Bulletins JSA

AOUT – SEPTEMBRE 2019

Éditorial

LE BARÈME MACRON VALIDÉ PAR LA COUR DE CASSATION (AVIS CASS. 17-7-2019 N°19-70.010 ET 19-10.011 – FORMATION PLÉNIÈRE)

La décision était très attendue. Sans surprise pour certains, profonde déception pour d’autres… La Cour de cassation a tranché par avis du 17 juillet 2019 : le barème Macron limitant l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (art. L 1235-3) est conforme au droit international et européen.

Deux conseils de prud’hommes avaient initié la même démarche (Louviers et Toulouse). Deux avis ont donc été rendus le même jour, dans les mêmes termes, le premier étant, cependant, un peu plus complet, d’où notre choix de le commenter ici.

Pour mémoire, l’affaire opposait la société Sanofi Pasteur à un ancien salarié (susceptible de prétendre à une indemnité comprise en 1 et 2 mois de salaire), mais d’autres acteurs se sont joints à la procédure pour faire entendre, également, leurs arguments (CFDT, CGT-FO, CGT, CFE CGC, MEDEF, Syndicat des avocats de France, Association Avosial), à tort pour les deux derniers, dont l’intervention a été jugée irrecevable, faute d’intérêt à agir.

Trois textes étaient invoqués :

– La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont l’article 6 §1 consacre le droit à un procès équitable ;
– La Charte sociale européenne dont l’article 24 (Droit à la protection en cas de licenciement) énonce que « les Parties s’engagent à reconnaître …le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une réparation appropriée » ;
– La convention n°158 de l’OIT (Organisation internationale du travail) dont l’article 10 reconnait de même au profit du travailleur injustement licencié le droit à « une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Il convient de préciser, d’un point de vue technique, qu’avant même de se prononcer sur le fond, la Cour de cassation devait pour chacun des textes considérés trancher la question de savoir s’il était directement applicable en droit interne, sachant que tous les textes internationaux ou européens ne le sont pas automatiquement.

En effet, certains textes peuvent être opposables dans une relation entre l’Etat et un particulier (dit « effet vertical »), mais ne pas l’être dans une relation entre particuliers (dit « effet horizontal »), étant précisé que la relation employeur-salarié entre dans cette deuxième catégorie.

La Cour a donc examiné successivement les trois textes et est parvenue pour chacun d’eux à l’analyse qui suit.

– La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été rapidement écartée, non pas au regard de son application directe en droit interne, reconnue de longue date, mais parce que son article 6 §1 implique de distinguer entre ce qui est d’ordre procédural (accès au juge) et d’ordre matériel (ce que le juge est en mesure d’accorder), sachant que la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), juridiction en charge du respect de la Convention, a toujours limité le champ d’application de cet article à l’aspect purement procédural. Par conséquent, le fait de limiter le montant de l’indemnisation (relevant de l’aspect matériel) ne pouvait constituer un obstacle procédural.

– La Charte sociale européenne a également été écartée, cette fois, eu égard à son absence d’effet direct en droit interne. Pour ce faire, la Cour a relevé que les « Parties » visées dans la partie II de la Charte où figure l’article 24 sont les États (lesquels « s’engagent… à se considérer comme [liés]…par les obligations …ci-après. »). Elle en a déduit que chaque Etat dispose d’une importante « marge d’appréciation » dans la mise en œuvre de la Charte et que celle-ci n’a donc « pas d’effet direct en droit interne entre particuliers ».

– Ne restait donc en piste que la Convention n°158 de l’OIT. La question de son application directe en droit interne ne faisait guère de doute, dans la mesure où la Cour de cassation a déjà eu l’occasion par le passé de l’admettre, en particulier, lors du débat animé qui s’est instauré devant nos juridictions entre 2005 et 2008 à propos du CNE (contrat (suite) nouvelles embauches). Certes, il ne s’agissait pas du même article, mais néanmoins de la même Convention, raison pour laquelle, la Cour n’a pas jugé utile de motiver longuement son avis sur le sujet.

Dès lors, il lui revenait de trancher ce qu’il faut entendre par « une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». Son appréciation ne pouvait que s’inscrire que dans la « culture » de la Convention, c’est-à-dire une prescription internationale dont le cadre d’adoption a vocation à couvrir de nombreux états dans des situations économiques et sociales extrêmement variées. Raison pour laquelle, les organes mêmes de l’OIT ont toujours fait preuve de beaucoup de souplesse à l’égard des Etats ayant accepté de la ratifier (très peu) et donc de la mettre en oeuvre. De ce fait, l’appréciation devait dépasser le simple cadre de l’article L 1235-3 pour englober plus généralement toute l’économie de la réparation du licenciement en droit français, qui ne se limite pas au barème mais comporte également des dispositions très protectrices en cas de nullité (L 1235-3-1). Ce faisant, et après s’être référé à cet ensemble législatif, la Cour a considéré que le terme « adéquat » devait être compris comme réservant aux Etats une marge d’appréciation, pour en conclure que l’article L 1235-3 était compatible avec la convention n°158 de l’OIT.

Ainsi, le message est clair : les outils du droit international et européen sont impuissants à remédier par la voie juridique à une question qui reste avant tout politique, étant rappelé que le texte en cause a été adopté par voie d’ordonnance et n’a donc fait l’objet d’aucun débat devant le parlement.

Il reste que, techniquement parlant, l’avis de la Cour de cassation ne lie pas le juge, ce qui n’a pas échappé à certains conseils de prud’hommes, résolument déterminés à faire de la résistance. Tel est le cas des Conseils de prud’hommes de Grenoble, Troyes, Nevers ou encore Le Havre ayant récemment écarté le barème.

Symbolique, certes, mais efficace, peu probable, car il va de soi que les employeurs auront tout intérêt à résister eux aussi et donc à aller jusqu’en cassation s’il le faut.

Gageons, en effet , que la Cour de cassation ne se dédise pas si elle est saisie d’un pourvoi !


Actualité

RÉFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE EN BREF

Le départ a été donné par la Loi Avenir du 5-9-2018 ayant fixé les grands axes d’une réforme et contraint les partenaires sociaux à une renégociation anticipée des règles de l’assurance chômage, sur la base d’une feuille de route gouvernementale laissant peu d’espace à un consensus.

Les négociations ayant échoué, le gouvernement a pris la main sur le dispositif avec la publication de deux décrets en date du 26 juillet 2019 (n°2019-796 et n°2019-797) qui sont dans la droite ligne des annonces faites en juin dernier. Plus précisément d’un point de vue formel, la Convention d’assurance chômage du 14 avril 2017 (en vigueur depuis novembre 2017) est abrogée et le Règlement qui lui était annexé, l’est désormais au décret n°2019-797.

Souplesse d’un côté avec l’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires ayant un projet professionnel, durcissement de l’autre avec des conditions plus restrictives pour les allocataires, outre un bonus-malus pour les entreprises dans certains secteurs d’activité.

BONUS-MALUS SUR LA CONTRIBUTION CHÔMAGE
Nouveau concept qui ne s’annonce pas des plus simples.
Principe : modulation à la hausse ou à la baisse (entre 3% et 5,05%) du taux de la contribution d’assurance chômage en fonction du taux de fins de contrat de l’employeur.
Mode de détermination : taux modulé défini en comparant le taux de séparation de l’entreprise (nombre de fins de contrat imputables à l’employeur rapporté à l’effectif une période de référence de 3 ans) avec le taux de séparation médian dans le secteur d’activité.
Entreprises concernées : celles d’au moins 11 salariés appartenant aux secteurs d’activité dans lesquels le taux de séparation médian est supérieur à un seuil qui sera fixé par arrêté pour une période de 3 ans. L’arrêté précisera les secteurs d’activité concernés par référence à la nomenclature des activités françaises (NAF).
Fins de contrat prises en compte : toutes (via l’attestation pôle emploi ou la DSN) sauf contrat de mission, d’apprentissage, de professionnalisation, unique d’insertion et CDD conclus au titre de la politique de l’emploi.
Salariés concernés : Le taux majoré ou minoré s’appliquera à la rémunération de tous les salariés de l’entreprise, sous réserve de quelques exceptions (embauche en CDI à l’issue d’un CDD, contrats de travail temporaire, CDD conclus pour
remplacement ou accroissement temporaire d’activité).
Notification des taux : le taux de séparation et le taux de contribution seront notifiés à chaque entreprise (conditions
fixées par arrêté à paraître).
Entrée en vigueur : 1er janvier 2021 (en pratique, appel des premières contributions modulées à partir du 1er mars 2021).

– TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS
Grande nouveauté de la réforme, les travailleurs indépendants qui ont toujours été exclus de l’assurance chômage, historiquement réservée jusque-là aux salariés, peuvent désormais en bénéficier, mais les conditions d’ouverture, comme le montant (annoncé) des allocations, font que l’impact de la mesure restera limité.
Dénomination : allocation des travailleurs indépendants (ATI).
Bénéficiaires : travailleur indépendant au titre de la dernière activité.
Condition d’ouverture : liquidation ou redressement judiciaire.
Durée minimale d’activité : au moins 2 ans au titre d’une seule et même entreprise.
Condition de revenu antérieur : au moins 10.000 € par an au titre de l’activité non-salariée.
Montant et durée de l’allocation forfaitaire : ces deux points doivent faire l’objet d’un autre décret qui devrait être publié prochainement. Selon les annonces du gouvernement, le montant pourrait s’élever à environ 800 € par mois.
Entrée en vigueur : 1er novembre 2019.

– DÉMISSIONNAIRES AYANT UN PROJET DE RECONVERSION PROFESSIONNELLE
La liste des démissions considérées comme légitimes s’enrichit donc d’un nouveau cas, inédit jusque-là, mais qui reste soumis à des conditions assez strictes.
Durée minimum d’activité préalable : 5 années ininterrompues (soit au minimum 1300 jours travaillés au cours des 60 mois précédant la fin du contrat).
Justifications à apporter : projet de reconversion professionnelle réel et sérieux ayant mobilisé un conseil en évolution professionnelle préalablement à la démission.
Examen du dossier : par la CPIR (Commission paritaire Interprofessionnelle Régionale) destinataire des pièces justificatives (dont la liste sera fixée par arrêté à paraître).
En cas de refus : recours gracieux possible dans les deux mois.
En cas d’accord : demande d’allocation à déposer dans les six mois suivants la décision.
Contrôle de la mise en œuvre du projet de reconversion : assuré par pôle emploi au bout de six mois de perception des allocations.
Entrée en vigueur : 1er novembre 2019.

DROITS DES ALLOCATAIRES
Des conditions d’ouverture et de rechargement des droits plus restrictives et dégressivité des allocations à partir d’un certain montant, constituent l’essentiel des nouveautés en
la matière.
Conditions d’affiliation pour allocataires < 53 ans :
minimum de 130 jours ou 910 heures au cours des 24 mois précédant la fin du contrat, soit 6 mois (au lieu 4 mois
avant sur une période de 28 mois)
Conditions d’affiliation pour allocataires ≥ 53 ans : mêmes conditions que ci-dessus mais appréciées sur une période de 36 mois.
Durée minimale d’indemnisation (majorée en conséquence) : 182 jours calendaires (au lieu de 122 jours avant)
Rechargement des droits : le principe est en théorie maintenu (activité exercée en cours d’indemnisation permettant de retrouver des droits à la fin de la période d’indemnisation). En revanche, la condition minimale d’activité actionnant le mécanisme devient nettement plus difficile à atteindre puisqu’il faut désormais 910 heures (ou 130 jours) au cours des 24 derniers mois alors qu’auparavant 150 heures suffisaient. Les seuils de rechargement se trouvent ainsi alignés sur les seuils d’ouverture des droits, ce qui fait que le concept même du rechargement perd de son intérêt.
Période d’appréciation pour la détermination du salaire de référence : à compter du 1-4-2020, la période prise en compte sera les 24 mois précédant le dernier jour travaillé et payé, au lieu de 12 mois jusque-là.
Mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) :
• Formule applicable jusqu’au 1-4-2020 : total des rémunérations sur 12 mois / [nombre de jours travaillés (dans la limite de 261) x 1,4]
• Formule applicable à compter du 1-4-2020 : total des rémunérations sur 24 mois / nombre de jours calendaires à
compter du 1er jour de la 1ère période d’emploi incluse dans la période de référence.
Dégressivité de l’allocation sur les hauts revenus :
application d’un coefficient de dégressivité de 0,7 à compter du 183ème jour d’indemnisation, sans que cette réduction ne puisse porter le montant de l’allocation journalière en dessous de 84,33 €. En pratique, cette mesure n’affectera que les allocataires dont le SJR est supérieur à 147,95 €, soit un revenu brut mensuel moyen de l’ordre de 4505 €.
La réduction pourra atteindre jusqu’à 30% (dans la limite indiquée de 84,33 €).
Différé congés payés : prise en compte des indemnités de congés payés versées lors de toutes les fins de contrat intervenues au cours de la période de 24 mois, alors qu’auparavant seule l’indemnité versée par le dernier employeur entrait dans le calcul.
Entrée en vigueur : 1er novembre 2019 (sauf dispositions pour lesquelles l’entrée en vigueur est reportée au
1-4-2020)


Jurisprudence

RUPTURE CONVENTIONNELLE ET HARCÈLEMENT MORAL LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE ET PRÉAVIS

La Cour de cassation vient de préciser qu’une situation de harcèlement moral n’empêche pas de recourir à une rupture conventionnelle individuelle avec le salarié qui en est la victime.

La convention ne pourrait être annulée que si l’existence d’un vice du consentement est démontrée.

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait déclaré nulle la rupture conventionnelle au motif que la salariée l’avait signée dans un contexte de harcèlement moral, sans qu’elle n’ait à prouver un quelconque vice du consentement.

La haute-juridiction précise : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail, la Cour d’appel a violé les textes susvisés. » Cass. soc. du 23 janvier 2019 n°17-21.550

LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE ET PREAVIS

Chacun sait que le licenciement pour faute grave, s’il est reconnu, est effectif sans préavis et prive le salarié du bénéfice de l’indemnité de licenciement.

Attention, toutefois, à des rédactions de contrat de travail parfois approximative ; il arrive, en effet, qu’un contrat de travail prévoit un préavis en cas de rupture du contrat du fait de l’une ou l’autre des parties, sans établir de distinction selon le motif de la rupture.

Cette maladresse n’est pas sans conséquence.

Dans une telle hypothèse, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler récemment que même licencié pour faute grave, le salarié devra donc bénéficier du préavis. Cass. soc. 20 mars 2019 n°17- 26.999

MOURIR APRÈS UNE RELATION SEXUELLE PEUT ÊTRE UN ACCIDENT DU TRAVAIL

Non, vous ne rêvez pas et la victime qui vient de faire jurisprudence n’était pas une escort-girl.

Il n’empêche que son décès après un rapport sexuel est considéré, par la justice, comme un accident du travail.

C’est une décision de la Cour d’appel de Paris en date du 17 mai 2019, celle ci précisant que : «Le salarié effectuant une mission, a droit à la protection prévue à l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante, sauf la possibilité pour l’employeur de rapporter la preuve que le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel. »

Pour la Cour : « il est constant qu’un rapport sexuel est un acte de la vie courante ».

Gageons et osons espérer que l’affaire n’en restera pas là et que la Cour de cassation apportera un éclairage différent, l’employeur pouvant rapporter la preuve, par hypothèse, que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel.

Sans malice aucune, espérons que cette décision restera isolée dans les annales de la jurisprudence ! CA Paris (Pôle 6, 12ème ch.) du 17 mai 2019, n° 16/08787


Bulletin rédigé par Mes Marie-France THUDEROZ et Yves BOULEZ
Cabinet SOCIAL JURISTE – 7 Quai SARRAIL – 69006 LYON