Bulletins JSA

OCTOBRE – NOVEMBRE 2019

Bulletin rédigé par Maître Pierre CHICHA
Cabinet CHICHA

Editorial

PENDANT QUE LA CHAMBRE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION AFFERMIT ET MAINTIENT SA POSITION DE STRICT RESPECT DE LA VIE PRIVÉE… LA COUR DE EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME AUTORISE, ELLE, LES VIDÉO-SURVEILLANCES PAR CAMERAS CACHÉES…

Le mois d’octobre 2019 a connu une nouvelle fois des évolutions marquantes en droit de la preuve. Ainsi, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a affirmé que la protection du secret des correspondances, prévalait y compris s’agissant d’échanges de messages instantanés ne portant aucune mention « personnelle » ou « privé » réalisés à partir du matériel fourni par l’employeur pendant le temps de travail et dès lors présumés avoir un caractère professionnel. Les messageries instantanées même dépourvues de mention personnelle ou privée restent couvertes par le secret des correspondances dès lors qu’elles sont rattachées à une messagerie privée, bien que la mention privée ne soit pas expressément mentionnée et donc visible. La Cour de Cassation a néanmoins indiqué : « Mais attendu qu’ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boite à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances. » (Cassation Sociale, 23 octobre 2019, Société Michel Nicolas c/ Mme X, 17-28.448)

Prenant une tendance inverse la Cour Européenne des Droits de l’Homme a, au terme d’un arrêt particulièrement motivé, apporté un assouplissement significatif au droit de la preuve validant une décision des tribunaux espagnols de retenir comme moyen de preuve licite des caméras dissimulées.

En l’espèce, une société avait constaté d’importantes disparitions de marchandises. Elle avait installé un dispositif de vidéosurveillance constitué de caméras connues et de caméras cachées. Ces dernières permettaient à la Société d’identifier parmi les salariés des auteurs d’infraction. Ces derniers étaient licenciés. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a été saisie de cinq recours par les salariés n’ayant pas obtenu gain de cause les juridictions espagnoles validant la recevabilité des enregistrements issus des caméras cachées.

La décision de la CEDH valide le recours aux caméras cachées aux visas des articles 6 (droit à un procès équitable) et 8 (respect de la vie privée) de la Convention Européenne des Droits de l’homme :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
»

(Article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme)

Au terme d’une décision fleuve de plus de 50 pages la Cour Européenne des Droits de l’Homme a ainsi validé la présence de caméras cachées après avoir rappelé que sur les 28 pays de l’Union Européenne 21,avaient transposé la directive n°95/46 (RGPD) la plupart interdisant la vidéosurveillance cachée alors même que d’autres l’admettent en cas de soupçon d’infractions pénales, indiquant également que dans les pays non membres la Suisse notamment admet le recours à un tel procédé.

La Cour a dans un premier temps rappelé, en regard de l’article 8 ce que recouvre la notion de vie privée soit : « l’intégrité physique et morale d’une personne physique ainsi que de multiples aspects de son identité,physique et sociale… Elle englobe notamment des éléments d’identification d’individu tel son nom ou sa photographie. » Et la Cour de préciser : « La notion de vie privée ne se limite pas à un « cercle intime »… Elle n’exclut pas les activités professionnelles (Fernandez Martinez c Espagne n°56030, n°11 CEDH 2014) »

La CEDH a considéré que dès lors que des personnes avaient été filmées en continu sur leur lieu de travail pendant 10 jours, l’article 8 trouvait à s’appliquer. Pour autant, sous le prisme de cet article, les états doivent garantir le respect d’une proportionnalité aux autres libertés et préserver les personnes contre les abus. Après avoir rappelé cette règle, la Cour a entendu faire une analyse in concreto de la situation et dans le cadre de cette analyse a considéré que :
– La durée de la vidéosurveillance par caméra cachée n’avait pas excédé 10 jours,
– Quelles qu’aient été les conséquences pour les salariés, « la vidéosurveillance et les enregistrements n’ont pas été utilisés par l’employeur à d’autres fins que de trouver les responsables des pertes de produits constatées et de les sanctionner.»
– « Il n’existait pas d’autre, moyen d’atteindre le but légitime poursuivi »,
– Les salariés avaient été informés de l’existence de vidéosurveillance quand bien même il existait des dispositifs visibles et des dispositifs cachés.

La Cour a ensuite entendu rappeler le principe de proportionnalité : « En l’espèce la cour constate que les juridictions du travail saisies par le requérant ont procédé à une mise en balance circonstanciée entre d’une part le droit des intéressés au respect de leur vie privée, et d’autre part l’intérêt pour leur employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise. Elle relève que les critères de proportionnalité établis par la jurisprudence du tribunal constitutionnel et suivis en l’espèce sont proches de ceux qu’elle a dégagés dans sa propre jurisprudence. ».

La CEDH a ajouté que, certes, il y avait une infraction au respect de la vie privée du fait de la non information de la localisation des dispositifs de surveillance nonobstant l’information sur la mise en place d’un tel système mais que, dès lors, que le lieu filmé correspondait aux caisses où il y avait beaucoup de passage et que les dommages de l’Employeur étaient importants, cette atteinte était proportionnée.

S’agissant de l’article 6 : constatant que les enregistrements n’étaient pas les seuls éléments sur lesquels l’Employeur s’était fondé se référant, également, aux tickets de caisse « éléments de preuves non susceptibles d’être viciés » ; la Cour considère que l’utilisation comme preuves des images, n’a donc pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure en l’espèce. »

En droit interne, aux termes de l’article L 1121-1 du Code du Travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ». Ce texte est en tous points conforme à la position de la CEDH.

Pour autant, en l’état actuel du droit positif, il demeure interdit de recourir aux caméras cachées. D’une part le système et son emplacement doivent faire l’objet d’une information du CSE et d’autre part quand bien même depuis l’adoption du RGPD la CNIL ne doit plus être consultée préalablement à la mise en place, elle dispose d’un pouvoir de sanction si elle estime le dispositif disproportionné.

Cette décision de la CEDH apportera-t-elle un souffle nouveau à notre droit interne ?

Actualité

PRÉJUDICE D’ANXIÉTÉ : RETOUR ET GÉNÉRALISATION

Par deux décisions de principe rendues le 11 septembre 2019, la Cour de Cassation est venue préciser les modalités et conditions de l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété l’étendant au-delà de l’amiante. Lesdits arrêts seront publiés au Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation. L’articulation de ces arrêts permet (1) de définir le périmètre de l’application possible du préjudice d’anxiété (2) de rappeler les conditions nécessaires pour pouvoir solliciter des dommages et intérêts (3) et de rappeler les conditions nécessaires pour l’employeur pour s’exonérer de sa responsabilité.

1- Tout salarié peut donc solliciter une indemnisation dès lors qu’il a été en contact avec une substance toxique ou nocive.
La Cour de Cassation était saisie d’une demande de dommages et intérêts par des salariés anciens mineurs des Houillères du Bassin de Lorraine et donc en rapport avec d’autres substances que de l’amiante. Au détour de son arrêt la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue préciser : « En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. » (Cass Soc 11/09/2019 n°17-24.879 FP-PB A. c/ Agent Judiciaire de l’Etat)

2- … Encore faut il prouver avoir été en contact avec la substance sus mentionnée
« … en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur les salariés devaient justifier d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition » Cassation Sociale du 11/09/2019 n°17-26.879 FS-PB

3- Les conditions d’exonération de la responsabilité Conformément aux dispositions de droit commun l’indemnisation suppose une faute, un préjudice ainsi qu’un lien de causalité.
L’existence de la faute a été rappelée par la Cour de Cassation en Assemblée plénière le 5 avril 2019 (Cassation Assemblée Plénière 5/04/2019 n°18.17-442, RJS 6/19 n°360): Attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés ;

Attendu que, pour condamner la société à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d’anxiété, l’arrêt retient que le demandeur justifie par les pièces qu’il produit, d’une exposition au risque d’inhalation de poussières d’amiante et que, l’exposition du salarié à l’amiante étant acquise, le manquement de la société à son obligation de sécurité de résultat se trouve, par là même, établi, et sa responsabilité engagée, au titre des conséquences dommageables que le salarié invoque du fait de cette inhalation, sans que la société puisse être admise à s’exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu’elle prétend avoir mises en œuvre ; Qu’en statuant ainsi, en refusant d’examiner les éléments de preuve des mesures que la société prétendait avoir mises en œuvre, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Dans l’arrêt concernant les salariés des Houillères du Bassin de Lorraine (voir ci-avant) la Cour de Cassation tout en rappelant que l’employeur pouvait s’exonérer de sa responsabilité a également entendu préciser que c’est désormais à l’employeur de prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires en application des articles L 4121-1 et L 4121- 2 du Code du Travail.


Bulletin rédigé par Me Pierre CHICHA
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