OCTOBRE – NOVEMBRE 2020
Bulletin rédigé par Maître Manuella GUERRE
Éditorial
RECONFINER TOUT EN PRÉSERVANT L’ÉCONOMIE OU COMMENT CONCILIER L’INCONCILIABLE ?
A l’instar d’autres pays européens, la France métropolitaine est de nouveau confinée depuis le 30 octobre minuit, pour une durée initiale de 4 semaines avec réévaluation de la situation tous les quinze jours (Décret 2020-1310, 29 octobre 2020).
A l’égard des entreprises, le droit à la protection de la santé vient donc de nouveau se heurter à la liberté d’entreprendre (1).
Le conflit entre les deux se pose inévitablement avec une acuité renforcée par rapport au confinement du printemps, tant les entreprises ont vu leur situation dégradée, avec la crainte de ne pas pouvoir se relever d’un second confinement.
PRIMAUTÉ DU DROIT À LA SANTÉ …
Dans son allocution du 28 octobre, le Chef de l’Etat a réaffirmé la primauté du droit à la protection de la santé, principe fondateur, s’il en est, de notre Etat providence. S’appuyant sur les données sanitaires, (« nous sommes submergés …, près de 9 000 patients en réanimation … mi-novembre, soit la quasi-totalité des capacités»), il a conclu en ces termes : Si nous ne faisons rien, « à très court terme cela signifie le tri entre les patients » et « au moins 400 000 morts supplémentaires ». Jamais la France n’adoptera cette stratégie.
… MAIS CONFINEMENT ALLÉGÉ
Non sans décalage avec la fermeté de ces déclarations alarmistes, il annonçait toutefois un confinement plus souple que le 1er, aux fins notamment de « protéger l’économie » (2).
LES COMMERCES NON-ESSENTIELS ET ERP DE NOUVEAU FERMÉS, MAIS …
Comme en mars, les commerces définis comme non essentiels et établissements recevant du public, tels les bars et restaurants, sont fermés au public. Ils sont néanmoins expressément encouragés à maintenir une activité en innovant via des commandes en ligne, ventes à emporter, livraisons à domicile, avec annonce d’un accompagnement étatique pour l’entrée en numérisation des artisans et TPE/PME. Les français –sont eux-mêmes invités à soutenir ces innovations auprès de leurs commerces de proximité et la fermeture s’accompagne de la promesse d’un principe « quoiqu’il en coûte » encore renforcé (maintien du chômage partiel aux mêmes conditions, prise en charge jusqu’à 10 000 euros mensuels des pertes en chiffres d’affaires des petites entreprises, mesures pour les charges et loyers, etc.).
… POUR LE RESTE, POURSUITE DU TRAVAIL
Pour les autres secteurs, le principe annoncé est clairement celui de la poursuite du travail (là où en mars, il était plutôt apparu comme inverse, avec une période de flottement durant laquelle des employeurs avaient précipitamment stoppé leurs activités, BTP notamment, avant de parvenir à s’approprier le cadre juridique d’une possible poursuite d’activité). Nul flottement pour cette entrée en confinement 2 : Affirmant que « l’activité continuera avec plus d’intensité », le Chef de l’Etat a expressément indiqué que « Les usines, le BTP et les exploitations agricoles peuvent continuer à fonctionner », à l’instar des commerces de gros et marchés alimentaires.
Plus généralement, les français sont invités à participer au soutien de l’économie « en travaillant », sous le principe, néanmoins, de la généralisation du télétravail « partout où c’est possible ». A cet égard, coupant court aux débats naissants, la Ministre du travail a aussitôt précisé que « le télétravail n’est pas une option ».
Le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de COVID-19, actualisé le 29 octobre, confirme que le télétravail est la règle. Il doit ainsi être porté à 100 % pour les salariés pouvant effectuer toutes leurs tâches à distance, seules les tâches ou postes strictement non « télé-travaillables » apparaissant justifier la présence en entreprise, et sous précautions sanitaires renforcées. Selon le protocole :
- Les règles sont à fixer « dans le cadre du dialogue social de proximité », en veillant au maintien des liens collectifs et à prévenir le risque d’isolement. A minima, la consultation du CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés est requise (3) et selon nous fortement opportune pour les autres pour limiter les risques de litiges quant au respect par l’employeur de son obligation de sécurité, notamment dans l’identification des postes/tâches télé-travaillables. A la parution du présent bulletin, l’administration vient de proposer une méthodologie en trois étapes devant faciliter cette identification , à mener « impérativement … avec les salariés concernés » (A savoir :
Lister les principales activités pour chaque fonction ou métier ; Pour chacune, évaluer les éventuels freins au télétravail ; Identifier les moyens pouvant permettre de lever ces freins), non sans conclure que l’activité ne peut se poursuivre en présentiel que « si aucune solution technique » ne permet le télétravail (Voir FAQ télétravail – coronavirus à jour au 9 novembre). - Face à l’urgence, les entreprises peuvent toutefois, sur le fondement de l’article L 1222-11 du Code du travail, procéder à la consultation du CSE sur le télétravail a posteriori, selon la chronologie suivante : décision de mise en oeuvre, information sans délai du CSE, puis consultation.
(Sur l’actualisation du protocole sanitaire et sa force obligatoire, voir « Actualité » et « Jurisprudence » ci-après).
Dans la logique d’activité renforcée souhaitée, la continuité des services publics est également la règle. Le décret précité du 29 octobre autorise notamment les déplacements pour répondre aux convocations judiciaire ou administrative ou chez un professionnel du droit pour les actes ou démarches non réalisables à distance et les tribunaux poursuivent leurs activités.
OU COMMENT CONCILIER L’INCONCILIABLE ?
Ce confinement assoupli n’a pas empêché la fronde d’une partie des acteurs économiques, notamment les commerces non-essentiels aussitôt montés au créneau pour plaider leur réouverture mais n’ayant obtenu que l’interdiction faite aux grandes surfaces de vendre des produits non-essentiels au nom du principe d’égalité (le gouvernement s’étant néanmoins aussitôt vu accuser de faire le lit des géants de la vente en ligne).
En parallèle, de premiers doutes se sont élevés quant à l’efficacité sanitaire de ce confinement allégé sur la régulation des capacités d’accueil en réanimation.
Sous ces pressions inverses, l’exécutif a malgré tout tenu son cap lors du point d’étape du 12 novembre : maintien inchangé des règles pour la quinzaine à venir mais, au vu du léger infléchissement des indicateurs sanitaires, possible réouverture avant Noël d’une partie des commerces. A suivre …
(1) L’état d’urgence sanitaire, rétabli par décret du 14 octobre dernier, a autorisé le gouvernement à restreindre les libertés individuelles.
(2)Outre d’autres assouplissements d’importance, tels le maintien d’ouverture des écoles et EPHAD.
(3) Article L 2312-8 du Code du travail.
Actualité
ACTUALISATION DU PROTOCOLE NATIONAL POUR ASSURER LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ DES SALARIÉS EN ENTREPRISE FACE A L’ÉPIDÉMIE DE COVID-19
Le protocole a été réactualisé par le Ministère du travail au 29 octobre 2020.
Présentation ci-dessous des principaux changements par rapport à la version du 16 octobre 2020.
LE TÉLÉTRAVAIL DEVIENT LA RÈGLE, SOIT :
➜ Télétravail à 100 % pour les salariés pouvant effectuer toutes leurs tâches à distance
➜ Pour les autres, mise en place d’une organisation pour réduire les déplacements domicile-travail et aménager le temps de présence pour réduire les interactions sociales, avec organisation systématique du lissage des horaires départ/arrivée pour limiter l’affluence aux heures de pointe.
DÉLIVRANCE PAR L’EMPLOYEUR D’UN JUSTIFICATIF DE DÉPLACEMENT PROFESSIONNEL aux salariés concernés, pour une durée qu’il détermine lui-même. Selon le texte du justificatif, l’employeur certifie que les déplacements de l’intéressé domicile/lieu(x) d’exercice de l’activité, ou à l’occasion de l’exercice des fonctions, ne peuvent être différés ou sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être télétravaillées.
PROTECTION RENFORCÉE POUR LE TRAVAIL EN PRÉSENTIEL :
➜ La modulation de l’intensité du port du masque selon degré de circulation du virus est supprimée. La possibilité de retrait intermittent du masque au cours de la journée disparait.
➜ L’employeur doit procéder à un rappel régulier du respect systématique des règles d’hygiène et de distanciation.
➜ Les réunions en audio ou visioconférence doivent constituer la règle, les réunions en présentiel l’exception.
➜ Les moments de convivialité dans le cadre professionnel sont suspendus
APPLICATION «TOUSANTICOVID » / TESTS EN ENTREPRISE
➜ Les employeurs doivent informer les salariés de l’existence de cette application et de l’intérêt de l’activer pendant les horaires de travail.
➜ Ils peuvent proposer des actions de dépistage intégralement financées par l’entreprise aux salariés volontaires (à réaliser dans le respect des conditions réglementaires, de celles garantissant la bonne exécution du test et sous respect du secret médical – aucun résultat ne pouvant être communiqué à l’employeur).
Notes de service sur les mesures de protection :
Leur communication au CSE suffit (4). Néanmoins, elles peuvent toujours être intégrées au règlement intérieur.
(4) Le protocole exigeait auparavant la «présentation préalable » au CSE des notes de service, en contradiction avec l’article L 1321-5 du Code du Travail permettant, en cas d’urgence de santé ou sécurité, une application immédiate sur communication simultanée au CSE et à l’inspection du travail.
Jurisprudence
LE PROTOCOLE NATIONAL POUR ASSURER LA SANTÉ ET LA SÉCURITÉ DES SALARIÉS EN ENTREPRISE A-T-IL FORCE OBLIGATOIRE ?
(CE, ordonnance du 19.10.20 n°444809)
Peu avant son actualisation du 29 octobre dernier, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la valeur juridique du protocole sanitaire en entreprise, question taraudant les employeurs depuis l’apparition de ce document suite au 1er confinement.
Un syndicat employeur sollicitait en référé la suspension de son application, arguant notamment de l’incompétence du Ministre du travail pour réglementer l’accès et la présence dans des établissements recevant du public et lieux de réunion, ainsi que d’une atteinte disproportionnée aux libertés.
Sa requête a été rejetée aux termes du raisonnement suivant : Le protocole ne constitue qu’un « ensemble de recommandations » mais cet ensemble correspond à la simple « déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de covid-19 » en l’état des connaissances scientifiques.
En substance, le Ministère du travail n’outrepasse donc pas ses compétences en guidant les entreprises dans le respect des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail relatifs à leurs obligations générales en matière de santé et sécurité au travail. Selon le Conseil d’Etat, une suspension du protocole n’aurait ainsi pas pour effet de les dispenser d’un tel respect.
En conclusion, le protocole a certes valeur de simple recommandation (se rattachant au « droit souple » par opposition au « droit dur »), mais les recommandations contenues n’étant rien d’autre que celles reconnues par les autorités sanitaires comme nécessaires pour protéger de la contamination, l’employeur qui s’en écarterait s’expose à un risque accru de voir sa responsabilité civile et pénale engagée pour manquement à son obligation de sécurité. Dans son FAQ sur les Mesures de prévention dans l’entreprise, actualisé au 2 novembre – Mesures générales – l’administration précise d’ailleurs que le protocole constitue un document de référence pour l’inspection du travail et que ses agents « l’utilisent comme base pour conseiller les acteurs du dialogue social ainsi que lors des contrôles en matière d’hygiène et de santé-sécurité ».
A bon entendeur …
Bulletin rédigé par Me Manuella GUERRE–Cabinet MG Avocat – 27, Place aux Aires – 06130 GRASSE