Bulletins JSA

Bulletin JSA – FEVRIER MARS 2018

Bulletin rédigé par Maîtres COTTEREAU, SONNET et BOUCHERON

CM&B AVOCATS SELARL COTTEREAU MEUNIER BARDON ET ASSOCIES
19 avenue de Grammont
37000 TOURS


Editorial

L’INAPTITUDE AU TRAVAIL : L’INNOVATION PERMANENTE !

L’inaptitude au travail ne cesse de faire l’objet de l’actualité tant législative que jurisprudentielle.

AU NIVEAU LÉGISLATIF

À peine avait-on eu le temps d’assimiler la loi travail du 8 avril 2016 qu’il faut déjà « changer de logiciel » pour contester l’avis du médecin du travail suite à l’ordonnance n° 2017/1387 du 22 septembre 2017 suivie de son décret d’application du 15 décembre 2017.

› Bref rappel

Trois changements en trois ans ! Avant le 8 août 2016, le recours contre l’avis d’inaptitude était porté devant l’inspecteur du travail.

Depuis le 1er janvier 2017, sous l’effet de la loi travail, l’employeur ou le salarié désireux de contester l’avis d’inaptitude devait saisir le Conseil de Prud’Hommes pour faire désigner un médecin-expert inscrit sur une liste d’experts près la Cour d’Appel. La procédure s’est très vite révélée difficilement praticable en raison de la pénurie générale de médecins du travail.

La loi travail limitait la contestation aux seuls « éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail » ce qui générait une incertitude quant à la définition de l’élément de nature médicale.

Changement :

Depuis le 1er janvier 2018, le recours au médecin expert est supprimé. Il appartient au Conseil de Prud’Hommes, saisi en la forme des référés, dans les 15 jours suivant l’avis d’inaptitude de décider ou non de missionner le médecin-inspecteur du travail, territorialement compétent afin de recueillir ses lumières sur les questions relevant de sa compétence si nécessaire. (Article L4624-7 et R 4624–45 CT)

Il s’agit d’une simple faculté.

Les lumières du médecin-inspecteur porteront sur le champ de la contestation qui couvre, désormais, l’ensemble des éléments de nature médicale ou non (article L4624-7), des avis, propositions, conclusions écrites ou prescriptions émises par le médecin du travail.

La contestation peut viser l’étude de poste ou l’étude des conditions de travail, si la date des études n’est pas précisée dans l’avis d’inaptitude.

Elle peut avoir pour finalité d’obtenir la communication des éléments médicaux sur lesquels reposent des avis, propositions ou conclusions écrites du médecin du travail.

Dans la nouvelle procédure, la décision du Conseil de Prud’Hommes se substitue aux avis, propositions ou conclusions écrites ou indications du médecin du travail, ce qui constitue d’une certaine manière un retour à la case départ.

Le changement est notoire puisqu’il permet au Conseil de Prud’Hommes, lorsqu’il n’entendra pas solliciter les lumières du médecin-inspecteur du travail, de décider seul de confirmer ou d’infirmer l’avis du médecin du travail.

Depuis le 1er janvier 2018, les honoraires et les frais liés à la mesure d’instruction restent à la charge du perdant sauf si le Conseil de Prud’hommes juge opportun d’en mettre la totalité ou une partie à la charge de l’autre partie. (Article L4624-7)

Autrement dit, les frais d’expertise peuvent être mis à la charge du salarié ou de l’employeur, peu importe qui a pris l’initiative de la procédure, alors que l’objet de la contestation vise la décision d’un tiers, en l’espèce le médecin du travail : comprenne qui pourra !

Seule l’épreuve du temps permettra de jauger l’utilité d’une énième réforme en la matière.

ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE

La jurisprudence contribue largement à la construction du droit de l’inaptitude :

1/ en matière d’articulation avec d’autres procédures de licenciement par trois arrêts du 20 décembre 2017.

2/ en matière de consultation des délégués du personnel.

Articulation des procédures

La Cour de cassation précise clairement que dès l’instant où un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, il ne peut être licencié qu’au regard des conséquences de cette inaptitude et de l’impossibilité de reclassement, excluant ainsi tout licenciement pour faute de nature disciplinaire. (Cass. Soc. 20 dé- cembre 2017 n° 16-14983)

L’employeur doit respecter la procédure liée à l’inaptitude en cours de licenciement économique. (Cass.Soc. 20 décembre 2017 n° 16-11201)

Il peut enfin licencier une salariée déclarée inapte à l’issue de son congé maternité à condition de mentionner impérativement dans la lettre de licenciement, outre le motif de l’inaptitude et de l’impossibilité de reclassement, un des deux motifs légaux tirés soit de l’impossibilité de maintenir le contrat non inhérent à la personne du salarié, ou de la faute grave, ce que ne prévoit nullement le modèle-type proposé par le décret n° 2017/1702 du 15 décembre 2017 (Cass. Soc.7 décembre 2017 n° 16-23190). À bon entendeur salut !

Consultation des délégués du personnel ou du CSE

En cas d’inaptitude d’origine professionnelle ou non, la consultation des DP ou du futur CSE est obligatoire dans le cadre de l’obligation de reclassement (article L 1226-2 et L 1226- 10 CT) sous peine de rendre le licenciement sans cause réelle ni sérieuse avec une indemnisation d’un montant de six mois de salaire minimum, sauf si l’avis d’inaptitude porte la mention « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou «l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Mais quid du moment et des informations à transmettre ?

A quel moment ?

– avant de proposer un reclassement si l’employeur consulte les DP ou le CSE après avoir déjà proposé le reclassement aux salariés qui le refusent. Sinon la consultation est réputée tardive et le licenciement sera déclaré sans cause réelle ni sérieuse (Cass.soc.7 décembre 2017, n° 16-21814).

En revanche, en présence de deux propositions de postes distincts successivement présentées, la consultation peut avoir lieu entre les deux propositions (Cass. Soc. 16 mars 2016 n° 14-13986) à condition que la tentation du revirement ne gagne pas les esprits ! Alors, prudence !

– avant d’engager la procédure de licenciement, autrement dit avant de convoquer à l’entretien préalable en cas d’impossibilité de reclassement. (Cass. Soc. 22 nov. 2017 n° 16-19437)

Quelles informations ?

Des informations marquées du sceau de l’utilité et de la loyauté, ce qui implique de ne rien dissimuler et de transmettre notamment toute indication du médecin du travail sur les aptitudes résiduelles du salarié, même si elle est formulée dans un courrier postérieur à l’avis d’inaptitude (Cass. Soc.7 décembre 2017 n° 16-19890). Nul doute que le droit de licencier pour inaptitude est devenu une vraie spécialité !

Actualités

NOUVELLE PROCÉDURE DE PRÉCISION DES MOTIFS DU LICENCIEMENT

Un décret d’application en date du 15 décembre 2017 fixe les délais et conditions dans lesquelles les motifs de licenciements peuvent être précisés.

Rappelons que l’ordonnance numéro 2017–1387 du 22 septembre 2017 avait offert à l’employeur la possibilité de préciser la motivation de la lettre de licenciement à la demande du salarié.

Cette évolution louable est destinée à restreindre la portée d’une jurisprudence suivant laquelle l’imprécision des motifs contenus dans la lettre de licenciement équivalait à une absence de motif.

En d’autres termes, la lettre de licenciement fixant les limites du litige, une fois le licenciement notifié, l’employeur ne pouvait plus réparer l’erreur résultant d’une insuffisance de motivation.

La nouvelle procédure, précisée par le décret du 15 décembre est la suivante :

– Dans les 15 jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut demander à l’employeur par LRAR des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre ;

– L’employeur dispose à son tour de 15 jours pour communiquer au salarié dans les mêmes formes ses précisions. L’employeur peut également de sa propre initiative et dans le même délai préciser sa motivation.

Attention, l’employeur ne peut toutefois pas « compléter » la motivation mais seulement la « préciser » ; il devra donc rester particulièrement vigilant dans la rédaction de sa lettre initiale.

L’évolution majeure réside dans les conséquences qui sont attachées au silence gardé par le salarié dans les 15 jours suivants la réception de sa lettre de licenciement.

En effet, à défaut d’avoir formé auprès de son employeur une demande de précision de la motivation, une lettre imprécise constituera seulement une irrégularité. Celle-ci (c’est là l’évolution majeure) ne prive plus à elle seule le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

L’employeur devra donc se montrer particulièrement diligent si le salarié sollicite dans les 15 jours une demande de précision du motif, faute de quoi la jurisprudence précitée trouvera à s’appliquer, entraînant la sanction d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il est fort probable que les salariés n’aient pas le réflexe d’user de cette nouvelle possibilité, mais encore faut-il qu’ils n’en aient pas été informés à la lecture de leur lettre de licenciement…

Les modèles de lettre de notification du licenciement mis à disposition des employeurs mentionnent pourtant le rappel de ce dispositif.

Il n’est pas certain que donner cette information aux salariés soit opportune et il paraît peu probable que les juges puissent sanctionner l’employeur à raison de cette omission dès lors que celle-ci ne figure pas au rang des mentions obligatoires.

Si l’objectif de cette mesure est louable, on peut regretter qu’elle vienne quelque peu complexifier la procédure de licenciement.

N’aurait-il pas été plus judicieux d’offrir la possibilité à l’employeur de préciser sa motivation jusqu’au jour du jugement devant le Conseil de Prud’hommes ?

Jurisprudence

RECOURS SUCCESSIFS AUX CDD DE REMPLACEMENT : LA COUR DE CASSATION TEMPÈRE SA JURISPRUDENCE
Cass. Soc. 14 février 2018, N°16-17966

L’article L 1242-1 du Code du travail dispose qu’un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

En application de cet article, la Cour de cassation avait pour habitude de se montrer très sévère avec les pratiques consistant à recruter successivement le même salarié suivant CDD à chaque nouveau besoin de remplacement.

La sanction était, en effet, jusque là quasi-systématique et l’entreprise voyait les relations contractuelles ainsi conclues requalifiées en CDI.

Par un arrêt en date du 14 février 2018, la Chambre sociale, sous l’influence du droit de l’Union Européenne, est venue assouplir sa position.

Une salariée avait été embauchée en tant qu’agent de service suivant plus d’une centaine de CDD de remplacement sur une période de près de trois ans et demi.

La Cour d’appel avait fait droit à sa demande de requalification en estimant que l’entreprise ayant un effectif important, elle était nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents.

La Cour de cassation casse une telle décision en reprenant à son compte l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendu le 26 janvier 2012 (CJUE, 26 janvier 2012, n°C586/10).

Elle souligne en effet que « le seul fait pour l’employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

En d’autres termes, une entreprise ayant un effectif important doit nécessairement procéder fréquemment à des remplacements temporaires, si bien que le recours récurrent à des CDD de remplacement pour un même salarié ne signifie pas pour autant que les contrats sont abusifs.

La Cour de cassation donne ainsi une nouvelle orientation à sa jurisprudence en invitant les juges à apprécier avec minutie les circonstances objectives de conclusion des CDD et à prendre notamment en considération « la nature des emplois successifs occupés » et « la structure des effectifs ».
Il s’agit d’une évolution jurisprudentielle notable qui s’inscrit dans la lignée des ordonnances MACRON permettant aux conventions ou accords de branche étendus de déroger au Code du travail en matière de durées, de renouvellements et de successions des CDD.

 

Bulletin rédigé par Maître Vincent COTTEREAU, Maître Nicolas SONNET et Maître Clément BOUCHERON –
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