Bulletin JSA – NOVEMBRE DECEMBRE 2016

Bulletin rédigé par Maître Frédéric BAUSSET

Cabinet Frédéric BAUSSET
Avocat Conseil
5 boulevard Berthelot
Immeuble Valois
16000 ANGOULEME


 

Editorial

STOP À L’EMBALLEMENT LÉGISLATIF FRANÇAIS !

Le « Pays des Lois » (fà guó), c’est ainsi que la France s’appelle en langue chinoise.

Le Conseil d’État ne démentirait pas. Bien au contraire, puisque le 27 septembre dernier, il a appelé dans une étude sur la « simplification » du droit en France à stopper « l’emballement » législatif.

Ainsi, l’institution évalue à « 1 million de mots » l’ajout chaque année en France de nouvelles lois et ordonnances… sans tenir compte des décrets, arrêtés et autres avis.

Le Conseil d’État note, d’ailleurs, que malgré ses alertes répétées, la tendance ne cesse de s’aggraver alors que, paradoxalement, le mot d’ordre martelé par le gouvernement est la « simplification » avec la création, par la loi « EL KHOMERI » d’une Commission d’Experts devant formuler une réécriture du Code du travail sous 2 ans !

Le droit du travail est tout particulièrement visé par cet emballement législatif.

Il suffit pour s’en convaincre de reprendre les réformes législatives « estivales » engagées par le gouvernement depuis 2012 parmi lesquelles on peut notamment citer la loi relative à la sécurisation de l’emploi (14 juin 2013), la loi relative au dialogue social et à l’emploi dite Loi REBSAMEN (17 août 2015) ou encore la très récente loi travail dite Loi EL KHOMRI (08 août 2016).

Avec des situations totalement ubuesques où, par exemple, l’ensemble des décrets d’application de la Loi REBSAMEN du 17 août 2015 n’ont pas encore été rédigés plus d’un an après son entrée en vigueur alors qu’entre-temps la loi travail a été adoptée … dont d’ailleurs certaines dispositions sont actuellement inapplicables en raison justement de l’absence de décrets d’application de la Loi REBSAMEN.

Comment les entreprises peuvent-elles s’adapter à un tel contexte où la loi devient une source d’insécurité et de fragilisation ?

La meilleure des réformes en droit du travail ne serait-elle pas de ne plus rien faire pendant 5 ans ?

Une chose est sûre, la traduction chinoise du nom de notre pays devient de plus en plus pertinente et presque éponyme malheureusement !

Entre le pays du non droit et le pays qui produit trop de lois, il doit y avoir un juste équilibre !
Actualité

SIMPLIFICATION DES OBLIGATIONS DES ENTREPRISES EN MATIÈRE D’AFFICHAGE ET DE TRANSMISSION DE DOCUMENTS À L’ADMINISTRATION

(Décret n°2016-1417 et 2016-1418 du 20 octobre 2016).

Dans le prolongement des mesures de simplification en matière d’affichage qui avaient été engagées par l’ordonnance n°2014-699 du 26 juin 2014, deux décrets du 20 octobre 2016 viennent modifier les obligations des employeurs en matière d’affichage et de transmission de documents à l’administration.

Ces mesures sont applicables depuis le 23 octobre 2016.

A. SIMPLIFICATION DES OBLIGATIONS D’AFFICHAGE :

Au motif de s’adapter aux moyens de communication moderne, plusieurs obligations d’affichage qui étaient jusqu’à présent à la charge de l’employeur ont été remplacées par des obligations de communication par tout moyen.

L’entreprise pourra notamment respecter son obligation en utilisant son intranet ou par l’envoi de courriels.

L’ « allègement » des obligations d’affichage concerne les mesures suivantes :

Règlement intérieur :

Le règlement intérieur doit à présent être porté par tout moyen à la connaissance des personnes ayant accès au lieu de travail et aux locaux où se fait l’embauche (article R.1321-1 du Code du travail).

Ordre des départs en congés :

À présent, l’ordre des départs en congés peut être communiqué par tout moyen par l’employeur à chaque salarié 1 mois avant son départ (article D.3141-6 du Code du travail).

Égalité de rémunération femmes / hommes :

Les dispositions relatives à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes doivent être portées sous peine de sanction pénale par tout moyen à la connaissance des personnes ayant accès au lieu de travail mais aussi, ce qui est une nouveauté, au candidat à l’embauche.

Accords collectifs et conventions collectives :

Il s’agit plus précisément de l’avis d’information comportant l’intitulé des conventions et accords applicables dans l’établissement qui n’a désormais plus à être affiché.

Précisons qu’en cas de référendum visant à valider un accord d’entreprise minoritaire ou d’un accord négocié avec un salarié mandaté, l’employeur devra faire la publicité par tout moyen du procès-verbal de résultat du vote organisé (article D.2232-2 du Code du travail).

Mise en place d’une instance de coordination des CHSCT :

Depuis le 23 octobre 2016, il convient de communiquer par tout moyen au salarié la liste nominative des membres de l’instance de coordination.

Entreprises de travail temporaire :

L’obligation de communication par tout moyen aux salariés temporaires de chaque établissement concerne :

> La communication d’information nominative contenue dans les relevés de contrat de mission à Pôle Emploi et aux DIRECCTE territorialement compétentes.

> Les droits d’accès et de rectifications prévus par la loi informatique et libertés du 06 janvier 1978 que peuvent exercer les salariés temporaires devant Pôle Emploi et la DIRECCTE (article R.1251-9 du Code du travail)

Entreprises et établissements dont les salariés ne bénéficient pas du repos hebdomadaire toute la journée du dimanche :

Les jours et heures de repos collectifs attribués à tout ou partie des salariés devront là encore faire l’objet d’une communication par tout moyen.

Cette information doit être communiquée au préalable à l’inspection du travail.

L’employeur doit en même temps préciser les modalités de la communication aux salariés qu’il envisage de mettre en oeuvre (article R3172-1 du Code du travail).

Suspension du repos hebdomadaire :

Dans certaines situations telles que notamment des travaux urgents, un surcroît extraordinaire de travail, l’employeur peut prendre la décision de suspendre le repos hebdomadaire.

Il a l’obligation d’en informer l’agent de contrôle de l’inspection du travail.

La copie de l’information transmise à l’inspection du travail doit également être communiquée par tout moyen aux salariés (article R.3172-9 du Code du travail).

Caisse de congés payés (BTP et artistes du spectacle) :

La raison sociale et l’adresse de la Caisse de congés payés à laquelle sont affiliées les employeurs devront également faire l’objet d’une communication par tout moyen aux salariés (articles D.3141-28 et D.7121-45 du Code du travail).

B. SIMPLIFICATION EN MATIÈRE DE TRANSMISSION DE DOCUMENTS À L’ADMINISTRATION :

Certains documents devaient jusqu’à présent être communiqués à l’administration parfois dans un délai défini à l’avance.

Les décrets du 20 octobre 2016 changent la règle et remplacent dans certains cas l’obligation de transmission par une obligation de tenir à la disposition de l’inspecteur du travail certains documents. Les principales mesures concernent :

la durée du travail :

> Communication de l’avis du Comité d’Entreprise sur la mise en oeuvre d’horaires à temps partiel (article D.3123-3 du Code du travail).

> Communication sur demande de l’agent de contrôle du récépissé de déclaration préalable à la CNIL obligatoire en cas de traitement automatisé des données nominatives en matière de documents électroniques de contrôle de la durée du travail (article D.3171-15 du Code du travail).

Notons que l’obligation d’envoi du duplicata de la fiche relative à l’horaire collectif de travail a été supprimée.

le Comité d’Entreprise :

Lorsqu’il existe un service social du travail sur lequel s’appuie le Comité d’Entreprise, ce dernier doit établir un rapport annuel sur l’organisation, le fonctionnement et la gestion de ce service.

Ce rapport qui était systématiquement communiqué à l’inspection du travail ne devra l’être que si ce dernier en fait la demande.
Jurisprudence

LA COUR DE CASSATION RAPPELLE LES CONDITIONS À RESPECTER LORSQUE LE CONTRAT A DURÉE DÉTERMINÉE INITIAL N’A PRÉVU AUCUNE DISPOSITION EN MATIÈRE DE RENOUVELLEMENT

Cass. Soc. 05 octobre 2016 n°15-17.458

Dans cette affaire, une salariée avait signé un contrat à durée déterminée ayant pour terme le 31 décembre 2013.

L’avenant de renouvellement daté du 27 décembre 2013 à effet du 1er janvier 2014 a été signé par la salariée le 03 janvier 2014.

Bien qu’ayant repris son poste le 02 janvier 2014, la salariée a contesté la validité du renouvellement du contrat à durée déterminée et a sollicité la requalification en contrat à durée indéterminée.

Pour sa part, l’employeur faisait valoir que la date de sa signature de son exemplaire de l’avenant de renouvellement était antérieure au terme du contrat initial (27 décembre 2013).

Il se prévalait, également, de la présence de la salariée à son poste dès le jour suivant la fin du contrat à durée déterminée initial prouvant selon lui son acceptation du renouvellement de son contrat avant son terme.

L’employeur invoquait, de surplus, que la signature de l’avenant de renouvellement pouvait valablement intervenir dans les deux jours suivants le renouvellement, invoquant ainsi les règles applicables à la conclusion du contrat à durée déterminée prévues par l’article L.1242-13 du Code du travail.

Aucun des arguments soulevés par l’employeur n’a été retenu par la Cour de Cassation.

Ainsi, la Haute Cour considère que le contrat à durée déterminée initial, faute de prévoir les conditions de son renouvellement, ne peut être renouvelé que par la conclusion d’un avenant conclu avant le terme initialement prévu.

À défaut, il devient un contrat à durée indéterminée dès lors que la relation de travail s’est poursuivie après l’échéance du terme, précisant que la seule circonstance que le salarié ait travaillé après le terme du contrat à durée déterminée ne permet pas de déduire son accord, antérieurement à ce terme, pour le renouvellement du contrat initial.

Cet arrêt clarifie les conditions d’un renouvellement par avenant.

Il sera rappelé que l’employeur peut renouveler jusqu’à deux fois le contrat à durée déterminée d’un salarié à condition de suivre un formalisme particulier.

Ainsi, deux possibilités s’offrent à lui : le contrat initial prévoit directement les conditions du renouvellement ou, à défaut, un avenant doit être soumis au salarié avant le terme du contrat de travail conformément aux dispositions de l’article L.1243-13 du Code du travail.

Il sera précisé, comme en l’espèce, que le contrat à durée déterminée qui prévoit simplement la possibilité d’un renouvellement sans en fixer les modalités concrètes (par exemple : délai avant la fin de la durée initiale, durée et/ou nombre de renouvellements, conditions d’application, maintien ou modification des conditions d’exécution du contrat …) ne permet pas de renouveler le contrat de travail.

En effet, dans ce cas de figure, un avenant devra tout de même être conclu avant le terme du contrat (Cass. Soc. 03 juin 2009 n°08-40449).

La Cour de Cassation précise, donc, que l’avenant doit être conclu et non pas seulement soumis au salarié avant le terme initial.

Le salarié doit, par conséquent, avoir donné son acceptation avant le terme initial. Il convient donc d’être extrêmement vigilant lors du renouvellement du contrat à durée déterminée puisque soumettre à ce dernier l’avenant de renouvellement avant le terme ne suffit pas.

Il convient de s’assurer que le salarié a bien signé l’avenant avant le terme du contrat et que la date de signature est antérieure au terme initial.

Par ailleurs, l’acceptation doit être expresse, elle ne peut être déduite de la seule poursuite du contrat de travail après le terme initial par le salarié.

La sanction du non-respect de ces conditions est la requalification en contrat à durée indéterminée.

Il est donc indispensable d’être extrêmement vigilant dans la gestion des renouvellements des contrats à durée déterminée.

PRÉCISIONS EN MATIÈRE D’INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION DE FAITS FAUTIFS

Cass. Soc. 13 octobre 2016 n°15-14.006

En matière disciplinaire, l’article L.1332-4 du Code du travail fixe une prescription d’un délai de deux mois.

Il précise par ailleurs que ladite prescription peut être interrompue si le fait fautif a donné lieu, dans le délai de deux mois, à l’exercice de poursuites pénales.

Qu’entend-on précisément par l’exercice de poursuites pénales ?

La question est importante puisque si celles-ci n’ont pas été engagées dans le délai de deux mois, les faits seront considérés comme étant prescrits faisant par-là même tomber la sanction prononcée.

La Cour de Cassation apporte donc une précision importante en indiquant qu’une simple enquête préliminaire diligentée par le Procureur de la République n’est pas suffisante pour interrompre le délai de prescription.

En effet, pour la Haute Juridiction, il ne s’agit pas d’un acte qui a pour effet de mettre en mouvement l’action publique.

Elle en déduit qu’il ne s’agit donc pas d’un acte interruptif de la prescription.

La Cour de Cassation est parfaitement en cohérence avec ses décisions précédentes où elle avait indiqué que le délai de deux mois est interrompu par la mise en mouvement de l’action publique, c’est-à-dire par le déclenchement du traitement judiciaire des faits (Cass. Soc. 12 janvier 1999 n°98-40.020).

Elle est, par ailleurs, en conformité avec la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE 05 décembre 2011 n°328380).

Ce nouvel arrêt appelle à une vigilance extrême lorsqu’une faute commise par un salarié recouvre une dimension pénale.

 

Bulletin rédigé par Maître Frédéric BAUSSET, Avocat conseil
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