % du résultat avant impôt de l’exercice de la société » qui l’employait.

Une telle assiette ne respectait pas les dispositions de l’article L 241-8 dudit code.

La Cour de Cassation rappelle en effet que le résultat courant avant impôts de la société, correspond à la somme des produits d’exploitation et des produits financiers de l’entreprise de laquelle étaient déduites les charges d’exploitation et les charges financières. Y figurent nécessairement les cotisations sociales dites « patronales ». Dès lors, pour la Haute Cour, la cour d’appel a exactement décidé qu’il y avait lieu d’ordonner à l’employeur de réintégrer le montant des cotisations patronales de sécurité sociale dans l’assiette de calcul de la rémunération variable, et verser au salarié un rappel de salaire.

Bulletin rédigé par Mes Xavier BOULIER et Fabrice VIDEAU,
Avocats associés de VOCA CONSEIL – 8, rue Alfred KASTLER – UNICITE – 14000 CAEN