Bulletin JSA – JUIN JUILLET 2019
bulletin rédigé par Maîtres BOULIER et Fabrice VIDEAU
Cabinet VOCA CONSEIL
8 rue Alfred Kastler
14000 CAEN
Editorial
LE NÉCESSAIRE RESPECT DE LA VIE PRIVÉE DES SALARIÉS DANS LE CONTENTIEUX SOCIAL
En matière sociale, la preuve s’avère parfois délicate à établir, et l’exercice des droits de la défense malaisé.
Le droit à la preuve, tout comme le droit au respect de la vie privée, sont deux droits fondamentaux.
Ils ont donc la même valeur normative, ce qui exclut, par principe, que l’un soit préféré à l’autre.
Mais il arrive fréquemment que ces principes s’affrontent : la preuve pouvant porter atteinte à la vie privée d’un salarié.
Dans une telle hypothèse, c’est la proportionnalité de l’atteinte au droit qui est appréciée par le Juge.
Ainsi, si le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié, il faut néanmoins que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit, et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Cass. Soc 9 novembre 2016 n° 15-10203).
Deux décisions récentes de la Cour de Cassation illustrent cette condition d’admissibilité de l’atteinte à la vie privée d’un salarié à des fins probatoires.
Il apparaît clairement que la Cour de Cassation adopte une lecture stricte, pour ne pas dire déséquilibrée, du principe de proportionnalité, privilégiant le droit à la vie privée au détriment du droit à la preuve.
Dans une première affaire, un employeur avait saisi le Tribunal d’Instance pour contester la candidature de trois salariés dans des collèges électoraux, considérant qu’ils relevaient d’un autre collège au regard de leurs fonctions et classifications.
Dans le cadre de cette procédure, l’employeur a produit en justice, sans leur accord préalable, et in extenso, les bulletins de salaire des salariés concernés. Ceux-ci ont donc été transmis aux organisations syndicales également parties au litige.
Les salariés concernés ont saisi en référé le Conseil de Prud’hommes pour faire cesser ce qu’ils considéraient comme étant une atteinte à leur vie privée.
Le Conseil de Prud’hommes et la Cour d’Appel statuant en référé, ont reconnu l’atteinte à la vie privée et ordonné le versement à chacun des salariés concernés d’une provision de 1.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral.
L’employeur saisit la Cour de Cassation, estimant que la production de ces bulletins de salaire était nécessaire à sa défense, et proportionnée au but poursuivi, soulignant que les informations litigieuses pouvaient être transmises aux organisations syndicales dans le cadre de leur mission.
La Cour de Cassation ne l’entend pas ainsi.
Constatant que le bulletin de salaire mentionnait des données personnelles tel que l’âge, le salaire, l’adresse, la domiciliation bancaire et l’existence d’arrêts de maladie, la Cour de Cassation retient qu’il ne pouvait être transmis en l’état sans l’accord préalable des salariés.
Seules les mentions relatives à l’emploi occupé et la classification, voire au coefficient, étaient nécessaires à la défense de l’employeur.
Celui-ci aurait donc dû occulter les données personnelles avant de verser ces bulletins aux débats.
La preuve est donc jugée illicite, et la violation de l’article 9 du Code Civil pour atteinte à la vie privée des salariés confirmée (Cass. Soc 7 novembre 2018 n° 17.16799).
Dans une autre affaire plus récente, (Cass. Soc 27 mars 2019 n° 17-31715) portant sur la remise en cause d’une convention de forfait en jours, la Cour de Cassation a eu l’occasion de confirmer sa position.
La Cour d’Appel de Paris avait considéré qu’un salarié ne disposait pas d’une autonomie suffisante pour être soumis à une convention de forfait, et fait droit à sa demande d’heures supplémentaires en écartant des débats les tickets de cantine produits par l’employeur afin de démontrer que le salarié prenait des pauses pour déjeuner.
S’estimant lésé dans son droit à la preuve, l’employeur a saisi la Cour de Cassation.
Si le débat portait sur l’application d’une délibération de la CNIL, aujourd’hui dépourvue d’effet suite à l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD) le 25 mai 2018, le principe adopté par la Cour de Cassation reste, néanmoins, d’actualité puisque visant à protéger la vie privée du salarié.
Au cas présent, les tickets de cantine produits par l’employeur comportaient des indications détaillées permettant de déterminer les habitudes alimentaires du salarié.
Pour la Cour de Cassation, ces tickets auraient dû être présentés sous la forme « hors d’œuvre », « plat », « dessert », « boissons » ou être occultés par l’employeur afin de préserver ces données considérées comme personnelles.
Dès lors, la production de ces tickets de cantine portant atteinte à la vie personnelle du salarié n’était pas justifiée.
Ces mises en garde appellent les employeurs à la vigilance et à la prudence avant de verser aux débats des pièces apportant des informations relatives à la vie privée de leurs salariés.
Il faut veiller à obtenir l’autorisation de la personne concernée. A défaut, il convient d’occulter les informations non nécessaires à l’exercice du droit à la défense.
Or, la détermination de ces informations « nécessaires » peut parfois s’avérer délicate.
Elle est pourtant cruciale eu égard à la recevabilité de ces pièces, sachant, de surcroit, que la responsabilité de l’employeur peut être engagée en cas de mauvaise appréciation et ouvrir droit à l’octroi de dommages et intérêts.
A cet égard, il est précisé que l’évolution de la jurisprudence récente relative à l’abandon de la notion de préjudice nécessaire en cas de manquement de l’employeur (Cass. Soc 13 avril 2016 n° 14-28293) ne s’applique pas en cas d’atteinte la vie privée (Cass. Soc 7 novembre 2018 précité).
CONGÉ PARENTAL À TEMPS PARTIEL : L’INDEMNITÉ DE LICENCIEMENT DOIT SE CALCULER SUR LA BASE DE SON TEMPS COMPLET INITIAL
C’est la CJUE qui le dit et pas pour un salarié belge cette fois : c’est bien le droit français qui est mis en cause au regard de l’accord cadre européen sur le congé parental, suite à une question préjudicielle de la Cour de cassation. (CJUE 8 mai 2019 affaire 468/18).
Depuis 1981, en France, l’indemnité de licenciement du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise est calculée proportionnellement aux périodes d’emploi accomplies selon l’une et l’autre de ces deux modalités depuis son entrée dans l’entreprise (actuellement article L 3123 al. 5 du code du travail).
Cette disposition était logiquement appliquée au CPE à temps partiel.
Selon la CJUE, cette situation est illicite car elle réduit les droits découlant de la relation de travail en cas de congé parental.
En conséquence, l’indemnité de licenciement doit être entièrement calculée sur la base de la rémunération correspondant aux périodes de travail à temps plein.
Au surplus, la CJUE précise que cette situation est de nature à dissuader le salarié d’avoir recours au CPE à temps partiel.
On ne peut qu’être circonspect quant à la pertinence de cette affirmation qui n’a sans doute jamais effleuré l’esprit des millions de salariés ayant choisi un jour de réduire leur temps de travail pour passer plus de temps avec leur progéniture.
Enfin, bien aidée par la question préjudicielle posée par la Cour de Cassation, la CJUE affirme que cette situation constitue une discrimination indirecte en raison du sexe : bien que rédigée de manière neutre (sans distinguer naturellement entre les femmes et les hommes), ce mode de calcul conduit, de fait, à désavantager les femmes, bénéficiaires à 96% du congé parental d’éducation à temps partiel.
L’article L 3123 al. 5 du code du travail n’est donc pas conforme au principe d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, principe visé à l’article 157 TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) avec un effet direct pour le droit interne des états membres.
Certes, cette construction intellectuelle n’est pas nouvelle pour la CJUE mais n’est-ce pas ouvrir « la boite de pandore », puisque la Cour de cassation devrait logiquement suivre l’avis de la CJUE ?
En effet, quid de leurs droits à retraite qui subissent une réduction du fait ? Faudra-t-il les recalculer base temps complet ?
En poussant le raisonnement à l’extrême, ne faut-il pas alors les rémunérer à temps plein ?
Au-delà du congé parental d’éducation lui-même, ce sont d’autres situations de travail à temps partiel qui pourraient donner lieu à contentieux comme la situation du mi-temps thérapeutique : l’application du même article L 3123 al. 5 du code du travail n’est-elle pas de nature à constituer une discrimination fondée sur l’état de santé du salarié ?
On peut penser ce qu’on veut de la position de la CJUE pour les CPE mais ce n’est certainement que le début de profonds changements en droit interne français.
PARTICIPATION : FORT ASSOUPLISSEMENT DE L’EFFET DE SEUIL
L’obligation de mettre en place un accord de participation se déclenchait si l’employeur avait employé au moins 50 salariés sur 12
mois consécutifs.
La Loi PACTE assouplit considérablement cette obligation en exigeant désormais que le seuil soit franchi pendant 5 années civiles consécutives (Article 155-I-11° modifiant l’article L. 3322-1 du code du travail).
Au surplus, l’abaissement du seuil d’effectif en dessous de 50 salariés sur une année civile (par exemple la cinquième année), fera courir à nouveau le délai de 5 années.
Après la souplesse de franchissement du même seuil pour le CSE à attributions élargies issu des ordonnances de fin 2017, voilà
qui devrait tranquilliser les employeurs flirtant volontairement avec le seuil de 50 salariés.
Il est à noter que le VII de l’article 155 de la Loi PACTE prévoit une entrée en vigueur rétroactive au 1er janvier 2019.
Bulletin rédigé par Maîtres Xavier BOULIER et Fabrice VIDEAU
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