L’attribution de stock-options : un schisme dans la définition de la rémunération ?
« L’attribution de stocks options : un schisme dans la définition de la rémunération » Semaine sociale Lamy du 5 septembre 2011 n° 1503
Philippe et Louis Boudias, Avocats au Barreau de Paris, Membres du réseau JSA
Aïda Vallat, Avocat au Barreau de Paris, Docteur en droit
Les plus-values réalisées par un salarié lors de la levée des actions, même si elles sont soumises à cotisations sociales par application de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, ne constituent pas une rémunération allouée en contrepartie du travail entrant dans la base de calcul de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La définition de la rémunération s’exprime naturellement dans le Code du travail sous le visa de l’article L. 3221-3 : « Constitue une rémunération au sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier. »
Selon ce texte, le salaire est donc la contrepartie directe du travail. Ce principe, en vertu duquel le salaire comprend le salaire de base et tous les autres avantages et accessoires payés directement ou indirectement en espèces ou en nature par l’employeur au salarié en raison de son emploi, est prolongé, sinon transposé, dans le Code de la sécurité sociale à l’article L. 242-1 : « sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment, les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entreprise d’un tiers à titre de pourboire. »
Mérite donc de subir les cotisations sur les salaires, toute somme ou avantage conférés au salarié à l’occasion de son travail. Ce texte participe d’une définition plus large de la rémunération puisqu’il englobe toute somme ou avantage versés également à l’occasion du travail.
Sans entrer dans un détail exhaustif, la plupart des avantages consentis par une entreprise à l’un de ses salariés, a, au fil du temps, été sériée comme une rémunération en nature entrant dans l’assiette de calcul des cotisations sociales selon des régimes et barèmes précisément définis, qu’il s’agisse de la fourniture gratuite de nourriture, du logement, d’un véhicule, de matériel informatique ou d’un téléphone portable (nous ne détaillerons pas, ici, le corpus des principes sociaux et fiscaux applicables). De tels avantages apparaissant sur le bulletin de paie, intégrant l’assiette des cotisations sociales, sont assurément un élément de rémunération tant en droit de la sécurité sociale, qu’en droit du travail et au plan fiscal.
Mais il ne s’agit là que d’avantages en valeur le plus souvent à la marge.
LES STOCK-OPTIONS
Un autre avantage, bien plus substantiel, qu’une entreprise peut consentir à l’un de ses salariés et, plus spécifiquement dans la pratique, à ses cadres, tient à l’attribution de stock-options.
Ce dispositif d’inspiration américaine est régi par les articles L. 225-177 à L. 225-186 et R. 225-137 à R. 225-145 du Code du commerce. Ce mécanisme permet au sein de sociétés par actions d’offrir la possibilité à une catégorie de salariés, selon des règles précisément définies, notamment quant au volume de titres et à la période ouverte à l’option, d’acheter à prix privilégié des actions ou de souscrire des actions.
Les bénéficiaires de ce dispositif vont ainsi extraire deux avantages qui ont été traités tant au plan fiscal, qu’au plan de la législation sur l’assiette des cotisations sociales.
• Premier avantage : la plus value d’acquisition égale à la différence entre la valeur de l’action à la date de levée de l’option et le prix de souscription ou d’achat. En vertu des articles 80 bis-1 et 163 bis C du CGI, cette plus-value est imposable au titre de l’impôt sur le revenu (arrêté 10 déc. 2002, JO 27 déc.). Elle est également soumise à cotisations sociales (CSS, art. L. 242-1, qui se réfère au régime fiscal).
• Deuxième avantage : la plus value de cession matérialise le plus souvent le premier avantage et peut encore l’amplifier puisqu’elle correspond à la différence entre le prix de cession des actions et leur prix d’acquisition. Elle n’est taxable qu’au plan fiscal et non au plan de la sécurité sociale.
Cependant, la Cour de cassation n’avait eu, jusqu’alors, l’occasion de statuer à propos de stock-options que sur des questions de type indemnitaire. Elle avait pu ainsi juger qu’un salarié privé, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la possibilité de lever des options de souscription d’actions, était justifié à être indemnisé au titre de la perte de cette chance : « le salarié, qui ne peut, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, exercer les options sur titres qui lui avaient été attribuées, a droit à la réparation du préjudice qui en résulte pour lui et non au maintien des options.
Dès lors qu’il a renoncé à la demande de dommages-intérêts soumise aux contrôle du temps de travail réalisé par chaque salarié en forfait-jours. À cet égard, la détermination de durées maximales de travail, quotidiennes et hebdomadaire1, et le renvoi à l’exigence d’un entretien annuel portant sur la charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise et l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale (C. trav., art. L. 3121-46), constituent des exigences minimales mais vraisemblablement insuffisantes. Outre que la fréquence des entretiens avec les salariés concernés pour évaluer et ajuster leur charge de travail serait préférablement bisannuelle, voire trisannuelle, il n’est pas seulement question de poser des limites à respecter ; il s’agit surtout de mettre en place des outils de suivi et de contrôle effectif du temps de travail réalisé par le salarié. Car, en tant qu’exécutant de la convention de forfaits-jours, l’employeur a, d’autre part, une responsabilité si l’accord collectif ne prévoit pas de mesures d’encadrement, de suivi et de contrôle du temps de travail des salariés en forfaits-jours, ou si l’entreprise ne s’assure pas de leur respect : les conventions de forfaits-jours sont alors privées d’effet, de sorte que le salarié est en droit de prétendre au paiement d’heures supplémentaires. Et il ne peut être exclu que l’employeur engage en outre sa responsabilité pour manquement à son obligation de sécurité de résultat2 ce qui le rend éventuellement redevable de dommages-intérêts s’il en est résulté un préjudice.
Ces risques sont, il est vrai, aujourd’hui les plus grands pour les entreprises dont les accords sur la durée du travail ne prévoient pas les garanties qu’attend la Cour de cassation. Pour pallier cette carence, il ne servirait à rien de modifier par avenant les conventions individuelles de forfait dans la mesure où ces garanties doivent être programmées dans l’accord collectif lui-même. Il ne reste alors pour les entreprises concernées, soit à accepter de supporter des contentieux individuels, qui ne seront pas forcément massifs, encore que les organisations syndicales pourraient également agir sur le fondement de l’article L. 2132-3 du Code du travail, soit à entreprendre une révision de l’accord existant, avec le risque que la négociation ouverte dépasse le seul point à réviser et que ce dernier, par un effet de boule de neige, conduise à revenir sur l’ensemble de l’économie de l’accord.
Le temps de la négociation n’est donc pas, pour tous les acteurs économiques, totalement libre ; il peut se révéler aussi contraint. Et ce qui est vécu aujourd’hui sur la question des forfaits-jours peut l’être demain pour sur un autre terrain, compte tenu de l’extrême imprévisibilité de notre droit sous l’exposition, en particulier, des normes supranationales. Faute de pouvoir anticiper ces évolutions subies, il faut à tout le moins s’y préparer. À cet effet, l’un des atouts de la conventionalité est de pouvoir stipuler des clauses préventives, du type des clauses de sauvegarde prévoyant que, en cas de modification notable des règles juridiques par le fait d’un changement de législation ou de jurisprudence, nationale ou supranationale, bouleversant l’économie de l’accord ou rendant impossible ou plus difficile la mise en oeuvre de l’une de ses dispositions essentielles, les parties s’obligent à renégocier de bonne foi, dans un délai raisonnable, les dispositions qui seraient affectées. Dans la même perspective de prévention, il peut être opportun de dissocier du corps de l’accord — ayant vocation à exposer les règles essentielles qui font l’économie de l’organisation de la durée du travail dans l’entreprise — des annexes destinées à recevoir des stipulations plus précises et techniques, dont le risque de variabilité est plus important, consacrées aux régimes des différent temps au travail (temps d’astreinte, temps de pause…), à la détermination des jours de récupération, au contingent d’heures supplémentaires ou encore, sans vouloir être exhaustif, aux modalités de prise de la contrepartie obligatoire en repos ou du repos compensateur de remplacement. L’intérêt est alors de pouvoir réviser ces annexes sans revenir sur la partie structurelle de l’accord en introduisant à cet effet une clause de révision des annexes stipulant que, celles-ci étant divisibles de l’accord dont elles constituent le complément, elles sont susceptibles de révision indépendamment de l’accord et sans que leur révision implique celle de l’accord lui-même.
Il y a sans doute bien d’autres formules encore à concevoir, à inventer : avec tout le profit d’un droit issu de la négociation, le droit conventionnel du temps de travail a en tout cas les moyens de devenir, pour son efficacité et sa sûreté, un droit intuitu firmae.
1. Si l’article L. 3121-48 affranchit les salariés de la soumission aux dispositions relatives aux durées quotidiennes (art. L. 3121-34, qui fixe cette durée à dix heures) et hebdomadaires maximales (art. L. 3121-46, qui fixe cette durée à quarante-huit heures), rien n’empêche de fixer conventionnellement des limites. Cela pose il est vrai la difficulté de devoir associer une durée du travail déterminée sur l’année en jours avec des durées maximales de travail fixées sur la journée et la semaine en heures.
2. V not. CA Versailles, 19 mai 2011, n° 10-02.311, SAS Renault, mettant en cause dans l’affaire concernant le suicide d’un ingénieur de la société Renault « l’incapacité des supérieurs hiérarchiques de M. X à pouvoir préciser quel était le volume précis de son travail, l’absence de tout dispositif pour évaluer la charge de travail, et de visibilité des managers sur celle de leurs collaborateurs ».
Semaine sociale Lamy • 5 septembre 2011 • n°1503