Bulletin JSA – MAI JUIN 2017
Bulletin rédigé par Maître Catherine ROGGERINI
JURI 4
56 boulevard Gustave Flaubert
63000 CLERMONT-FERRAND
Editorial
LA COUR DE JUSTICE EUROPÉENNE LÈVE UN COIN DU VOILE
LA POSITION DE LA COUR DE JUSTICE EUROPÉENNE SUR LE PORT VISIBLE DE SIGNES RELIGIEUX DANS L’ENTREPRISE ÉTAIT TRÈS ATTENDUE.
La question du fait religieux, dans l’entreprise privée, avait animé de nombreuses polémiques en France, qui ne s’étaient pas éteintes en dépit de l’adoption de l’article L1321.2.1 du Code du travail dans le cadre de la Loi du 08 août 2016.
Ce texte permet d’insérer dans le règlement intérieur « des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités de bon fonctionnement de l’entreprise, si elles sont proportionnées au but recherché. »
Solution de compromis, la formulation de cette disposition n’était pas apparue de nature à sécuriser de telles pratiques, d’autant que demeurait une réelle incertitude quant à sa conformité au droit européen et notamment à la directive 2000/78 CE, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
Les Cours de Cassation Belges et Françaises, ont offert à la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en Grande Chambre, l’occasion d’apporter des précisions quant à la nature des restrictions susceptibles d’être apportées au port de signes religieux en entreprise.
Dans le premier arrêt « C-157/15, G4S Secure Solutions » du 14/03/2017, rendu sur saisine de la Cour de Cassation Belge, elle admet qu’une disposition du règlement intérieur visant à interdire le port de tout signe visible de convictions religieuses, philosophiques ou politiques ne constitue pas une discrimination directe dès lors que cette obligation :
– vise indifféremment toute manifestation de telles convictions (le fait religieux, les convictions politiques et philosophiques doivent être traitées de la même manière) et traite de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise.
– en leur imposant de manière générale et indifférenciée, par exemple une neutralité vestimentaire.
Elle retient cependant le risque d’une discrimination indirecte qui ne pourra être écartée que si la différence de traitement est objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Selon la CJUE, la liberté d’entreprise, reconnue par l’article 6 de la charte des droits fondamentaux dans l’union européenne, en application de laquelle un employeur affiche, dans ses relations avec les clients publics et privés, sa volonté de neutralité politique, philosophique ou religieuse, constitue un objectif légitime autorisant une restriction à la manifestation par le salarié de ses convictions.
Elle demande néanmoins à la Cour de cassation belge de vérifier 3 choses :
– que la règle soit appliquée à tous,
– que l’interdiction vise uniquement les salariés en contact avec les clients
– qu’en tenant compte des « contraintes » et « charges » de l’entreprise, il n’eut pas été possible de proposer à la salariée un poste sans contact visuel avec les clients.
En revanche, dans l’affaire dont elle était saisie par la Cour de cassation Française, aucune règle interne n’avait été instituée dans l’entreprise. (Affaire C-188/15, Bougnaoui et ADDH)
Selon la Cour de justice, il appartient dans ce cas aux juges nationaux, de vérifier qu’une exigence essentielle et déterminante, répondant à un objectif légitime et proportionné, permet d’écarter l’existence d’une discrimination indirecte.
Elle précise qu’une caractéristique liée à la religion ne peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante, que dans des conditions limitées couvrant des considérations objectives, telles que la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle et non des considérations subjectives comme la prise en compte des souhaits d’un client de l’employeur.
Ces décisions vont dans le sens d’une clarification des règles, qui restent cependant à confirmer par la Cour de Cassation qui sera dorénavant appelée à se prononcer en application du nouvel article L 1321-2-1 du Code du travail.
Actualité
L’ANCIENNETÉ DES SAISONNIERS
La loi Travail avait accordé, aux branches, dans lesquelles l’emploi saisonnier est particulièrement développé, jusqu’au 8 février 2017, pour engager des négociations relatives aux contrats saisonniers.
A défaut d’accord la loi autorisait le gouvernement à mettre en place un dispositif supplétif par voie d’ordonnance.
L’ordonnance n° 2017-647 du 27/04/2017, relative à la prise en compte de l’ancienneté dans les contrats de travail à caractère saisonnier et leur reconduction, a été publiée au journal officiel du 28/04/2017.
Elle prévoit que pour calculer l’ancienneté, les contrats de travail saisonniers seront considérés comme successifs, lorsque conclus sur une ou plusieurs saisons, y compris lorsqu’ils avaient été interrompus par des périodes sans activité dans cette entreprise.
L’ordonnance crée également un droit à reconduction lorsque le salarié a effectué deux mêmes saisons sur deux années consécutives et lorsque l’employeur dispose d’un emploi compatible avec sa qualification.
L’employeur doit informer le salarié de ce droit.
Un arrêté du Ministre chargé du travail doit publier les branches concernées par ces dispositions qui s’appliqueront à défaut d’accord de branche ou d’entreprise.
Jurisprudence
LE JUGE DES RÉFÉRÉS A LE POUVOIR D’ORDONNER LA POURSUITE PROVISOIRE D’UN CDD AU-DELÀ DE SON TERME
(Cass. Soc., 8 mars 2017, n°15-18.560)
La Cour de cassation reconnaît, pour la première fois à notre connaissance, la possibilité au salarié qui a engagé une action en requalification de son contrat à durée déterminée, de demander en référé la poursuite de ce contrat après son terme pendant toute la durée de la procédure jusqu’à la décision au fond.
Pour la Cour de cassation : « constitue un dommage éminent justifiant la compétence du juge de référé, la perte de l’emploi, par l’effet de la survenance du terme durant la procédure, du contrat à durée déterminée toujours en cours, au moment où le juge des référés se prononce, ce dommage étant de nature à priver d’effectivité le droit pour le salarié de demander la requalification d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, afin d’obtenir la poursuite de la relation contractuelle avec son employeur. »
Cette jurisprudence n’est toutefois bien évidemment applicable que si le contrat à durée déterminée est en cours au jour où la formation des référés statue.
Cet arrêt est à rapprocher d’une autre décision de la Cour de Cassation rendue en 2016.
Un employeur avait cru pouvoir échapper aux conséquences d’une ordonnance de référé prescrivant la poursuite du contrat de travail jusqu’à l’intervention de la décision au fond du conseil de prud’hommes, en accédant à la demande du salarié en requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et en procédant quelques semaines plus tard à son licenciement.
Statuant au visa notamment de l’article 6, § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de Cassation considère que l’ordonnance de référé prescrivait « la poursuite du contrat de travail jusqu’à intervention de la décision au fond du conseil de prud’hommes », et non jusqu’à la reconnaissance de l’existence d’un CDI par l’employeur. En conséquence, les dispositions de l’ordonnance de référé n’ont pas été respectées par l’employeur et la cour d’appel devait « rechercher si l’employeur avait utilisé son pouvoir de licencier en rétorsion à l’action en justice du salarié ». (Cass. soc. 16-3- 2016 n° 14-23.589).
Si tel est le cas, la violation d’une liberté fondamentale est caractérisée et le licenciement est frappé de nullité.
POUVOIR DISCIPLINAIRE ET PRISE D’ACTE
(Cass. soc. 2-3-2017 n° 15-26.945 F-D)
Lorsque le salarié reproche à son employeur, des manquements graves à ses obligations contractuelles ou légales, il peut rompre unilatéralement le contrat de travail aux torts exclusifs de celui-ci, en prenant acte de la rupture du contrat de travail.
Le salarié doit démontrer que les agissements de l’employeur, de par leur gravité, empêchent que le contrat de travail se poursuive.
Si cette condition est remplie, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation vient d’admettre qu’un salarié est fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, pour contester une sanction disciplinaire abusive.
Un salarié sanctionné par une mesure de mise à pied de 30 jours prend acte de la rupture de son contrat de travail.
La Cour d’appel de Paris annule la sanction qu’elle juge disproportionnée mais fait produire à la prise d’acte les effets d’une démission, considérant que le salarié ne peut pas contester le bien fondé d’une sanction par la procédure de prise d’acte.
Selon la Cour de cassation, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision, « il n’est pas interdit au salarié de contester une sanction disciplinaire, par la prise d’acte de son contrat, charge aux juges du fond de vérifier si la sanction annulée était de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail. »
Dans l’affirmative, la prise d’acte produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Déjà dans un arrêt du 07/04/2016 n° 14-24388, la Cour de cassation, relevant que l’employeur avait délibérément usé de son pouvoir disciplinaire,non pour sanctionner un manquement réel du salarié, mais pour exercer des pressions sur celui-ci, abusant de son pouvoir de direction et que ces agissements avaient eu des répercussions sur la santé de l’intéressé, considère que ces faits constituent un manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.
La prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail est donc fondée et doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Bulletin rédigé par Maître Catherine ROGGERINI, JURI 4,
56 boulevard Gustave Flaubert, 63000 Clermont-Ferrand