Bulletin JSA – JANVIER FEVRIER 2018
Bulletin rédigé par Maître Sylvie RUEDA SAMATSELARL RINGLE ROY & ASSOCIES
46 rue Saint Jacques
13006 MARSEILLE
Editorial
LA RUPTURE CONVENTIONNELLE COLLECTIVE DÉMARRE FORT !
C’était l’une des mesures phares annoncées dans les ordonnances réformant le Code du travail en 2017 : la rupture conventionnelle collective (RCC ou R2C).
Dix jours seulement après son entrée en vigueur, la chaîne de prêt-à-porter PIMKIE et le constructeur automobile PSA ont annoncé leur souhait d’utiliser ce nouveau mode de rupture du contrat de travail au même titre que le quotidien Le Figaro, l’hebdomadaire Les Inrocks ou encore la firme informatique IBM.
La Société Générale a également décidé de franchir le pas et a annoncé le 19 janvier dernier sa volonté d’ouvrir avec les représentants du personnel « une négociation concernant un projet d’accord portant sur un dispositif de rupture conventionnelle collective (RCC) ».
La banque au logo rouge et noir souhaite ainsi réorganiser son réseau et mettre en œuvre, ainsi qu’elle l’avait annoncé fin novembre, la fermeture de 300 agences et la suppression de 900 postes supplémentaires d’ici 2020.
Ce dispositif issu de ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail modifiée par l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 est applicable aux accords dont la négociation débute à compter du 23 décembre 2017, date d’entrée en vigueur du décret n° 2017- 1724 du 20 décembre 2017, relatif à la mise en œuvre des ruptures d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif.
Alors même que le cadre juridique de la rupture conventionnelle collective est susceptible d’évoluer avec la loi de ratification des ordonnances, l’application immédiate de cette mesure, malgré son succès, n’est pas sans susciter quelques interrogations.
Actualités
LA RUPTURE CONVENTIONNELLE COLLECTIVE : UN DISPOSITIF AUTONOME QUI REPREND LES MÉCANISMES DU PLAN DE DÉPARTS VOLONTAIRES (PDV)
A côté des plans de départs volontaires issus d’un PSE dont l’objectif est d’éviter des licenciements pour motif économique, et du congé de mobilité résultant d’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) dont l’objet est de favoriser le recours à un emploi stable par des mesures d’accompagnement, des actions de formation et des périodes de travail, l’ordonnance n 2017-1387 du 22 septembre 2017 introduit dans le Code du travail, la rupture conventionnelle collective (articles L. 1237-19 à L. 1237-19-14 du Code du travail).
Ce nouveau dispositif reprend le mécanisme du plan de départs volontaires (PDV).
Ainsi que le relève le Professeur ANTONMATTEI dans la Revue de Jurisprudence Sociale parue en février 2018 (1) :
« D’emblée s’est posée la question de la cohabitation de cette nouvelle formule avec le PDV accompagné d’un PSE qui exclut tout licenciement pour atteindre le nombre annoncé de suppressions. L’enjeu est important puisque la rupture conventionnelle collective n’est accessible que par un accord collectif alors qu’un PDV-PSE unilatéral est permis ».
Celui-ci conclut:
« Le changement de vocable ne trompe pas : c’est bien le plan de départs volontaires qui est concerné, le projet d’ordonnance présenté le 31 août 2017 utilisant même cette expression. A l’instar de l’ancien PDV, la rupture conventionnelle collective exclut « tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois ». En revanche, des départs volontaires dans le cadre d’un PSE mis en place en application d’une procédure de licenciement pour motif économique restent possibles : ces ruptures d’un commun accord ne sont pas alors soumises aux règles de la rupture conventionnelle homologuée comme le prévoit, depuis 2008, l’article L 1237-16 du Code du travail».
La référence dans le projet d’ordonnance au plan de départs volontaires était justifiée au regard de son contenu et de ses effets. Mais cette terminologie n’a pas été reprise dans l’ordonnance définitive. En préférant le terme « rupture conventionnelle collective», le législateur a souhaité marquer une césure avec la procédure de licenciement économique.
Ce dispositif étant exclusif de tout licenciement pour motif économique et donc de la mise en oeuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’utilisation du terme «plan de départ volontaire autonome» pouvait créer une certaine confusion, d’autant que les plans de départs volontaires autonomes intervenant pour des raisons économiques continuent d’exister.
Comme le souligne le Professeur ANTONMATTEI dans l’article précité: «Selon nous les deux dispositifs sont appelés à cohabiter. Cette cohabitation favorise le traitement des difficultés de l’entreprise et ses besoins de transformation».
Contrairement au plan de départs volontaires, la R2C est détachée de tout motif économique et de toute obligation de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
La R2C n’a pas à être justifiée par un motif économique ni à se conformer à la procédure légale appliquée au licenciement pour motif économique.
Ce dispositif doit s’analyser comme un des trois dispositifs légaux permettant de réaliser des mobilités volontaires externes. De ce fait, elle se situe entre la mobilité externe organisée dans le cadre d’un accord de GPEC et les départs volontaires organisés dans le cadre d’un plan de départs volontaires.
L’accord collectif est au cœur de ce nouveau dispositif.
A défaut de mention expresse dérogatoire, cet accord suit le régime de droit commun applicable à la négociation collective.
Il est néanmoins permis de s’interroger sur les modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de conseil d’entreprise.
Selon le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance instituant la R2C, l’objectif est « de favoriser la conclusion de tels accords permettant d’adapter les compétences aux enjeux évolutifs de l’entreprise tout en répondant à des aspirations individuelles de salariés concernant leur parcours professionnel ».
En conséquence :
– Le dispositif est à la seule initiative de l’employeur,
– Il est déconnecté de toute justification économique,
– Il est ouvert à toutes les entreprises quelle que soit leur taille,
– Le recours à la R2C est exclusivement basé sur le volontariat : la rupture du contrat de travail qui intervient dans le cadre d’un tel accord ne peut pas être imposée ni par l’employeur ni par le salarié.
La Direccte dont relève l’entreprise doit être informée sans délai, par voie dématérialisée, de l’ouverture d’une négociation en vue de cet accord.
L’accord portant R2C doit déterminer :
– Les modalités et conditions d’information du comité social et économique et dans l’attente de la mise en place de cette instance unique du CE ou le cas échéant des délégués du personnel ;
– Le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois, et la durée de mise en œuvre de la R2C ;
– Les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier ;
– Les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ des salariés, comprenant les conditions de transmission de l’accord écrit du salarié au dispositif prévu par l’accord collectif ;
– Les critères de départage entre les potentiels candidats au départ ;
– Les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement étant précisé qu’afin de garantir l’attractivité de ce dispositif, un régime d’exonération fiscales et sociales va être mis en œuvre ;
– Des mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;
– Les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l’accord portant rupture conventionnelle collective.
Une fois conclu, l’accord doit être transmis par voie dématérialisée à la Direccte, pour validation. Celle-ci dispose d’un délai de 15 jours, à compter de la réception de l’accord pour notifier sa décision à l’employeur, au comité social et économique et aux signataires de l’accord.
L’absence de réponse dans ce délai vaudra décision implicite d’acceptation de validation.
Dans ce cas, l’employeur devra transmettre une copie de sa demande de validation en y annexant l’accusé réception de la Direccte, au comité économique et social (ou au CE ou le cas-échéant aux délégués du personnel et aux organisations syndicales signataires de l’accord).
Les salariés doivent être informés par voie d’affichage sur leurs lieux de travail ou par tout autre moyen permettant de conférer date certaine à cette information (Article. L 1237-19-4, al. 4 du Code du travail).
En cas de refus de validation par l’administration, l’employeur qui souhaite reprendre son projet présente une nouvelle demande après y avoir apporté les modifications nécessaires et informé le comité social et économique (ou, si le CSE n’est pas encore mis en place, le comité d’entreprise ou, le cas échéant, les délégués du personnel).
Le suivi de la mise en œuvre de l’accord doit faire l’objet d’une consultation régulière et détaillée du comité social et économique dont les avis sont transmis à la Direccte qui est également associée au suivi de ces mesures et reçoit un bilan, établi par l’employeur.
L’acceptation par l’employeur de la candidature du salarié au départ volontaire emporte rupture du contrat de travail d’un commun accord des parties.
Les salariés protégés sont éligibles à la R2C, mais la rupture d’un commun accord de leur contrat est soumise à l’autorisation de l’inspecteur du travail dans les conditions de droit commun. La rupture de leur contrat de travail ne peut intervenir que le lendemain du jour de cette autorisation (Article L 1237-19-2, al. 2 du Code du travail).
La rupture du contrat de travail ouvre naturellement droit pour le salarié :
– Aux indemnités de rupture convenues dans l’accord ;
– Aux allocations d’assurance chômage, sous réserve de remplir toutes les autres conditions, d’aptitude et de recherche d’emploi notamment, pour en bénéficier (Article L 5421-1 du Code du travail).
Jurisprudence
L’EMPLOYEUR N’EST PAS TENU DE METTRE EN OEUVRE UN PSE À LA SUITE DU REFUS DE VINGT ET UN SALARIÉS DE VOIR MODIFIER LEUR CONTRAT DE TRAVAIL POUR MOTIF ÉCONOMIQUE ET D’ÊTRE MUTÉS
(Cassation sociale 24-01-2018, n° 16-22.940)
En l’espèce, la société avait modifié son projet de réorganisation pour maintenir une partie de son activité et des emplois sur site, et avait procédé à une nouvelle consultation des représentants du personnel sur un projet de licenciement collectif concernant moins de dix salariés. La Cour d’appel a jugé que le licenciement du salarié n’était pas nul ou à tout le moins dénué de cause réelle et sérieuse et l’a débouté de sa demande de condamnation de la société au paiement de dommages et intérêts.
Saisie d’un pourvoi du salarié, la Cour de cassation l’a rejeté après avoir rappelé que l’article L. 1233-25 du Code du travail ne fait obligation à l’employeur (de plus de 50 salariés) de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l’emploi que lorsque dix salariés au moins ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à l’article L. 1233-3 et que le licenciement est envisagé.
L’EMPLOYEUR NE PEUT PAS CONSULTER LE COMPTE FACEBOOK DU SALARIÉ, MÊME VIA UN MOBILE PROFESSIONNEL
(Cassation sociale 20-12-2017, n° 16-19.609, Sté Jesana c/ H)
Bien que rendu en formation restreinte et non publié, l’arrêt retient l’attention.
En l’espèce, l’employeur avait, par constat d’huissier, extrait des informations du compte Facebook du salarié partie au litige, à partir du téléphone portable professionnel d’un autre salarié autorisé à consulter les publications de ce compte.
L’employeur, au soutien de son pourvoi, faisait valoir notamment que l’utilisation du téléphone portable professionnel étant présumée professionnelle, l’employeur pouvait légitimement consulter les informations contenues dans celui-ci et les utiliser pour assurer sa défense dans le cadre du litige prud’homal l’opposant au salarié.
La Cour de cassation rejette cet argument. En effet, l’accès aux informations litigieuses était réservé aux personnes autorisées, ce que n’était pas l’employeur. La Cour d’appel a donc pu en déduire que ce dernier ne pouvait pas y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée du salarié, peu important qu’elles aient été obtenues par constat d’huissier à partir d’un téléphone portable professionnel.
CLAUSE DE NON-CONCURRENCE : PAS DE MINORATION DE LA CONTREPARTIE FINANCIÈRE EN FONCTION DES CIRCONSTANCES DE LA RUPTURE
(Cassation sociale 18-01-2018, n° 15-24.002)
Le montant de la contrepartie financière à une clause de non-concurrence ne pouvant être minoré en fonction des circonstances de la rupture, le salarié qui a opté pour la rupture conventionnelle de son contrat bénéficie de la contrepartie prévue par la convention collective applicable à la relation de travail, peu important que celle-ci n’envisage que les hypothèses de licenciement et de démission.
La haute juridiction censure ici la Cour d’appel qui avait refusé à la salariée le bénéfice de la contrepartie financière de la clause de non concurrence prévue à l’article 8-5-1 de la convention collective des experts-comptables, dans son ancienne version, qui ne prévoyait cette contrepartie qu’en cas de licenciement ou de démission.
Bulletin rédigé par Maître Sylvie RUEDA-SAMAT – SELARL RINGLE ROY & Associés
46, rue Saint-Jacques 13006 MARSEILLE