MAI – JUIN 2020
Bulletin rédigé par Maître Philippe GROS, Cabinet CEFIDES
Maître Brice BRIEL, Cabinet SOCIAL JURISTE,
Maître Pierre CHICHA, Cabinet CHICHA
Editorial
LE TÉLÉTRAVAIL : UN MODE ORGANISATIONNEL IDÉAL ?
Certains considèrent le télétravail comme l’organisation miracle permettant de concilier une certaine vie familiale avec une activité professionnelle soutenue.
Mais n’est-ce pas une illusion ?
Le télétravail isole le salarié, cadre ou non, de ses collègues de travail, de ses équipes, de l’entreprise.
Il peut même être vecteur d’inégalités sociales, certains étant plus aptes à utiliser les outils informatiques que d’autres et moins réceptifs à la formation adéquate rendue nécessaire par ce type d’organisation.
Ce mode de travail conduit à une utilisation continue et intense des réseaux sociaux, des banques de données, laissant peu de temps à une réflexion individuelle posée.
Bien sûr, les nouvelles technologies, sous toutes leurs formes, semblent permettre de maintenir le lien, mais un lien bien artificiel, le télétravailleur restant dans son bureau, sa salle à manger ou encore sa cuisine.
La sortie de la crise actuelle nous donnera des informations très intéressantes sur les conséquences du télétravail : l’isolement crée du mal être, un sentiment de solitude et de stress. Les psychologues évoquent le syndrome de la cabane ou encore de l’escargot, correspondant à une peur de sortir de son lieu de confinement. Nous entendons déjà parler des troubles psychosociaux que les employeurs n’ont pu anticiper dans la gestion de cette crise totalement imprévisible.
Des problèmes de durée du travail vont aussi surgir, dès lors que les décomptes individuels de temps n’auront pas été mis en place, et que la déconnexion des communications électroniques n’aura pas été anticipée. Certains contrôles des inspecteurs du travail pourraient aboutir à de sévères remises en cause de l’activité partielle…
Il serait terrible que la crise sanitaire qui semble se terminer génère de nouveaux contentieux que les entreprises déjà fragilisées auront du mal à supporter.
Le télétravail suppose une nouvelle organisation avec un management adapté à cette nouvelle situation.
Surtout le télétravail ne remplace pas le contact humain.
L’utiliser en complément d’une organisation couplée avec un fonctionnement juridique et managérial optimal oui, mais l’idéaliser et l’ériger en principe me paraît déraisonnable à l’heure où notre société est déjà bien malade d’un individualisme forcené. Une sortie de crise suppose une unité tant au sein de la nation qu’au sein des entreprises, et non la poursuite d’un confinement en télétravail générateur, non seulement de potentielles inégalités, mais également de syndromes destructeurs chez les salariés.
Actualités
LA GÉNÉROSITÉ DE L’ETAT EN MATIÈRE D’ACTIVITÉ PARTIELLE FERA L’OBJET DE CONTRÔLES A POSTERIORI
Eu égard à l’automatisation des autorisations de mobilisation du dispositif exceptionnel d’activité partielle et à l’importance des volumes financiers en jeu, le Ministère du travail ne s’est jamais caché sur sa volonté d’opérer des contrôles a posteriori. Certains de nos clients ont déjà eu à les subir.
Par deux instructions des 5 et 14 mai 2020, le Ministère du travail a détaillé les modalités des contrôles qui seront ainsi opérés.
L’objectif du plan de contrôle est :
– à titre principal, de lutter contre les fraudes (mise en activité partielle de salariés auxquels il est demandé parallèlement de travailler, demandes de remboursement majorées par rapport aux salaires effectivement payés…) ;
– à titre subsidiaire, de régulariser les erreurs (taux horaires erronés …), le ministère du travail reconnaissant bien volontiers que les nombreux atermoiements ayant conduit à des changements de paramètres courant avril 2020, aient pu générer des erreurs.
Les contrôles s’opéreront sur 3 niveaux :
– croisement des données administratives (bases de l’ASP et DSN …) ;
– contrôle sur pièces (bulletins de paie, avis du CSE, justificatifs du temps de travail en cas de réduction d’activité …) ;
– contrôle sur place permettant ainsi d’interroger le chef d’entreprise, les représentants du personnel et les salariés.
Les contrôles seront ciblés sur les entreprises suivantes :
– celles ayant présenté des demandes d’indemnisation sur la base de taux horaires élevés ;
– celles relevant de secteurs consommateurs d’activité partielle : BTP / activités de services administratifs, de soutien et de conseil aux entreprises ;
– celles dont l’effectif est composé majoritairement de cadres et/ou dont l’activité est susceptible d’être exercée en télétravail.
Les sanctions prévues au menu sont variées :
– retrait dans les 4 mois de sa délivrance, de la décision d’autorisation de mise en activité partielle lorsque les conditions légales n’étaient pas réunies lors de la demande ;
– retrait de la décision d’indemnisation lorsque les conditions ne sont pas ou plus remplies ;
– régularisation des demandes d’indemnisations payées, que l’erreur soit favorable ou défavorable à l’employeur ;
– exclusion pendant une période maximale de 5 ans de l’accès à certaines aides publiques et remboursement des aides accordées dans les 12 mois précédant l’établissement du procès-verbal, en cas de fraude constatée par Procès Verbal ;
– poursuites pénales dont notamment au titre de l’infraction de travail illégal passible de peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30.000,00 € d’amende.
L’URSSAF ne sera pas oubliée, les exonérations appliquées à l’indemnisation erronée ou frauduleuse entraineront des régularisations de charges.
Conclusions
Il est vivement recommandé de conserver tous justificatifs :
– de la situation ayant motivé le recours au dispositif exceptionnel d’activité partiel
– en cas de réduction d’activité, de la réalité du temps travaillé / temps d’activité partielle.
Jurisprudence
LA CRISE DU COVID : OCCASION POUR LES JURIDICTION DE PRÉCISER DIFFÉRENTES RÈGLES RELATIVES À LA SÉCURITÉ DES SALARIÉS
La crise sanitaire qui a touché la France a été l’occasion pour différentes institutions d’insister sur le rôle du CSE et sur la nécessité de se concerter avec lui sur les différentes mesures de nature à assurer la sécurité des salariés alors que son intervention n’était en aucun cas imposée par les textes. Dans le cadre de ces mêmes décisions, outre les missions du CSE, a été mise en exergue l’impérieuse nécessité de différentes obligations.
Si ces décisions ont été rendues dans le cadre de structures maintenant leur activité sur initiative, soit d’organisations syndicales, soit de contrôles opérés par l’inspection du travail laquelle a directement saisi le Tribunal judiciaire, les règles qu’a pu dégager la jurisprudence abondante doivent nécessairement être prises en compte par tous, y compris dans le cadre de la reprise de l’activité.
Il convient ainsi de rappeler au regard de ces multiples jurisprudences les règles qu’elles ont pu dégager et les obligations ou précautions qui en découlent :
I) LES DIFFÉRENTES DÉCISIONS RENDUES DEPUIS LE MOIS D’AVRIL SONT ALLÉES CRESCENDO SUR L’OBLIGATION DE CONSULTATION DU CSE
Aux termes de deux décisions rendues par le TJ de Paris et de Nanterre les 9 et 14 avril 2020, les juges ont entendu systématiquement rappeler la nécessité « d’associer » le CSE à la démarche de prévention, laquelle démarche d’association est particulièrement curieuse et ne résulte d’aucun texte. Ainsi le TJ de Paris indique t-il : « Rappelons à la SA La POSTE son obligation spécifique d’Elaboration d’un Document Unique d’Évaluation des Risques (DUER) sur l’ensemble de son périmètre d’intervention et de ses branches d’activité et métier, en association autant que possible avec les services de la médecine du travail, les IRP et notamment les CHSCT compétents… ».
Quant à la Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 24 avril 2020, confirmant en grande partie l’ordonnance du TJ de Nanterre, elle indique : « qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments, qu’à la date à laquelle les premiers juges ont statué, l’absence d’une évaluation des risques adaptée au contexte d’une pandémie et en concertation avec les salariés, en particulier les membres de chaque CSE d’établissement après consultation préalable du CSE central, étaient constitutifs d’un trouble manifestement illicite. »
Le TJ du Havre, dans une décision Renault Sandouville du 7 mai 2020, est allé plus loin puisqu’il a exigé la consultation préalable du CSE et de la commission CSSCT, préalablement à toute reprise d’activité, et a sanctionné la régie Renault :
– du fait « de la non communication des éléments permettant au CSE , de rendre un avis éclairé »,
– et du fait « du non-respect du délai de 8 jours entre l’ordre du jour et la réunion du CSE ».
Le TJ en a conclu à l’annulation de la réunion du CSE. Subséquemment il ordonne la suspension du projet portant sur des modalités organisationnelles de l’activité, en vue de la reprise de la production pendant l’épidémie de Covid 19, le temps de la régularisation de la procédure d’information et de consultation du CSE ».
La tendance des différentes décisions vise à imposer la consultation du CSE préalablement à toute mise en oeuvre d’un plan de reprise ou de mesures visant à assurer la protection de la santé des salariés.
II) SUR LES MESURES À METTRE EN OEUVRE
Le préalable indispensable à toute reprise d’activité est la remise à jour d’un DUER incluant des dispositions sur le COVID 19, mais pas uniquement sur le plan opérationnel. Certaines des décisions précitées reprochaient en effet à l’employeur d’avoir pris en compte toutes les problématiques organisationnelles, mais par les risques psycho sociaux. Il est donc impératif d’anticiper la reprise et de mettre à jour en permanence le DUER sur tous les plans (y compris RPS).
A cet égard il conviendra de prendre toutes mesures destinées à :
– éviter les risques d’introduction du virus sur le site d’activité,
– adapter l’organisation de l’activité,
– former les salariés aux équipements de sécurité et aux mesures recommandées,
– valider les procédures mises en œuvre au regard notamment des documentations mises en place pour chaque secteur d’activité sur le site du gouvernement.
III) IMPORTANCE DE BIEN GÉRER LA REPRISE
Les jurisprudences précitées ne sont que quelques illustrations de procédures de référé. Elles portent sur des mesures d’urgences qui ont conduit à un arrêt pur et simple d’activité. S’il s’agit d’un risque lourd, il demeure limité dans le temps et ne doit en aucun cas occulter les risques tout aussi significatifs qui pourront ressortir pendant des mois voire des années. A titre non exhaustif, quelques exemples qui ne seront probablement pas des cas d’école :
– risque pénal dans l’hypothèse d’une contamination dès lors que l’employeur n’aurait pas respecté une obligation réglementaire ou légale (l’absence de tenue à jour d’un DUER pourrait probablement suffire à caractériser l’infraction)
– risque de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié ainsi que toutes les conséquences qui pourraient en résulter (rupture avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et notamment dommages et intérêts consécutifs)
– risque d’une reconnaissance au titre de la réglementation sur les accidents du travail ou maladies professionnelles par la CPAM, s’il s’avérait que le Covid a été contracté dans l’entreprise du fait d’un manquement de l’employeur Les cabinets du groupement JSA sont à votre disposition pour vous assister dans toutes ces problématiques.
Bulletin rédigé par Me Philippe Gros (CEFIDES) Lyon, Me Brice Briel (SOCIAL JURISTE) Lyon
et Me Pierre Chicha (CABINET CHICHA) Paris