Bulletin JSA – AOUT SEPTEMBRE 2017
Bulletin rédigé par Maître Jean Michel CHARBIT
Juripole
6 rue Paladilhe
34000 MONTPELLIER
EDITORIAL
INDEMNITÉS PRUD’HOMALES : « EN MARCHE POUR L’ABANDON DU PRÉJUDICE NÉCESSAIRE »
Par son arrêt en date du 16 avril 2016, la Chambre sociale de la Cour de cassation a abandonné la notion de préjudice nécessaire pourtant dégagée deux décennies auparavant par cette même juridiction.
Pour rappel, ce mécanisme permettait aux salariés, dans certaines hypothèses, d’être automatiquement indemnisés du seul fait d’un manquement patronal constaté au motif « d’un préjudice nécessairement causé ».
Ce revirement majeur avec une jurisprudence pourtant bien établie témoigne de la libéralisation ou macronisation de notre Droit du travail tant désirée par nombre d’acteurs de notre société et amorcée par la loi Macron.
JUSQU’AU 16 AVRIL 2016 UNE INSOUMISSION AU DROIT CIVIL ET À LA CONSTITUTION
Jusqu’à cette date, les Haut-Magistrats, dans leur jurisprudence, s’étaient efforcés, au mépris des règles civilistes et même de la Constitution, de développer cette notion particulièrement protectrice des salariés.
A) Une approche décriée et originale…
La controverse associée à cette notion provenait de sa méconnaissance des exigences civilistes et constitutionnelles en matière de Droit de la responsabilité.
• Une entorse au droit commun de la responsabilité
a) L’irrespect assumé de l’article 1240 du Code civil
En énonçant que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. », l’article 1240 du Code civil pose le principe qu’un préjudice n’est réparable qu’a condition que celui qui s’en prévaut rapporte l’existence d’une faute ayant causé ledit préjudice et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.
En exonérant, dans certaines hypothèses, le salarié de la démonstration de cette trinité civiliste, la Chambre sociale venait s’écarter de cette exigence fondatrice du Droit civil de la responsabilité.
b) Conséquence de cette inobservation des principes civilistes : l’inconstitutionnalité de la notion de préjudice nécessaire.
Par une décision du 9 novembre 1999 numéro 99-419, le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé les règles énoncées par l’article 1240 du Code civil.
Or, en les écartant volontairement, la chambre sociale de la Cour de cassation a fait émerger durant deux décennies une jurisprudence pour le moins contestable car contraire à la Constitution…
B) … Mais justifiée par les Spécificités du Droit du travail.
Contestée, cette notion visait à tempérer le déséquilibre des relations de travail en sanctionnant automatiquement pécuniairement certains comportements fautifs de l’employeur.
Réciproquement, ce mécanisme entendait inciter, dans ces hypothèses, le salarié à faire valoir ses droits en lui octroyant systématiquement des sommes compensant les préjudices subis.
a) Un mécanisme coercitif à l’endroit des employeurs
Conçue initialement pour sanctionner l’irrespect par l’employeur de la procédure de licenciement, cette notion a ensuite été étendue par les jurisprudences successives à d’autres hypothèses.
Ainsi, furent déclarés comme causant un préjudice nécessaire:
– l’absence de visite médicale d’embauche et l’absence de visites médicales obligatoires (Cassation sociale 5 octobre 2010 n° 09-40.913),
– le défaut d’accomplissement des diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel sans qu’un procès-verbal de carence soit établi. (Cassation sociale 17 mai 2011 n° 10-12.852),
– l’absence de mention dans le bulletin de paie de la convention collective applicable. (Cassation sociale 19 avril 2004 n° 02-44.671),
– la stipulation dans le contrat de travail d’une clause de non-concurrence se révélant, lors de sa mise en oeuvre, nulle (Cassation sociale 12 janvier 2011 n° 08-45.280).
b) Symétriquement une notion curative pour les salariés
Par ce concept, la Cour de cassation entendait encourager les salariés à poursuivre leur employeur en leur octroyant, peu importe l’issue du litige, une somme venant au minimum couvrir les frais de justice ainsi engagés.
Cette idée traduisait la volonté permanente des Hauts-Magistrats de réduire, au profit du salarié, le déséquilibre inhérent aux relations de travail.
• A partir du 16 avril 2016: « Le changement c’est maintenant »
Rompant avec deux décennies de construction jurisprudentielle, la Cour de cassation opère par cet arrêt du 16 avril 2016 un abandon de la notion de préjudice» nécessaire ».
Ce revirement majeur appelle deux séries d’observation: l’alignement sur le régime du Droit commun de la responsabilité des hypothèses jusqu’alors régies par ce mécanisme puis la réaffirmation d’un changement de paradigme dans la réglementation du travail.
En initiant par cette solution l’abandon généralisé du préjudice « nécessaire », la Cour a plongé dans l’insécurité juridique les situations jusqu’alors réglées par ce mécanisme.
En effet, cet abandon étend isolé ou appelait-il à être systématisé ?
Conscients du flou juridique ainsi soulevé, les juges de Cassation sont venus, dans des arrêts postérieurs, préciser la portée de leur arrêt du 16 avril 2016.
• L’absence de préjudice certain en cas d’inobservation de la procédure de licenciement
En estimant qu’un tel contentieux ne cause plus de préjudice nécessaire, la Cour de cassation scelle l’abandon définitif de cette notion.
Confortant la dynamique initiée par leur arrêt du 16 avril 2016, la Cour de cassation considère que ne constituent plus un préjudice certain :
– le défaut de mention de la convention collective sur le bulletin de paie (Cassation sociale 17 mai 2016 n° 14-21.872),
– l’absence de visite médicale d’embauche et de reprise (Cassation sociale 17 mai 2016 n° 14-21.872),
– la délivrance tardive de l’attestation pôle emploi et du certificat de travail (Cassation sociale 22 mars 2017 n° 16-12.930),
– la stipulation d’une clause de non-concurrence s’avérant, lors de sa mise en oeuvre, illicite (Cassation sociale 25 mai 2016 n° 14-20.578).
Ainsi, dans les contentieux où s’appliquait le notion de préjudice nécessaire, le salarié, pour obtenir gain de cause, devra se conformer aux règles de Droit civil de la responsabilité en démontrant l’existence du triptyque faute-préjudice lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Au-delà de ces incidences significatives sur le Droit du travail, le glas de cette notion serait-elle symptomatique de l’émergence d’un nouvel horizon en Droit du travail ?
Actualités
LE DROIT DU TRAVAIL À L’ÉPREUVE DES « ORDONNANCES MACRON »: APERÇU DES PRINCIPALES MESURES
Surfant sur la dynamique de li libéralisation du Droit du travail insufflée par la Loi El Khomri, le gouvernement entend aménager profondément le Droit du travail via les désormais célèbres « Ordonnances Macron qui devraient être au nombre de neuf et présentées au Conseil des Ministres du 20 septembre prochain.
Bien qu’affectant l’ensemble de la législation sociale, ces réformes concernent essentiellement la question de la primauté de l’accord d’entreprise (I), la refonte de la représentation du personnel (II) et la sécurisation des contentieux sociaux par la « barémisation » des indemnités prud’homales (Ill).
I) La généralisation de la primauté des accords d’entreprise
Initiée par la Loi Travail, cette dynamique sera poursuivie par ce projet en élargissant les domaines dans lesquels les accords d’entreprise fixeront les règles applicables.
Toutefois, ce « pouvoir législatif » conféré aux entreprises sera assorti d’une pluralité de gardes-fous.
Plus précisément, pour préserver l’ordre social public, le projet limitera cette primauté des accords d’entreprise en :
– Accordant, dans certains pans du Droit du travail, la possibilité pour les accords de branche d’autoriser ou non les accords d’entreprise à déroger aux règles fixées, dans ces domaines sociaux, par les accords de branche.
– Conservant des domaines où continueraient de prévaloir les règles prévues par les accords de branche et les accord professionnels ou interprofessionnels.
– Préservant dans toutes les matières du Droit du travail régulables par accord d’entreprise, l’impossibilité pour les accords d’entreprise de prévoir des règles moins favorables que les standards fixés ,matière par matière, par le Code du travail.
II) La simplification de la représentation du personnel
A) La rationalisation par le regroupement des instances représentatives du personnel
Amorcée par la loi Rebsamen, cette refonte est reprise par les « Ordonnances Macron via le projet de fusionner en une seule instance représentative du personnel le CHSCT, le Comité d’entreprise et les Délégués du personnel.
En outre, cette entité, résultant de la fusion du CHSCT, du Comité d’entreprise et des Délégués du personnel, pourrait, sous certaines conditions, négocier des conventions et accords d’entreprise ou d’établissement.
B) L’amélioration de la représentation du personnel dans les Très Petites Entreprises (TPE)
Impulsée par la Loi Travail en créant les Comités Paritaires Régionaux, cette tendance sera amplifiée en redéfinissant les conditions de mise en place, la composition ainsi que les modalités de fonctionnement des Comités Paritaires Régionaux.
Par ailleurs, les Ordonnances énonceraient les critères et conditions dans lesquels des clauses de convention de branche pourraient être appliquées et adaptées dans les TPE.
III) Prévoyance du risque contentieux: la « barémisation » des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Afin d’anticiper les conséquences indemnitaires d’une condamnation pour licenciement abusif, l’Ordonnance instaurerait un barème auquel devrait impérativement se reporter le juge lors du prononcé d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Toutefois, ce barème serait écarté en cas de licenciement nul en raison de discrimination ou de faits de harcèlement.
Jurisprudence
CASSATION SOCIALE, 03 FÉVRIER 2017, NUMÉRO 15-11-433.MONSIEUR X/SOCIÉTÉ ACMEX PROTECTION
L’article L 1331-1 du Code du travail définit la notion de sanction disciplinaire en ces termes :
« Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».
En d’autres termes, ne relève du pouvoir disciplinaire, qu’un écrit par lequel l’employeur reproche un manquement et dont la notification au salarié est de nature à affecter la situation de l’intéressé dans l’entreprise.
En l’espèce, le litige concernait la portée d’une lettre par laquelle un employeur indiquait à un salarié sa déception eu égard à son comportement et mentionnait implicitement que l’attitude ainsi dénoncée compromettrait sa carrière au sein de la société.
Plus précisément, un courrier ainsi rédigé «Je vous informe que la confiance que j’avais placé en vous est largement entamée pour les trois faits suivants (…) Votre attitude, compte tenu de votre position dans l’entreprise, devrait être exemplaire, » se rattache-t-il au pouvoir de sanction disciplinaire de l’employeur ou seulement à ses prérogatives de direction ?
Par un arrêt datant du 03 février 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère qu’une telle lettre doit s’analyser en une sanction disciplinaire.
Les Hauts-Magistrats estiment en effet que la motivation ainsi que la portée de ce courrier vis à vis de la situation de l’intéressé dans la société lui confère le caractère de sanction disciplinaire.
CONSEIL D’ÉTAT, 05 DÉCEMBRE 2016, NUMÉRO 394.178
Bien que le Code du travail ne fasse nullement mention de l’interdiction de consommer de la drogue sur le lieu de travail, l’employeur ne peut ignorer ce risque.
En d’autres termes, il incombe à l’employeur de se saisir de cette problématique au regard de son obligation de sécurité.
À cet effet, les juridictions suprêmes tant administratives que civiles ont, par leur jurisprudence, doté les employeurs d’outils destinés à les prémunir contre cette menace.
C’est dans cette logique que s’inscrit un arrêt du 05 décembre 2016 par lequel le Conseil d’Etat autorise, sous certaines réserves, l’employeur à dépister lu-même un salarié qui suspecte d’être sous l’empire de stupéfiants.
En l’espèce, le contentieux portait sur la licéité d’un règlement intérieur prévoyant que certains salariés pouvaient se voir dépister inopinément durant leurs heures de travail par un de leur supérieur hiérarchique.
En outre, en cas de résultat positif à ce test, ce règlement permettait de sanctionner le salarié concerné.
Le Conseil d’ Etat a ainsi admis la légalité d’un tel règlement tout en affinant sa jurisprudence en matière de détections de drogues au sein des entreprises.
– En premier lieu, la Haute-Juridiction a estimé qu’un test salivaire de détection immédiate de produits stupéfiants ayant pour seul objet de révéler, par une lecture instantanée, l’existence d’une consommation récente de substance stupéfiante, ne revêt pas le caractère d’un examen de biologie médicale et ne relève ainsi pas des actes devant être réalisés par un biologiste médical ou sous sa responsabilité.
– Par ailleurs, les Hauts-Magistrats considèrent que, du fait que les tests susmentionnés n’ont pas pour finalité d’apprécier l’aptitude médicale des salariés à exercer leur emploi, leur mise en oeuvre ne nécessite pas davantage l’intervention d’un médecin du travail.
Autrement dit, l’employeur peut personnellement ou via un encadrant procéder à des dépistages inopinés à l’endroit de salariés soupçonnés d’être sur le lieu de travail sous l’emprise de psychotropes.
Le Conseil d’Etat a de plus précisé les critères de validité d’un règlement intérieur autorisant ce type de dépistage.
Ce dernier devra satisfaire trois conditions cumulatives :
– Les tests ne doivent concerner qu’une population de salariés déterminée.
Ce « bassin de dépistage » ne recouvre que les postes peur lesquels une défaillance humaine, ou même un simple défaut de vigilance peut entraîner des conséquences graves pour 1’intéressé et/ou pour les tiers.
Ces postes dis « à risques » sont déterminés par commun accord entre l’employeur, le CHSCT et les services de santé au travail.
En outre, ces postes à risques doivent faire l’objet d’une liste annexée au règlement intérieur autorisant ce dispositif particulier de dépistage.
– En cas de résultat positif, un droit à contre-expertise médicale doit être prévu.
Ce droit doit notamment permettre à tout salarié contrôlé positif de bénéficier d’une contreexpertise médicale intégralement prise en charge par l’employeur.
– Le salarié dépisté bénéficie du droit à être assisté que ce soit lors du premier test et/ou durant l’éventuelle contre-expertise médicale.
– L’employeur et le possible encadrant pratiquant le dépistage doivent garder confidentiels les résultats du test.
En termes de sanctions, le Conseil d’Etat indique que l’ employeur peut prendre toute mesure disciplinaire qu’il estime approprier.
Ainsi, l’employeur, en se fondant sur un dépistage positif, pourrait jusqu’à licencier pour faute grave l’intéressé.
Toutefois, les salariés susceptibles d’être dépistés inopinément devront être préalablement informés qu’ils sont susceptibles au regard de leur poste d’être ainsi contrôlés.
Bulletin rédigé par Maître Jean-Michel CHARBIT, Avocat,
JURIPOLE- 6. rue Palactilhe 34000 MONTPELLIER