Bulletins JSA

Bulletin JSA – OCTOBRE NOVEMBRE 2017

Bulletin rédigé par LEXOCIA
40 rue Victor Schoelcher
68200 MULHOUSE


Editorial

LES ORDONNANCES MACRON : UN JUSTE RETOUR À LA RAISON ?

L’objectif clairement affiché des ordonnances MACRON est de mettre en oeuvre des changements structurels du droit du travail et de poser un nouveau cadre juridique stable.

Notre droit du travail est complexe et ses sources sont multiples : législative, réglementaire, conventionnelle et jurisprudentielle.

La Chambre sociale de la Cour de Cassation a joué un rôle capital dans l’évolution du droit du travail.

Sa jurisprudence est souvent incomprise des employeurs, ces derniers lui reprochant une prise en compte insuffisante de la réalité des entreprises et des décisions mettant à leur charge des obligations excessives voire irréalistes.

Si la haute juridiction a récem­ment entamé un assouplisse­ment de sa jurisprudence, par exemple en matière d’obligation de sécurité de résultat, la mise en oeuvre de changements structurels rapides nécessite l’intervention du législateur.

Ainsi, a bien des égards, l’or­donnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail vient ébranler la construction juris­prudentielle fortement marquée de l’influence durant près de 20 ans du Conseiller doyen Phi­lippe WAQUET et amorce « un juste retour à la raison ».

C’est en matière de licencie­ment économique que « ce retour à la raison » est le plus sensible.

Une première étape a été enga­gée par la législateur, avec la loi du 8 août 2016, qui s’était attaché à sécuriser la définition du motif économique mais avait fait preuve de frilosité s’agissant du périmètre d’appréciation des difficultés rencontrées.

L’ordonnance 2017-1387 fran­chit le pas tant attendu par les entreprises en restreignant le cadre d’appréciation du motif économique et celui des re­cherches de reclassement.

Le premier pan battu en brèche en matière de licenciement économique concerne donc le cadre d’appréciation du motif économique.

Celui-ci est dorénavant circons­crit au territoire national.

Jusqu’à présent, lorsqu’une entreprise appartenait à un groupe, le motif économique devait être apprécié au niveau du groupe ou du secteur d’ac­tivité du groupe auquel elle appartient, y compris dans les entreprises situées à l’étranger.

Cette définition du périmètre d’appréciation des raisons économiques résultait de deux arrêts de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 5 avril 1995 TRW n°93-43.866 et Thomson n°93-42.690.

Ainsi, en pratique, il pouvait en résulter une situation ubuesque où une entreprise française connaissant de graves difficul­tés économiques n’était pas fondée à procéder à des licen­ciements en raison de la santé financière favorable des autres entreprises de groupe, locali­sées en particulier à l’étranger.

Cette exigence était très cri­tiquée notamment au motif qu’elle dissuadait les entre­prises étrangères d’investir en France.

L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 vient pro­fondément aménager cette jurisprudence.

Si le motif économique reste apprécié au niveau des entre­prises du groupe apparte­nant au même secteur d’acti­vité, seule la situation des entreprises établies sur le territoire national sera prise en compte.

Le changement est considé­rable !

Le second pan de la juris­prudence à être notablement ébranlé par l’ordonnance 2017- 1387 concerne l’obligation de reclassement.

Face à des propositions de reclassement sur des postes à l’étranger jugées indécentes mais obligatoires, le législateur était intervenu une première fois par la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 en instituant une procédure de recueil préalable des souhaits de salariés. La loi Macron (déjà !) du 6 août 2015 (Loi n° 2015-990) y a apporté un tempérament en précisant que les offres de reclassement hors de France ne seraient transmises qu’au salarié qui en aurait fait la demande.

L’ordonnance 2017-1387 sonne définitivement le glas à l’obligation de reclassement à l’étranger qui est tout simple­ment supprimée.

Cette même ordonnance, vient en outre sérieusement res­treindre la définition prétorienne du groupe de reclassement.

En effet, si la définition juris­prudentielle est insérée dans le code du travail, son péri­mètre est fortement restreint. L’obligation de reclassement s’apprécie parmi les entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation per­mettent la permutabilité du tout ou partie du personnel. Mais ce groupe de permutation s’établit dorénavant par référence au I de l’article L.2331-1 du code du travail relatif au comité de groupe lequel suppose des liens capitalistiques.

Ainsi, le périmètre de reclasse­ment tel que défini jusqu’alors par la jurisprudence au seul sens de la permutabilité et dé­passant le cadre du groupe au sens du code de commerce, se voit sérieusement restreint.

Un groupe (pour le reclasse­ment) ne devrait plus pouvoir être caractérisé en dehors d’un groupe de société, comme par exemple dans un réseau de franchise (Cass.soc.15 janvier 2014, n° 12-22.944).

Enfin, le gouvernement a considérablement assoupli les conditions de mise en oeuvre de l’obligation de reclasse­ment.

Pour mémoire, la jurispru­dence exigeait que l’offre de reclassement soit écrite, pré­cise, concrète et personnalisée (Cass.soc.7 juillet 2004, n°02- 42.289) ce qui impliquait l’envoi à chaque salarié d’une propo­sition de reclassement en lien avec son profil.

L’exigence d’une offre person­nalisée s’opposait à une infor­mation collective telle qu’un affichage d’une liste de tous les emplois disponibles.

La procédure de proposition de reclassement est désormais simplifiée.

L’article L1233-4 nouveau est ainsi rédigé : « l’employeur adresse de manière personna­lisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles ».

Un décret devra définir le conte­nu de ces offres.

Ainsi en matière de licenciement économique, le droit du travail a été profondément réformé.

On ne peut que se réjouir que l’évolution de notre droit du tra­vail prenne enfin en compte les besoins de pragmatisme des entreprises.

Gageons tel que le précise le Rapport au Président de la Ré­publique relatif à l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 que cette dernière ap­porte « la sécurisation attendue (…) par les entreprises pour li­bérer les énergies créatrices de croissance et d’emploi (…) ».

Jurisprudence

OFFRE D’EMPLOI ET PROMESSE D’EMBAUCHE VERSUS OFFRE ET PROMESSE UNILATERALE DE CONTRAT DE TRAVAIL
(Cass.soc. 21 septembre 2017, n°16-20.103 et 16-20.104)

La Chambre sociale de la Cour de Cassation a revu par deux arrêts du 21 septembre 2017 sa jurisprudence relative à la pro­messe d’embauche au regard de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obli­gations.

Jusqu’à présent, conformément à la jurisprudence de la Cambre sociale de la Cour de Cassation, il convenait de distinguer l’offre d’emploi de la promesse d’embauche.

L’employeur qui adressait par écrit une offre à un candidat, devait être extrêmement prudent dans la rédaction de cette offre.

En effet, une promesse d’em­bauche qui précisait l’emploi pro­posé et la date d’entrée en fonc­tion valait contrat de travail, (Cass. soc.15 déc.2010, n°08-42.951).

L’employeur ne pouvait plus se rétracter par la suite sauf à justifier d’un motif légitime même si le sa­larié n’avait pas encore manifesté son acceptation.

En cas de rétractation de la pro­messe sans motif légitime, la rup­ture par l’employeur s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant notamment droit au profit du salarié à des indemnités au titre de la rupture abusive.

A l’inverse, la simple offre d’emploi ne mentionnant ni l’emploi occu­pé, ni la rémunération, ni la date d’embauche et ni le temps de tra­vail, n’emportait aucune obligation pour l’employeur.

Dans deux arrêts du 21 septembre 2017, la Cour de cassation révise sa jurisprudence et distingue dé­sormais l’offre de contrat de tra­vail et la promesse unilatérale de contrat de travail.

En l’espèce, un joueur interna­tional de rugby, avait reçu cou­rant mai 2012 du club de rugby, société Union sportive carcas­sonnaise, une offre de contrat de travail pour les saison 2012/ 2013 et 2013/2014. Etait jointe une convention prévoyant l’enga­gement pour la saison sportive 2012/ 2013, avec une option pour la saison suivante, une ré­munération mensuelle brute de 3.200 euros, la mise à disposition d’un véhicule et un début d’acti­vité fixé au 1er juillet 2012. En date du 6 juin 2012, le club informait par courriel l’agent du joueur, qu’il ne pouvait pas donner suite aux contacts noués avec lui.

En dépit de la rétractation du club, le joueur adressait au club le 12 juin 2012, la promesse d’em­bauche signée.

Soutenant que la promesse d’embauche valait contrat de travail, le joueur a saisi la juridic­tion prud’homale afin d’obtenir le paiement de sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

La Cour d’appel applique la juris­prudence alors en vigueur de la Cour de cassation relative à la promesse d’embauche.

Elle considère que l’offre trans­mise par le club au joueur com­portait l’emploi proposé, la rému­nération ainsi que la date d’entrée en fonction. Ainsi selon la Cour d’appel, cet écrit constitue bien une promesse d’embauche va­lant contrat de travail.

Elle considère également que dans la mesure où le joueur a ac­cepté la promesse d’embauche, « un contrat de travail avait été formé entre les parties et il importe peu que le club de rugby ait finale­ment renoncé à engager le joueur, même antérieurement à la signa­ture du contrat par le joueur (…), la promesse d’embauche engage l’employeur même si le salarié n’a pas manifesté son accord ».

Mais la Cour de cassation infirme la solution dégagée par la Cour d’appel pourtant conforme à sa jurisprudence.

Pour opérer son revirement la Cour se fonde sur l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

La Cour de cassation censure la Cour d’appel au motif d’avoir considéré que la promesse d’em­bauche valait contrat de travail « sans constater que (la proposition) offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essen­tiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait que son consentement ».

La Cour de cassation distingue désormais l’offre de contrat de travail de la promesse uni­latérale de contrat de travail.

Constitue une offre de contrat de travail, « l’acte par lequel un employeur propose un engage­ment précisant l’emploi, la rému­nération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’ac­ceptation ». Cette offre « peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son des­tinataire ; (…) la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue du délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur ».

En revanche, constitue une pro­messe unilatérale de contrat de travail « le contrat par lequel une partie, le promettant, ac­corde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail dont l’em­ploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déter­minés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; (…) la révocation de la promesse pendant le temps laissé au destinataire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis ».

En pratique, il est néanmoins conseillé aux employeurs d’être très prudents dans la rédaction des propositions d’emploi qu’ils adressent aux candidats en te­nant compte de cette nouvelle distinction.

PROTECTION DES SALARIÉS AYANT DÉNONCÉ DES FAITS DE HARCÈLEMENT MORAL
(Cass.soc. 13 septembre 2017, n°15-23.045)

Dans un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation considère que le salarié qui n’a pas clairement dénoncé des agissements de harcèlement moral ne peut pas obtenir la nul­lité de son licenciement.

Les dispositions de l’article 1152-3 du Code du travail confèrent au salarié ayant relaté des faits de harcèlement moral une protection en lui permettant d’obtenir l’annulation des me­sures prises à son encontre en raison de la dénonciation de ces faits, sauf mauvaise foi néces­sitant de prouver la conscience par le salarié de la fausseté des faits dénoncés.

En effet, en vertu de l’article L1152-2 du Code du travail « aucun salarié, aucune per­sonne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indi­recte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvelle­ment de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agisse­ments répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ».

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation en date du 13 sep­tembre 2017, un salarié occu­pant en dernier lieu les fonctions de directeur commercial, a été li­cencié pour faute grave. La lettre de licenciement reprochait no­tamment au salarié « d’essayer de créer l’illusion d’une brimade, de proférer des accusations diffamatoires en se permettant d’affirmer par écrit, dans un courriel, qu’il subirait des com­portements abjects, déstabili­sants et profondément injustes sans aucune justification ». L’employeur qualifiait ces faits de dénigrement, de manque de respect manifesté par des pro­pos injurieux constitutifs d’un abus dans la liberté d’expres­sion.

Ce motif renvoyait au courriel adressé par le salarié à son employeur dans lequel il l’infor­mait qu’il subissait un traitement abject, déstabilisant et profon­dément injuste sans employer formellement les termes de har­cèlement moral.

Le salarié estimant avoir été li­cencié pour avoir relaté des agis­sements de harcèlement moral a saisi la juridiction prud’homale et sollicité la nullité de son licencie­ment ainsi que sa réintégration dans l’entreprise.

La Cour d’appel a estimé que le mail du salarié visait des agis­sements de harcèlement moral même si le salarié n’avait pas explicitement fait état de harcè­lement moral.

En conséquence, le licencie­ment prononcé à l’encontre du salarié était frappé de nullité puisqu’il était intervenu en raison de la dénonciation du harcèle­ment moral qu’il avait subi.

La Cour de cassation censure la décision des juges du fond. Elle relève que « le salarié n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par lui d’agis­sements de harcèlement moral ».

Dès lors, le salarié ne pouvait pas bénéficier de la protection légale dont disposent les salariés qui ont relaté des faits de harcèle­ment moral (Article.L1152-2 du Code du travail).

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre des revirements de jurispru­dence opérés par la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis fin 2011 afin de rééquili­brer la relation de travail.

Bulletin rédigé par LEXOCIA, Société Civile Professionnelle d’Avocats aux Barreaux de Mulhouse, Strasbourg
40, rue Victor Schoelcher – 68200 MULHOUSE