Garantie retraite : la thèse des droits acquis est elle remise en cause ?

« Garantie retraite : la thèse des droits acquis est elle remise en cause ? » Semaine sociale Lamy du 13 avril 2004 n° 1164

Les idées, opinions et analyses développées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs et en aucun cas la rédaction de la Semaine sociale Lamy.

Garanties retraite. La thèse des droits acquis est-elle remise en cause ?
Maîtres Louis et Philippe Boudias, avocats au Barreau de Paris,
SCP Simon Wurmser Schwach Boudias Frezard, Groupe JSA1 (Le Groupement européen d’intérêt économique « Juristes sociaux associés » regroupe 28 cabinets indépendants d’avocats-conseils en droit social)

La loi Fillon du 21 août 2003 bat-elle en brèche la théorie des droits acquis dans les régimes de retraite chapeau ? Si certains répondent par l’affirmative, peut-être est-ce accorder trop d’importance au seul intitulé d’une section du Code de la sécurité sociale dont le contenu ne porte pas réforme des textes fondant la thèse des droits acquis.

Dans l’article du 9 octobre 2000 que nous avions publié dans la Semaine sociale Lamy (« Les Retraites Chapeau ou les limites de certaines formes d’ingénierie juridique », Semaine sociale Lamy, n° 998, p. 8), nous évoquions les nombreux arguments qui militaient en faveur de l’analyse dérangeante selon laquelle, contre toute attente, les cadres auraient des droits acquis dans leur régime de retraite « chapeau », nonobstant le fait qu’ils ne remplissent pas la condition d’appartenance à l’entreprise au moment où ils basculent dans la retraite ou même, peut-être, la condition minimale d’ancienneté (généralement 10 ans) inscrite dans de nombreux régimes.

Pour ce faire, nous constations en effet :

  • d’une part, que l’article L. 913-2 du Code de la sécurité sociale prohibe expressément toute disposition entraînant la perte des droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de retraite ; ce qui signifiait implicitement que toute couverture de retraite entraîne fatalement l’acquisition de droits pendant l’activité des salariés couverts (cf. en ce sens Ph. Laigre, Dr. soc. 1995, p. 411). Selon la maxime bien connue « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer ». Or, l’article L. 913-2 du Code de la sécurité sociale ne fait nulle distinction entre les différents régimes de retraite. Il est donc pleinement applicable aux retraites chapeau ;
  • d’autre part, que la loi Evin (article 15 de la loi du 31 décembre 1989 et loi du 8 août 1994) impose aux entreprises ayant mis en place pareils régimes de retraite de garantir financièrement la couverture du risque retraite délibérément consenti en direction de la population des cadres. À quoi bon garantir financièrement l’engagement de retraite s’il n’y a pas de droits acquis dans le régime et s’il ne s’agit que d’un avantage virtuel ?
  • enfin, qu’il est somme toute incohérent, illusoire (voire « scandaleux » selon l’expression du Professeur Saint-Jours, Recueil Dalloz 2002, n° 42, jurisprudence 3167, spéc. p. 3169) de prétendre que les régimes de retraite chapeau ont la visée de fidéliser les cadres à l’entreprise si l’on considère, par ailleurs, que le bénéfice de cette retraite dépend, in fine, du seul bon vouloir de l’entreprise et qu’il serait possible d’y faire échec, en évinçant n’importe quel salarié avant l’âge de la retraite. À l’extrême, et en tirant le trait, le bénéfice ou non d’une retraite chapeau serait fonction du simple jeu d’une condition purement potestative ;
  • au surplus, que la jurisprudence de la Cour de cassation assujettissait à cotisations sociales les provisions constituées en interne par l’entreprise dans ces régimes, ce qui procédait bien d’une assimilation des retraites chapeau à une rémunération différée sur laquelle le salarié était en droit de compter et confortait, à n’en pas douter, l’idée de droits acquis.

Les éléments de conviction étaient donc différenciés, multiples, et leur mise à jour participait d’une évaluation tangible, urgente et indispensable des risques objectifs pesant sur les entreprises.

La portée des nouvelles dispositions législatives du 21 août 2003 est circonscrite au traitement social réservé aux éléments de financement des régimes de retraite chapeau.

Par un article 115-I, la loi Fillon met un terme à l’efficience de la jurisprudence de la Cour de cassation susvisée qui consistait à assujettir à cotisations sociales les provisions internes servant au financement des retraites.

Rien de plus, rien de moins !

Il est ainsi créé une contribution spéciale exclusivement patronale affectée au fond de réserve des retraites (6 % ou 12 % à compter de 2009 en cas de gestion interne).

Cette contribution spéciale sera levée sur option (avant le 5 mai 2004, cf. Semaine sociale Lamy n° 1150, p. 2) :

  • soit sur les rentes liquidées à compter du 1er janvier 2001 et versées à compter du 1er janvier 2004 en exécution de ces engagements ;
  • soit sur les primes versées à un gestionnaire externe (assureur, mutuelle, institutions de retraite) ou les provisions inscrites au bilan.

Loin de se contenter de ce simple constat, certains commentateurs ont cependant été tenté d’extrapoler grandement la portée de la loi « Fillon » et ont ainsi prétendu péremptoirement que celle-ci ruinerait la théorie des droits acquis dans pareils régimes.

Ne trouve-t-on pas, en effet, écrit, à cet égard, sous la plume d’un commentateur, (B. Serizay, « Le renouveau des retraites chapeau », Dr. soc. 2003, p. 977) que « le débat semble clos » ?

Faute de pouvoir compter sur un état jurisprudentiel dont l’interprétation puisse être fiable et, surtout, de trouver dans le corps de la loi des dispositions allant dans le sens qu’ils décrivent, les tenants de la ruine de la théorie des droits acquis prennent argument du titre que le législateur a retenu pour l’article 115-I constituant la nouvelle section 5 du chapitre VII du titre III du livre 1er du Code de la sécurité sociale :

« Contribution sur les régimes de retraite conditionnant la constitution de droits à prestation à l’achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l’entreprise »

En l’occurrence, cet intitulé a pour simple fonction de nommer les régimes de retraite auxquels va s’appliquer la nouvelle contribution spéciale. Ce faisant, le législateur n’avait d’autre choix, par souci de précision, que de désigner ce que l’on dénomme communément et par facilité régime de retraite chapeau ou à prestations définies, en visant l’élément caractéristique par lequel ces régimes se décrivent eux-mêmes, à savoir la condition d’appartenance à l’entreprise au moment où l’on prétend au bénéfice des prestations sur-complémentaires (« régimes de retraite conditionnant la constitution de droits à prestation à l’achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l’entreprise »).

Nous rappelions nous aussi, en paragraphe introductif de notre article précédent paru dans ces mêmes colonnes, que la garantie du service d’une retraite chapeau est présentée comme dépendant de la satisfaction de deux critères :

  • une durée minimale d’ancienneté dans l’entreprise (clause parfois levée) ;
  • la présence du salarié dans l’entreprise au moment où il fait valoir ses droits à retraite.

Cela ne nous empêchait pas, par ailleurs, dans la suite de notre article, d’attirer l’attention des entreprises sur les risques inhérents à la thèse des droits acquis s’agissant de salariés ayant un départ prématuré.

En adoptant un pareil titre, le législateur ne nous semble pas prendre parti et contrecarrer la thèse, certes dérangeante mais réaliste, qui consiste à affirmer que les salariés quittant une société avant l’âge de la retraite pourraient prétendre juridiquement au bénéfice de droits dans le régime de retraite chapeau au prorata de leur temps de présence.

Si la loi Fillon avait réellement, comme d’aucuns le prétendent, poursuivi le but de battre en brèche la théorie des droits acquis, nul doute que celle-ci l’aurait fait expressément, dans le corps même du texte de la nouvelle loi et qu’il lui aurait été nécessaire de porter réforme d’autres articles du Code de la sécurité sociale et notamment de l’article L. 913-2, qui valide les droits acquis dans tout régime de retraite.

La loi Fillon procède d’une inspiration qui tend assurément à promouvoir les régimes de retraite sur-complémentaire.

La création d’une contribution spécifique et avantageuse dans les régimes de retraite chapeau, en substitut de l’état du droit positif découlant de la seule jurisprudence de la Cour de cassation, en est l’illustration la plus parfaite.

Affirmer que cette loi ferait échec à la thèse des droits acquis ne nous semble pas recevable puisque cela équivaudrait à sceller un avenir funeste aux régimes dits article 39 là même où les pouvoirs publics veulent les promouvoir.

Tel ne peut être le cas ! Tel n’est pas l’esprit de la loi Fillon !

La thèse des droits acquis nous apparaît donc encore parfaitement efficiente, même si les entreprises peuvent le déplorer et les salariés s’en réjouir.