Bulletin JSA – JANVIER FEVRIER 2019
Bulletin rédigé par Maître Philippe RAINEX
SELARL ACDP
11 boulevard Voltaire
19100 BRIVE
Editorial
LE TRAVAIL C’EST LA SANTÉ : MAIS L’EMPLOYEUR EST RAREMENT MÉDECIN
La santé des salariés est un souci majeur du chef d’entreprise depuis de longues années, et la jurisprudence se montre de plus en plus sévère à son égard.
Fort curieusement, le législateur, qui réforme et innove à tout va depuis quelques temps en matière de règlementation sociale, instaure des mécanismes qui correspondent de moins en moins aux ambitions affichées en matière de santé au travail.
Le premier exemple a été la réforme des services médicaux du travail, notamment en matière de visite médicale. La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dite loi « Travail » a instauré depuis le 1er janvier 2017, pour le travailleur qui n’entre pas dans la catégorie des personnels affectés à des travaux à risques, à la place de la visite médicale d’embauche traditionnelle, une simple visite d’information et de prévention, qui peut être effectuée par le médecin du travail comme auparavant, ou par un infirmier, cas devenu le plus fréquent. Un médecin collaborateur ou un interne en médecine du travail peuvent également effectuer cette visite qui, dans le cas général, doit intervenir dans les trois mois de la prise effective du poste, et non plus avant l’embauche ou au plus tard avant la fin de la période d’essai, comme cela était le cas auparavant.
Les visites périodiques devaient être effectuées annuellement, puis tous les 24 mois avant le 1er janvier 2017. Elles ont lieu désormais selon une périodicité qui peut aller jusqu’à cinq ans.
L’aggravation de la pénurie de médecins depuis quelques années est à l’origine essentiellement de ces nouvelles dispositions de droit du travail, en contradiction évidente avec la volonté affichée d’optimiser les conditions de travail, l’hygiène, la sécurité, la santé des salariés.
La conséquence de cette réforme est inévitablement l’accroissement des obligations de l’employeur, et ceci dès l’embauche. En effet, en trois mois, le nouveau salarié a le temps d’être affecté par des conditions de travail auxquelles il n’aurait pas dû se soumettre, soit involontairement, soit volontairement, par nécessité d’emploi par exemple. Les conséquences peuvent être lourdes pour le nouvel employeur en cas de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou d’une maladie, non professionnelle mais préexistante, au-delà de l’obligation de procéder à un licenciement, notamment lorsque la période d’essai est écoulée.
Le risque est de plus en plus important avec l’ancienneté du salarié, dans la mesure où le salarié pourra n’être examiné que tous les cinq ans, ou pourra n’être reçu que par un infirmier avec lequel, l’expérience le montre, la relation est plus subjective, inévitablement moins approfondie, moins soumise aux obligations déontologiques du médecin du travail…
L’éloignement de facto du médecin du travail des salariés génère nécessairement une moindre connaissance de chaque salarié et de leur dossier.
Cela signifie que l’employeur doit être encore plus vigilant sur les conditions de travail de chacun de ses salariés et doit veiller lui-même à tous les symptômes pouvant laisser supposer une difficulté.
Le deuxième exemple est l’instauration par l’Ordonnance 2017-1386 du 20 septembre 2017, relative à la « nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise », du Comité Social et Economique (CSE), qui réunit, en une seule institution, les anciens comités d’entreprise, délégués du personnel et CHSCT.
Le CHSCT, obligatoire à partir de 50 salariés, disparaît au profit d’une Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT), dans les entreprises et établissements de plus de 300 salariés.
A première vue, cet assouplissement de la règlementation en matière d’hygiène et de sécurité pour les PME est une contrainte importante de moins. Mais en réalité, les risques pour l’employeur peuvent s’avérer bien plus lourds que le bénéfice apparent.
En effet, le médecin du travail, qui, de par la loi « Travail », rencontre déjà de moins en moins chacun des salariés de l’entreprise, et les connaît donc moins bien, ne va plus avoir, avec l’Ordonnance du 20 septembre 2017, de regard direct et aiguë sur les salariés en conditions réelles de travail. Il pourra moins facilement détecter les risques.
Le comble est que cela concerne les PME de moins de 300 salariés, c’est-à-dire l’essentiel de l’activité industrielle et commerciale d’une part, les entreprises les moins équipées en moyen techniques et humains de prévention d’autre part.
Or, en matière de sécurité, l’employeur est tenu envers le salarié à une obligation de résultat. Le moindre manquement à cette obligation est constitutif de la faute inexcusable si l’employeur avait conscience ou, en raison de son expérience et de ses connaissances techniques, aurait dû avoir conscience du danger encouru par les salariés et n’a pas pris les dispositions nécessaires pour les en préserver.
L’employeur doit donc se comporter en homme averti. Le médecin du travail et le CSSCT sont précisément des sentinelles importantes que la nouvelle règlementation du travail écarte partiellement, voire enlève totalement aux responsables de PME.
Pour rénover le système de santé au travail le gouvernement a demandé un rapport (le rapport LECOCQ) diffusé le 28 août 2018 et intitulé « Santé au Travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée ». Ce rapport propose de créer un organisme public qui pourrait s’appeler FRANCE SANTE TRAVAIL, qui rassemblerait ce qui existe déjà (l’INRS, l’ANACT, et l’OPBTP), et qui créerait des structures régionales regroupant sous forme de guichets uniques les services régionaux de santé et de prévention existant déjà au sein des CARSAT et des services de santé au travail interentreprises (SSTI)…
Autant dire que dans un tel contexte de législation applicable et de perspectives d’organisation administrative bien peu rassurantes au niveau de l’Etat, les chefs d’entreprise de moins de 300 salariés ont tout intérêt à anticiper les conséquences d’une règlementation faussement assouplie.
On ne saurait trop leur conseiller, outre de tenir des fiches de postes détaillées, de demander à leurs services médicaux des visites médicales avec médecin tous les deux ans au moins pour le personnel non soumis à des examens périodiques plus rapprochés, à organiser (au moins pour ceux qui ont 50 salariés ou plus) une commission non obligatoire fonctionnant sur les principes pouvant être améliorés de la CSSCT. Les retours d’information pourront être très bénéfiques, la tendance naturelle, humaine, de l’encadrement intermédiaire, à taire ou occulter certains comportements ou évènements, ne devant pas être négligée.
Les partenaires sociaux semblent l’avoir compris puisque, dans le cadre de la révision de la convention collective de l’industrie pharmaceutique, afin de promouvoir la santé au travail et de favoriser le dialogue social, leurs représentants ont signé un accord instituant la CSSCT à partir de 50 salariés.
Par ailleurs, toute mesure mise en place, de manière non obligatoire, ne pourra que sensibiliser le juge, éventuellement saisi, sur l’importance accordée par le chef d’entreprise au problème de la santé de ses salariés. Appliquer dans les entreprises qui n’y sont pas obligées des règles essentiellement de forme, c’est leur donner un fond bien plus important qu’apprécieront également les organismes de contrôle.
Actualité
LE PLAN DE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES
Le plan de développement des compétences (PDC) remplace, à compter du 1er janvier 2019, le plan de formation en application des dispositions de la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
Un décret du 24 décembre 2018 est venu préciser les conditions d’application de cette nouvelle règlementation.
Deux situations doivent être considérées
Lorsque les formations sont obligatoires en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et règlementaires, parce qu’elles conditionnent l’exercice d’une activité ou d’une fonction, elles doivent être réalisées sur le temps de travail, elles sont considérées comme du temps de travail effectif, et doivent être rémunérées normalement. (Art. L. 6321-2 du Code du travail)
Lorsque les formations ne sont pas obligatoires, elles peuvent être suivies en dehors du temps de travail. Le temps de formation est considéré comme du temps de travail effectif, et la rémunération est maintenue. Ceci, sous réserve des dispositions d’accords collectifs d’entreprise ou de branche, et, en l’absence d’accords, de ne pas dépasser 30 heures par an et par salarié, 2% du forfait en jours ou en heures sur l’année. (Art. L. 6321-6 du Code du travail)
En l’absence d’accord d’entreprise ou de branche, l’accord écrit du salarié est nécessaire lorsque tout ou partie de la formation est assuré hors temps de travail, et ce dernier peut le dénoncer dans les huit jours de sa conclusion. (Art. R. 6321-4 du Code du travail)
Dans les cas prévus aux 1° et 2° de l’article L. 6321-6, le refus du salarié de participer à des actions de formation « hors temps de travail » ou la dénonciation de l’accord dans les conditions prévues à l’article L. 6321-6, ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement. Il s’agit :
1° Des actions de formation déterminées par accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche qui peuvent se dérouler, en tout ou partie, hors du temps de travail, selon le cas, soit dans une limite horaire par salarié, soit dans une limite correspondant à un pourcentage du forfait pour les salariés dont la durée de travail est fixée par une convention de forfait en jours ou en heures sur l’année, fixées par ledit accord. L’accord peut également prévoir les contreparties mises en œuvre par l’employeur pour compenser les charges induites par la garde d’enfant pour les salariés qui suivent des formations se déroulant en dehors du temps de travail;
2° en l’absence d’accord collectif et avec l’accord du salarié, des actions de formation qui peuvent se dérouler, en tout ou partie, hors du temps de travail, dans la limite de trente heures par an et par salarié.
L’allocation versée jusqu’en 2018 pour les heures de formation suivies en dehors du temps de travail n’est plus applicable.
LE CONTRAT DE PROFESSIONNALISATION EXPÉRIMENTALE
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a également créé le Contrat de Professionnalisation expérimentale dont les conditions de mise en oeuvre ont été fixées par un Décret et un Arrêté du 26 décembre 2018.
Le but est d’élargir l’objet du contrat de professionnalisation sur la base d’une expérimentation pendant trois ans. Il ne diffère pas du contrat classique pour l’essentiel.
La volonté du législateur est d’adapter le contrat de professionnalisation en particulier pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, de leur assurer une formation sur mesure, plus adaptée à leurs besoins, et de permettre aux entreprises d’embaucher un salarié qui sera formé au plus près des besoins réels.
Pour ce faire, le contrat expérimental est conclu en vue d’acquérir des compétences définies conjointement par l’employeur et l’opérateur de compétences (OPCO), en accord avec le salarié, dans le cadre d’un ou plusieurs blocs de compétences de certifications professionnelles, définis à l’article L. 6113-1 du Code du travail.
Jurisprudence
DATE D’ENVOI ET DATE DE RÉCEPTION DE LA LETTRE DE LICENCIEMENT POUR INAPTITUDE
Par un arrêt du 12 décembre 2018, la Cour de cassation distingue les conséquences de la date d’envoi de la lettre de licenciement pour inaptitude et les conséquences de la date de réception. (Cass. soc. n° 17-20.801)
Il en résulte que la date d’envoi de la lettre de licenciement pour inaptitude constitue la date de rupture du contrat de travail, mais que le licenciement ne produit ses effets à l’égard du salarié qu’à la date de présentation de la lettre le notifiant.
La date de présentation de la lettre de licenciement constituant le point de départ du préavis, en application de l’article L. 1234-3 du Code du travail, il résulte de ce nouvel arrêt que l’employeur doit verser le salaire jusqu’à la présentation de la lettre de licenciement, même si le salarié n’a pas droit à un préavis parce qu’il ne peut l’exécuter, comme cela est le cas en l’espèce, l’inaptitude faisant suite à un accident du travail sans possibilité de reclassement.
La solution dégagée dans le cadre de l’inaptitude sera selon toute vraisemblance la même dans d’autres cas, comme celui du licenciement prononcé pour faute grave sans qu’il y ait eu mise à pied conservatoire préalable.
Bulletin rédigé par Maître Philippe RAINEIX
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