Bulletin JSA – JANVIER FÉVRIER 2017
Bulletin rédigé par Maitres Marie-France THUDEROZ et Yves BOULEZ
Cabinet SOCIAL JURISTE
Avocats au Barreau de LYON
22 Place Bellecour
69002 LYON
Editorial
UN CODE DU TRAVAIL EN SURPOIDS, BIENTÔT OBÈSE !
De « l’emballement législatif » (cf. notre précédent bulletin) à la boulimie, il n’y a qu’un pas, déjà franchi sans doute.
Jugé trop volumineux par tous, promis depuis longtemps à une sévère cure d’amaigrissement, le nouveau régime « Loi Travail » est il le bon ?
Rappelons que la nouvelle tendance « alimentaire » initiée par cette loi, sur les bons conseils du rapport Combrexelle, consiste à découper chaque parcelle de notre Code en trois sous-parties :
> 1ère sous-partie « Ordre public » regroupant les dispositions impératives auxquelles il n’est pas possible de déroger dans un sens défavorable au salarié ;
> 2ème sous-partie « Champ de la négociation collective » délimitant le périmètre laissé aux partenaires sociaux ;
> 3ème sous-partie « Dispositions supplétives » s’appliquant à défaut de convention ou d’accord collectif ayant investi l’espace offert par la 2ème sous-partie.
Alors que notre glouton pouvait parfois se montrer raisonnable en se contentant d’un plat unique, voilà qu’il passe systématiquement à trois plats.
Illustration concrète : Les congés pour événements familiaux dont le nombre d’articles a plus que doublé depuis cet été en passant de deux (L 3142-1 et L 3142-2) à cinq (L 3142-1 à L 3142-5) sans que le fond n’en soit vraiment modifié, étant rappelé que la rédaction antérieure n’a jamais soulevé de difficulté majeure d’interprétation, tout le monde s’accordant à appliquer la disposition la plus favorable entre la loi et la convention collective. (Exemple : le congé pour Pacs accordé depuis peu par la loi et absent de la plupart des conventions collectives de branche ou, à l’inverse, un congé pour mariage plus long dans la convention collective que les quatre jours accordés par la loi).
Non seulement le nombre d’articles a augmenté, mais le contenu global de la rédaction aussi. La « balance Word » ne s’y trompe pas, affichant désormais une page et demi alors qu’auparavant une demi-page suffisait pour écrire à peu près la même chose.
Certes, la présentation est plus « esthétique », car bien ordonnée selon la nouvelle architecture choisie, mais l’accès à l’information n’est pas plus rapide pour autant, loin s’en faut.
Là où, avant l’été, la lecture du seul article L 3142-1 suffisait pour avoir connaissance des événements ouvrant droit à un congé et la durée accordée dans chaque cas, il faut maintenant en lire trois :
• L’article L 3142-1 qui liste les événements mais pas les durées,
• L’article L 3142-4 qui liste les durées minimales auxquelles un accord collectif ne peut pas déroger défavorablement,
• Et enfin, l’article L 3142-5 pour comprendre que les durées énoncées à l’article précédent sont également celles qui s’appliquent à défaut d’accord collectif.
L’esthétique d’abord, le fonctionnel ensuite !
Malheureusement, le cas n’est pas isolé, le nombre bien sûr, mais aussi la lecture qui s’ordonne désormais en trois temps et trois mouvements dans toutes les parties réécrites selon la logique du nouveau menu.
Chacun l’aura compris, notre Code du travail n’est pas prêt de perdre du poids et l’addition n’en est pas moins salée !
Actualité
LOIS REBSAMEN ET EL KHOMRI (LOI TRAVAIL) : LE CHANGEMENT C’EST MAINTENANT
Depuis le 1er janvier 2017, de nombreux dispositifs issus de ces textes entrent en vigueur.
Il nous est apparu nécessaire d’en faire un rappel sur les points les plus emblématiques et auxquels sont le plus souvent confrontés les chefs d’entreprise.
1/ ACCORDS D’ENTREPRISE
Le principe est que, pour être valablement conclu, un accord portant sur la durée du travail, les repos et les congés, doit à compter du 1er janvier 2017 être majoritaire, c’est-à-dire avoir été signé par des syndicats représentant plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives aux dernières élections professionnelles.
Une des mesures phares de la loi Travail est incontestablement la possibilité de valider par référendum des accords d’entreprise non majoritaires, mais ayant recueilli au moins 30 % des suffrages.
Désormais, à défaut de majorité, les syndicats signataires pourront demander l’organisation d’un référendum pour approuver un accord.
Un décret du 20 décembre 2016 en a fixé les modalités pratiques. Il a aussi fixé les conditions de consultation des salariés pour l’approbation des accords d’entreprise signés par les salariés mandatés, élus ou non, possibilité offerte par la Loi Rebsamen.
Rappelons, par ailleurs, que la loi Travail étend très significativement le principe de la primauté de l’accord d »entreprise sur l’accord de branche, s’agissant notamment du thème de la durée du travail.
Ainsi, par exemple, un accord d’entreprise pourrait fixer un taux de majoration d’heures supplémentaires inférieur à ceux que prévoient les dispositions légales et conventionnelles, dans la limite toutefois du plancher de 10%.
2/ LE DROIT À LA DÉCONNEXION
C’était devenu désormais un sujet sensible : réguler l’utilisation des outils numériques pour permettre au salarié de préserver sa qualité de vie en dehors du cadre professionnel, et donc son droit à la déconnexion.
La loi Travail du 8 août 2016 prévoit que celui-ci soit organisé dans le cadre de la négociation sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail.
3/ ELECTIONS : PARITÉ HOMMES/FEMMES
La Loi Rebsamen a notamment prévu que le protocole d’accord pré-électoral en matière d’organisation d’élections professionnelles, devait préciser la proportion de femmes et d’hommes composant chaque collège, l’employeur devant informer les salariés de ces proportions.
Il devra en résulter une parité en termes de candidatures.
De leur côté, les organisations syndicales devront pour chaque collège électoral inscrire sur leur liste de candidats un nombre de femmes et d’hommes correspondant à cette répartition des sexes.
4/ SANTÉ AU TRAVAIL
Le suivi médical des salariés est modifié, la visite d’embauche étant notamment remplacée par une simple visite d’information et de prévention.
Les visites périodiques qui étaient déjà passées d’annuelles à biennales sont supprimées ; le salarié bénéficiera dorénavant d’un suivi médical dont la fréquence est fixée par le médecin du travail sans pouvoir être supérieure à 5 ans, sauf travailleurs handicapés, travailleurs de nuit ou salariés bénéficiant d’un suivi médical renforcé pour les postes à risques (tous les 4 ans maximum).
Au titre du constat de l’inaptitude, le médecin du travail n’est plus tenu de réaliser deux examens médicaux espacés au minimum de 15 jours.
L’EMPLOYEUR PERCEPTEUR
Il est désormais de bon ton que l’Etat se décharge d’un certain nombre de ses tâches sur le secteur privé.
C’est ainsi que le médecin a souvent pris la place de l’agent de la sécurité sociale pour le traitement des dossiers. Désormais, l’employeur, déjà bien lourdement chargé et vêtu, devra se coiffer d’une casquette de percepteur.
En effet, l’article 60 de la Loi de finances pour 2017 instaure le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu à compter des revenus de l’année 2018. Celui-ci prendra la forme d’une retenue effectuée par le débiteur du salaire, c’est-à-dire l’employeur, lors du paiement de celui-ci.
La retenue sera calculée en appliquant au montant des revenus un taux de prélèvement déterminé par l’administration fiscale, communiqué à la fois au salarié et à l’employeur.
Si l’administration fiscale n’est pas en mesure de transmettre ce taux, c’est l’employeur lui même qui appliquera un taux par défaut proportionnel au salaire, déterminé selon les tranches de rémunération mensuelle.
Naturellement, des sanctions seront prévues en cas de retard de paiement, de violation du secret professionnel, de non déclaration ou de non réalisation des retenues qui auraient dû être effectuées.
Cette règle suscite de nombreuses interrogations. Qu’il nous soit permis de vous soumettre les principales :
– Dans ces conditions, n’eût-il pas été plus astucieux d’imposer la mensualisation de l’impôt, en rejetant désormais le paiement par tiers si ce dernier correspondait au principal inconvénient auquel les pouvoirs publics voulaient remédier ?
– Cette mesure est-elle bien utile sous prétexte qu’elle est abondamment pratiquée ailleurs, sachant que jusqu’à ce jour le taux de recouvrement de l’impôt en France est l’un des meilleurs au monde (avoisinant les 95 %).
– Que deviendra le recouvrement de l’impôt au sein d’une entreprise en difficulté et défaillante, lorsque celle-ci ne sera déjà plus en mesure d’acquitter, ni ses cotisations sociales, ni la TVA collectée à reverser ?
– Faudra-t-il dans ces conditions, se retourner vers le contribuable le plus fiable pour combler cette baisse de recettes fiscales programmée ?
Cette mesure survivra- t-elle au-delà de la prochaine échéance électorale ? Il est permis d’en douter.
Jurisprudence
RECLASSEMENT EN MATIÈRE D’INAPTITUDE : PRISE EN COMPTE DE LA POSITION DU SALARIÉ
Il s’agit là d’un revirement essentiel de la jurisprudence de la Cour de cassation résultant d’un arrêt du 23 novembre 2016.
Jusqu’alors le refus par un salarié déclaré inapte à son poste, d’une proposition de reclassement n’impliquait pas, à lui seul, le respect par l’employeur de son obligation de reclassement.
Il lui appartenait en effet quelle que soit la position prise par le salarié, de tirer les conséquences de ce refus soit en formulant de nouvelles propositions, soit en procédant au licenciement de l’intéressé au motif de l’impossibilité de le reclasser.
En l’espèce, le salarié avait manifesté très clairement son refus de postes éloignés de son domicile, et l’employeur quand bien même, il appartenait à un groupe européen, s’était dispensé dans ces conditions de toute recherche de reclassement au-delà du périmètre souhaité par le salarié.
Cette jurisprudence est intéressante et va dans le sens d’un assouplissement de l’obligation de reclassement correspondant plus à une logique évidente, ce dont le juge, fut-il suprême, n’était guère imprégné jusqu’à ce jour.
(Cassation Sociale 23.11.2016 n°14-26.398 G/société Lidl)
Le juge rejoint-il le législateur ou l’inverse, comme l’illustre la jurisprudence suivante amenée probablement à disparaître ?
PRÉCISION SUR L’OBLIGATION DE RECLASSEMENT EN CAS D’INAPTITUDE CONSTATÉE PAR LE MÉDECIN DU TRAVAIL
Il est admis depuis fort longtemps qu’il appartient à l’employeur de rechercher et de proposer un poste de reclassement au salarié inapte (articles L 1226-2 et L 1226-10 du Code du travail).
L’avis d’inaptitude du médecin du travail ne dispense donc pas l’employeur de rechercher un tel reclassement, y compris lorsque cet avis précise que l’état de santé du salarié ne permet pas de proposer un reclassement dans l’entreprise. La Cour de cassation l’a confirmé encore récemment (Cass. soc. 5 octobre 2016 n°15-18.205).
Cette solution devrait désormais être écartée sur la base de l’article 102 de la Loi Travail du 8 août 2016 et du décret pris en application de ce texte selon lequel, depuis le 1er janvier 2017, l’employeur devrait être dispensé de rechercher un reclassement, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, lorsque l’avis du médecin du travail précisera expressément que : « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi. ».
Jusqu’à présent, l’absence d’obligation de recherche d’un reclassement n’était admise (depuis la Loi Rebsamen du 17-8-2015) qu’en cas d’inaptitude d’origine professionnelle, lorsque tout maintien du salarié dans l’entreprise était considéré comme gravement préjudiciable à sa santé.
La loi Travail du 8 août 2016 étend ce cas de dispense à l’inaptitude d’origine non professionnelle, ce qui là encore est logique, le distinguo précédent étant dénué de toute pertinence.
La nouvelle rédaction, commune aux articles L 1226-2-1 (inaptitude ordinaire) et L 1226-12 (inaptitude professionnelle) est également complétée et mentionne désormais, non seulement le cas où « tout maintien du salarié à son poste serait gravement préjudiciable à sa santé » mais aussi le cas où « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
TEMPS PARTIEL
LES HORAIRES DE TRAVAIL N’ONT PAS NÉCESSAIREMENT À FIGURER AU CONTRAT
En application de l’article L 3123-6 (ancien L 3123-14) du Code du travail, le contrat nécessairement écrit du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle et la répartition de cette durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.
Ainsi que le souligne cet arrêt, et contrairement à une idée reçue assez répandue, l’article L 3123-6 du Code du travail n’exige pas que les horaires exacts soient mentionnés au contrat. Ne sont en effet obligatoires, à la lecture de ce texte, que la mention de la durée du travail convenue et celle de sa répartition en volume entre les jours de la semaine, ou les semaines du mois.
Ainsi pour la Cour de cassation, le fait d’indiquer au sein de la semaine, les demi-journées travaillées et celles qui ne l’étaient pas, est suffisant. (Cassation Sociale 14.02.2016 n°15-16.131 société BMRA/Jean-Louis X..)
Rappelons malgré tout qu’en application du même texte (L 3123-6, al. 3°), le contrat doit mentionner les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié (au moyen d’un planning par exemple) ; obligation qui s’impose donc lorsque les horaires journaliers ne sont pas précisés dans le contrat.
Bulletin rédigé par par Me Marie-France THUDEROZ et Me Yves BOULEZ – avocats au Barreau de LYON, spécialistes en Droit du Travail
Cabinet SOCIAL-JURISTE, 22 Place Bellecour 69002 Lyon