Bulletins JSA

JANVIER – FEVRIER 2020

Bulletin rédigé par Maître Maud GIORIA, Cabinet ECKERT ROCHE GIORIA

Editorial

RÉFORME DE LA JUSTICE : MESURES QUI INTÉRESSENT LE CONTENTIEUX SOCIAL

La loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019 relative au renforcement de l’organisation des juridictions et la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018- 2022 et de réforme pour la justice, dont de nombreuses dispositions viennent d’entrer en vigueur au 1er janvier 2020, contiennent diverses mesures apportant des modifications au contentieux social.

LA FUSION DES TRIBUNAUX D’INSTANCE ET DE GRANDE INSTANCE

Les tribunaux d’instance et de grande instance ont fusionné depuis le 1er janvier 2020 et forment, désormais, les tribunaux judiciaires.

Ils sont compétents pour le contentieux des élections professionnelles – la représentation par avocat étant désormais obligatoire – et celui de l’interprétation des accords collectifs.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE DU RÈGLEMENT ALTERNATIF DES DIFFÉRENDS

Le texte comporte des dispositions destinées à promouvoir les modes alternatifs de règlement des litiges. À cette fin, il est désormais prévu qu’en « tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible », le juge peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur qu’il désigne.

Ce texte n’entraînera pas de changement considérable en droit du travail. En effet, s’agissant des litiges individuels du travail, l’article R. 1471-2 du Code du travail prévoit déjà la possibilité pour le bureau de conciliation et le bureau de jugement d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur à tous les stades de la procédure.

S’agissant du contentieux des élections professionnelles, la recherche d’une solution amiable ne s’applique pas car dans cette matière d’ordre public,employeur et syndicats ne peuvent se mettre d’accord pour reconnaître la validité des élections.

En revanche, la médiation pourrait s’avérer utile en matière de contentieux relatifs à l’application ou l’interprétation des accords collectifs de travail.

Le recours à un mode de résolution amiable des différends (MARD), doit précéder, sous peine d’irrecevabilité, toutes les demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas 5.000 € devant le Tribunal judiciaire (mais aussi celles relatives à un conflit de voisinage).

S’agissant des litiges prud’homaux, il pose question dans le cadre d’une procédure qui comporte un préalable de conciliation.

C’est que la pratique démontre le paradoxe du contentieux prud’homal : la conciliation est en principe un passage obligé, pour autant, elle aboutit rarement.

Plusieurs facteurs plaident, cependant, en faveur du développement des MARD, et notamment de la médiation, liés aux défaillances de la justice du travail.

Actualité

LA MÉDIATION DANS LE CONTENTIEUX PRUD’HOMAL

Partant du constat que la justice prud’homale connaît des difficultés persistantes en lien avec une fonction de jugement très aléatoire et une fonction de conciliation marginalisée, le rapport d’information au Sénat du 10 juillet 2019 intitulé « La justice prud’homale au milieu du gué » formule 46 propositions dont une visant à favoriser la médiation et le règlement amiable des litiges du travail.

Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, il est possible de recourir à la médiation judiciaire pour la résolution des litiges individuels du travail.

Des freins bloquent, en pratique, le recours à ce type de résolution amiable des différends alors qu’il présente, en matière prud’homale, comme dans d’autres domaines, des avantages certains qu’il est intéressant de promouvoir de façon pédagogue pour favoriser un engouement envers la médiation devant les Conseils de prud’hommes.

LE CONSTAT DE LA QUASIINEXISTENCE DE LA MÉDIATION DEVANT LES CONSEILS DE PRUD’HOMMES

Cela tient à la fois à la culture de la justice appréhendée sentencieusement, à la crainte que l’employeur, présumée partie forte, tire avantage de la médiation au détriment du salarié considéré comme partie faible du fait du lien de subordination qui caractérise le contrat de travail et au manque d’information et donc de connaissance relative à ce processus.

Le droit d’accès au juge figure au rang des principes fondamentaux reconnus par les juridictions françaises.

Cette culture judiciaire est issue de la tradition romanociviliste, dominante en Europe occidentale, à l’inverse de la culture anglo-saxonne dans laquelle les modes alternatifs de règlement des conflits ont une place plus importante du fait aussi d’un schéma judiciaire aux arcanes de procédure, il est vrai, très différentes !

Les litiges individuels du travail sont pour certains gouvernés par un rapport de force entre l’employeur et le salarié que la médiation ne saurait réduire mais plutôt amplifier dans la perception erronée que peuvent en avoir les protagonistes au procès.

Ainsi la culture de la médiation resterait-t-elle à conquérir car la relation de travail en France reste fortement marquée par une dimension conflictuelle, binaire « avoir raison ou tort ».

La quasi-inexistence du recours à la médiation devant les Conseils de prud’hommes peut également s’expliquer par la réticence partagée des conseillers, des avocats et des justiciables.

Effectivement, on va difficilement vers quelque chose que l’on ne connaît pas bien, voire pas du tout et les différents professionnels de la justice prud’homale sont peu formés non seulement aux techniques spécifiques de médiation, mais également et à tout le moins, à l’intérêt même de la médiation.

Enfin, la médiation est toujours perçue comme nécessitant, au final, des concessions, un compromis, une reconnaissance partielle de ses torts et en cela, reste malheureusement appréhendée comme un mode imparfait de résolution du conflit.

LES RAISONS QUI PRÉSIDENT AU RECOURS A LA MÉDIATION DANS LE CONTENTIEUX PRUD’HOMAL

Si la question de la pertinence du recours à la médiation pour la résolution des litiges individuels du travail se pose avec force dans les débats actuels, c’est que la justice prud’homale souffre de différents maux qu’elle contribuerait à éluder.

Force est malheureusement de constater que la justice du travail connaît une phase de conciliation inefficace (le taux de conciliation atteignait 5,6 % en 2017), de délais souvent très longs qui ne respectent pas la norme du délai raisonnable (institué par l’article 6.1 de la CEDH), d’un taux d’appel élevé (en 2016, ce taux était de 66,7 % quand celui des Tribunaux de commerce était de 14,5 %, celui des Tribunaux d’instance de 5,7 % et celui des Tribunaux de Grande Instance de 21,6 %) et d’une suspicion pourtant infondée de partialité des juges de la part des parties.

Gouvernée par la confidentialité, la médiation permet aux parties de se réapproprier leur litige, de faire émerger les causes de son déclenchement, de dépasser le droit strict pour trouver ensemble une solution à leur différend qui prospère souvent
sur le terreau d’incompréhension, de non-dits, de défaut de reconnaissance et de perception décalée des situations.

L’ensemble du processus de médiation est couvert par l’obligation de confidentialité, tant à la charge des parties au processus que du médiateur.

Dans le souci du respect de ce principe, le contenu des discussions qui se déroulent au cours des séances n’est pas divulgué et ne peut pas faire objet de preuve devant le Conseil de prud’hommes qui serait déjà ou éventuellement par la suite saisi.

La parole de chacun est ainsi libérée afin que le dialogue puisse s’instaurer.

L’intérêt de la médiation réside aussi dans le fait de pouvoir gérer l’aléa judiciaire difficile à apprécier en matière prud’homale comme d’ailleurs, devant toute autre juridiction.

Les parties restent maîtresses du processus, qu’elles peuvent adapter comme elles l’entendent et selon leurs besoins, tant sur la périodicité des réunions, leur nombre, le temps consacré à chacune d’elles, les personnes y assistant que la précision de l’accord.

Le but recherché est de laisser les parties construire elles-mêmes la solution répondant à leurs besoins essentiels, alors que la réponse judiciaire pourrait ne pas être appropriée et provoquer un sentiment d’injustice.

Le principe de liberté gouvernant la médiation permet ainsi aux parties devenues des « médiés » de se réapproprier leur litige et de trouver ensemble une issue pour construire une solution.

Si la médiation a toujours lieu « sous le couvert de la loi », elle permet de dépasser la seule appréciation et la seule apparence juridiques du conflit pour se préoccuper de sa réalité profonde et imaginer des solutions de « sortie » très diverses.

De nombreux professionnels du droit, magistrats et avocats – qui assistent leurs clients d’un point de vue juridique dans le cadre de ce processus –, ont aujourd’hui à cœur de changer les mentalités, convaincus par l’intérêt d’une résolution pacifiée des conflits.

Jurisprudence

ARTICULATION ACCORD DE GROUPE/ ACCORD D’ENTREPRISE AVANT LA LOI TRAVAIL – PRINCIPE DE FAVEUR
Dans un arrêt du 8 janvier 2020, la Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel de DOUAI qui, s’agissant de l’articulation entre un accord de groupe et un accord d’entreprise postérieur, a fait application du principe de faveur.

Au moment de la conclusion de l’accord de groupe, l’articulation entre un accord de ce niveau et les accords d’entreprise n’était pas prévue par la loi.

Pour déterminer les accords applicables aux salariés, la Cour de cassation consacre la méthode de comparaison globale « par ensemble d’avantages ayant le même objet ou la même cause » dans la lignée de l’arrêt Géophysique (Cass. soc., 19 février 1997, no 94-45.286).

Depuis, la loi Travail du 8 août 2016 prévoit que lorsqu’un accord conclu dans tout ou partie d’un groupe le prévoit expressément, ses stipulations se substituent à celles ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord (article L. 2253-5 du Code du travail).

PRIORITÉ DE RÉEMBAUCHE : ELLE S’EXERCE APRÈS LE CONGÉ DE RECLASSEMENT

Lorsque l’entreprise procède à des recrutements dans les 12 mois suivant un licenciement économique, le salarié licencié peut bénéficier d’une priorité de réembauche sur les emplois correspondant à sa qualification.

Il doit avoir demandé à bénéficier de cette priorité dans un délai d’un an à compter de la date de la rupture de son contrat, c’est-à-dire à compter du terme du préavis de licenciement (article L. 1233-45 du Code du travail).

Comment articuler ces dispositions avec celles relatives au congé de reclassement, qui doit être proposé dans les entreprises ou établissements d’au moins 1 000 salariés (article L. 1233-71 du Code du travail) ?

S’il débute par principe durant le préavis, ce congé en excède en effet fréquemment la durée.

La Cour de cassation a résolu la difficulté le 11 décembre dernier : dans cette situation, le salarié ne bénéficie de la priorité de réembauche qu’au terme du congé de reclassement. Une solution valable même si le licenciement est ultérieurement jugé sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 11 décembre 2019, no 18-18.653).

Bulletin rédigé par Me Maud GIORIA- SCP ECKERT- ROCHE- GIORIA
1 rue Jean-Antoine Chaptal 57070 METZ