Bulletin JSA – FEVRIER MARS 2019
Bulletin rédigé par Maître Jehan BASILIEN
SCP BASILIEN BODIN ASSOCIES
6 rue Colbert
80000 AMIENS
Editorial
DES VERTUS DE LA TRANSACTION RÉDIGÉE EN TERMES GÉNÉRAUX
Dans un arrêt du 20 Février 2019 (17-19.676 Société Pfizer) la Cour de cassation confirme que la transaction rédigée en termes généraux fait obstacle aux demandes ultérieures d’indemnisation exprimées par le salarié.
En l’espèce, s’agissant des suites d’un licenciement économique, la transaction fait obstacle à toutes demandes relatives aux obligations de reclassement et de réembauche dans la mesure où cet accord amiable est rédigé en termes généraux et vise
tout litige lié à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail ainsi que toute instance ou action de quelque nature que ce soit ayant trait au contrat de travail.
Cette rédaction en termes généraux permet même d’interdire toute revendication relative à une obligation ayant vocation à trouver application postérieurement à la rupture du contrat ainsi, en l’espèce, l’obligation de réembauche.
Il s’agit là, pour la Cour de cassation, de renouer avec une position adoptée naguère en Assemblée Plénière (Cass. ass. plénière 04 Juillet 1997 n°93-43.375) et qu’elle avait abandonnée au cours des années 2000 au profit d’une conception plus restrictive selon laquelle en l’absence de mention expresse figurant dans la transaction, le salarié ne pouvait pas être considéré comme ayant renoncé à un droit dont l’exercice est éventuel (Cass. soc. 29 Novembre 2000 n°98-43.518). Il s’agissait déjà, à cette époque, d’un problème de
priorité de réembauche.
Ce retour au caractère libératoire d’une transaction rédigée en termes généraux avait d’ailleurs été amorcé dans un arrêt de début 2017 (Cass. soc. 11 Janvier 2017 n°15-20.040).
L’arrêt du 20 Février 2019 confirme cette tendance.
Pour autant, il convient de demeurer vigilant dans l’établissement de transactions prétendument rédigées en termes généraux.
En effet, dans son arrêt du 20 Février 2019, la Cour de cassation précise que si la transaction exclut expressément certaines questions
ou litiges, les parties restent recevables en leurs réclamations sur ces thèmes.
En un mot, il va s’agir désormais de s’attacher à rédiger des transactions dont les termes généraux le seront vraiment. Il est recommandé, à cet égard, d’énumérer, en précisant son caractère non exhaustif, le plus grand nombre de chefs de demande potentiels de manière à ce que l’acte renonciateur soit éclairé.
Qu’il nous soit, toutefois, permis de trouver cette jurisprudence concernant un acte transactionnel muni de l’autorité de la chose jugée
un brin contradictoire avec la législation ayant mis fin au principe de l’unicité de l’instance.
Bon courage aux rédacteurs de tels actes… en attendant le prochain revirement de jurisprudence !
Actualité
LE BARÈME MACRON ÉCARTÉ PAR CERTAINS JUGES DU FOND : ENJEUX ET CONSÉQUENCES ÉVENTUELLES
L’ordonnance n°2017-1387 Macron du 22 septembre 2017 a bouleversé les règles d’indemnisation du licenciement sans cause réelle
et sérieuse en imposant au juge de respecter un barème de dommages et intérêts, dont les montants planchers et plafonds dépendent de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise.
La mise en place de ce barème devait notamment permettre aux entreprises, d’évaluer les risques financiers d’une rupture du
contrat de travail.
Or, avant même sa ratification, cette ordonnance avait fait l’objet, devant le Conseil d’État, d’une action en référé suspension sur le fondement :
• d’une part, de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail, qui impose le versement d’une « indemnité
adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;
• d’autre part, de l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une
indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Le Conseil d’État a cependant jugé que le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse n’entrait pas en
contradiction avec ces traités, notamment parce que le juge français conservait une certaine marge de manœuvre, qui lui permettait
d’accorder une réparation en lien avec le préjudice subi.
Malgré cette décision, en décembre 2018, plusieurs Conseil de prud’hommes ont écarté le barème :
• Le 13 décembre 2018, leConseil de prud’hommes de Troyes a considéré que le barème de l’article L. 1235-3 violait la Charte sociale européenne et la Convention 158 de l’OIT (CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036) ;
• Le 19 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes d’Amiens a ensuite enfoncé le clou cette fois sur le seul fondement de la Convention.
Dans cette affaire, les conseillers prud’hommes sont sortis de la fourchette fixée par le barème pour décider d’une indemnité plus « appropriée », selon la terminologie employée par la Convention (CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040) ;
• Le 21 décembre 2018 : le Conseil de prud’hommes de Lyon a rejoint le mouvement de fronde, par une décision qui ne fait même pas allusion au barème légal : pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les conseillers prud’homaux se sont contentés de faire référence à la Charte sociale européenne (CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG F 18/01238)
Ces décisions ouvrent donc une période d’incertitude, car certains conseils de prud’hommes sont susceptibles de s’inscrire dans
la jurisprudence «« Troyes- Amiens-Lyon ». La Cour d’appel de Paris, saisie de l’inconventionnalité du barème Macron, devrait entendre l’avis de l’avocat général sur le sujet lors d’une audience exceptionnelle qui se tiendra le 23 mai 2019.
En tout état de cause, pour y voir plus clair, employeurs et salariés devront attendre que l’une de ces affaires arrive devant la Cour de cassation.
Celle-ci décidera alors, une fois pour toutes, si le barème Macron est conforme ou non à la convention 158 de l’OIT et/ou à la Charte
sociale européenne.
En réalité, tout le débat s’articulera autour de la reconnaissance ou non de l’application directe de ces deux normes, l’une internationale, l’autre européenne.
La réponse à cette question ressort de la combinaison de deux critères :
- L’un subjectif, consistant à se demander si les états contractants ont souhaité faire des particuliers les destinataires de la norme
négociée ou s’ils ont entendu mettre à la charge des états des obligations dont le non-respect est sanctionné par l’engagement de leur responsabilité ; - L’autre objectif, consistant à vérifier que les dispositions de ladite norme peuvent s’appliquer directement sans relais de norme
interne.
Or, pour la convention OIT n° 158, la Cour de cassation a déjà admis, certes pour son article 2, son application directe (Cass.
soc. 29 mars 2006 n°04- 46- 499 et Cas. soc. 26 mars 2013 n° 11-25-580).
On peut donc estimer que le débat est clos.
Pour la charte sociale européenne, le débat apparait un peu moins tranché. Certes, il est déjà arrivé à la Cour de cassation de reconnaître l’effet direct de certains des articles de la charte mais jamais de manière autonome puisque concernant des cas où elle était couplée à des dispositions internes d’applicabilité directe (Cass. soc. 29 juin 2011 n°09-71-107) Le plus grand nombre de la doctrine souligne, par ailleurs, que dans sa partie I, la charte énonce que « les parties, autrement dit les états, reconnaissent
comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous moyens, la réalisation des conditions propres à assurer l’exercice des droits et principes suivants dont le droit à la protection contre le licenciement de l’article 24 » Ceci démontrerait que cette charte n’est pas en elle-même « justiciable » mais nécessiterait une transposition directe en droit interne.
De ce débat savant, controversé, ressortira une position de la Cour de cassation certes érudite et tranchante dont la finalité sera, néanmoins, circonstancielle et disons-le, politique au sens le plus noble du terme. A suivre donc ….
Jurisprudence
PRÉCISIONS SUR LE MONTANT DE L’INDEMNITÉ OCTROYÉE AU SALARIÉ PROTÉGÉ DONT L’AUTORISATION DU LICENCIEMENT A
ÉTÉ ANNULÉE
En cas d’annulation de l’autorisation du licenciement d’un salarié protégé, celui-ci est en droit de bénéficier d’une indemnité fixée en fonction du préjudice subi.
A ce titre, la Cour de cassation précise que la Cour d’appel ne saurait condamner une société à payer au salarié protégé une indemnité
calculée en fonction de l’ensemble des revenus bruts qu’il aurait dû percevoir pendant la période d’indemnisation, sous déduction
des revenus de substitution perçus calculés en brut, sans rechercher si ce mode de calcul ne conduisait pas à lui octroyer une indemnité plus importante que le préjudice réellement subi, dès lors que les salaires et revenus de remplacement ne sont pas soumis
aux mêmes taux de cotisations de sécurité sociale. (Cass. soc. 6-3-2019 n° 17-25.924 F-D).
LE RECOURS À UN SYSTÈME DE GÉOLOCALISATION DOIT ÊTRE JUSTIFIÉ PAR LA NATURE DE LA TÂCHE À ACCOMPLIR ET PROPORTIONNÉ AU BUT RECHERCHÉ
L’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 19 décembre 2018 (Cass. soc. 19 décembre 2018 n°17-14631) rappelle que :
• L’utilisation par un employeur d’un système de géolocalisation pour contrôler la durée du travail de ses salariés n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par d’autres moyens, même moins efficaces que la géolocalisation ;
• La géolocalisation n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail.
En l’espèce, un syndicat contestait la validité d’un système de géolocalisation mis en place par une entreprise, et proposait des modes alternatifs de suivi du temps de travail (le système auto-déclaratif ou le contrôle par un responsable d’enquêtes). Saisie du litige, la Cour d’appel a considéré que ces modes alternatifs n’étaient pas adaptés au but recherché et a ainsi validé les mesures mises en place par l’entreprise.
La Chambre Sociale a censuré cette décision au motif que la Cour d’appel n’a pas caractérisé que ce système de géolocalisation
était le seul permettant de contrôler la durée du travail des salariés. Les juges doivent, par conséquent, rechercher si la géolocalisation était réellement le seul moyen permettant ce contrôle.
Maître Jehan BASILIEN
SCP Basilien Bodin Associés – 6, rue Colbert 80000 AMIENS