Bulletin JSA – OCTOBRE NOVEMBRE 2016

Bulletin rédigé par Maître Anthony PEILLET

Avocat à la Cour
1 ter, rue du Languedoc
31000 TOULOUSE


Editorial

Dans notre précédent bulletin, il a été évoqué la publication de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (dite Loi Travail).

Issue d’un projet de loi, les objectifs affichés du gouvernement pour cette réforme ont été : « plus de dialogue social, plus de souplesse et de visibilité pour les entreprises, plus de protections pour les actifs et en particulier ceux en situation de précarité ».

Après plusieurs mois de débats, sur fond de mobilisations syndicales importantes, le texte définitif est, à plusieurs égards, sensiblement différent du projet initial.

Alors que le nombre de thèmes concernés par la loi compliquait déjà passablement la lisibilité de la réforme, l’information et, il faut bien le dire, la « désinformation » autour du contenu réel du texte, n’ont fait qu’empirer les choses.

Il faut ajouter à cela un texte dont la mise en oeuvre est progressive, un nombre très important de décrets d’applications et…un retard déjà affiché pour la publication desdits décrets.

D’évidence et en tout cas pour ce qui concerne la communication ou la méthodologie, la loi Travail ne traduit certainement pas un renouveau.

Pour autant, il ne faudrait pas négliger les changements importants induits par cette législation.

Au-delà, ce serait un tort de ne pas profiter des opportunités que cette nouvelle loi peut apporter.

Quelques aspects de la LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

1. LA NOUVELLE DÉFINITION DU MOTIF ECONOMIQUE

L’insécurité juridique autour du licenciement pour motif économique est un fait.

Que ce soient la cause économique, la procédure, la recherche de reclassement, les écueils sont nombreux.

En trois ans, le législateur a modifié à plusieurs reprises la matière.

La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, avait principalement modifié la procédure des licenciements collectifs assortis d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Ensuite, la loi Macron du 6 août 2015 a modifié les règles relatives au reclassement interne à l’étranger et celles concernant l’ordre des licenciements.

Avec plus ou moins de succès, l’objectif affiché a été d’apporter plus de sécurité juridique.

La loi Travail apporte sa pierre à l’édifice, en traitant désormais de la définition du motif économique.

D’emblée, il sera observé que les principes généraux ne sont pas modifiés.

Le licenciement économique reste un « triptyque » :

– Une cause économique ;

– Une conséquence sur l’emploi du salarié (suppression de poste ou modification refusée du contrat de travail) ;

– Une impossibilité de reclasser conduisant alors au licenciement.

Selon le texte antérieurement applicable, la cause économique était caractérisée « notamment » par des difficultés économiques, des mutations technologiques (cf. article L1233-3 du Code du travail).

Cette énumération n’étant pas exhaustive, la jurisprudence a ajouté la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ou encore la fermeture totale de l’entreprise (Cf. Cass. Soc. 5 avril 1995, n° 1954 PB, Sté Thomson Tubes et Displays c/ Steenhoute et autres ; Cass. Soc. 10 mai 2012 n° 11-14.463 (n° 1206 F-D), Sté Itancia c/ Muller).

La loi Travail consacre tout d’abord ces deux dernières notions jurisprudentielles en les intégrant dans l’article L.1233- 3 du Code du travail.

Mais au-delà des notions, la problématique, en cas de contentieux, restait notamment de savoir ce que l’on entend par difficultés économiques.

Désormais, la loi apporte une objectivation du motif tiré des difficultés économiques.

Ainsi et selon le nouvel article L.1233-3 du Code du travail, les difficultés économiques sont caractérisées :

– « Soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ;

– Soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ».

La loi précise même ce qu’il faut entendre par une baisse significative des commandes :

« Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ».

Plusieurs remarques s’imposent alors.

Tout d’abord, la loi permet toujours à l’employeur d’utiliser les principaux indicateurs économiques pour justifier de difficultés économiques.

Surtout, l’évolution significative d’au moins un indicateur économique parait suffire.

Il s’agit là d’une sécurisation notable puisque antérieurement, les juges pouvaient retenir tout élément économique pour apprécier les difficultés de l’entreprise.

Les difficultés économiques devaient ainsi ressortir d’un ensemble de facteurs et non résulter d’un seul indicateur.

Par ailleurs, la liste des indicateurs économiques n’est pas exhaustive et l’employeur conserve la possibilité de démontrer des difficultés économiques par tout élément.

Incontestablement, le nouveau texte apporte une meilleure lisibilité en ce qui concerne la définition de difficultés économiques.

Pour autant, les juges conserveront a priori un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le caractère significatif ou non de la baisse constatée.

De même et en l’absence de précisions complémentaires dans le texte de loi, les juges garderont tout leur pouvoir d’appréciation pour ce qui concerne les autres indicateurs économiques tels que les pertes d’exploitation, la dégradation de la trésorerie ou l’excédent brut d’exploitation.

Au plan des regrets, il peut être également signalé l’absence de définition du périmètre d’appréciation des difficultés économiques.

Le projet initial prévoyait justement de fixer le cadre d’appréciation des difficultés au territoire national.

Cette disposition a été supprimée au cours des discussions parlementaires.

Les principes jurisprudentiels antérieurs demeurent donc.

Ainsi, les difficultés économiques s’apprécient au niveau de l’entreprise ou, si l’entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe (Cf. Cass. Soc. 5 avr. 1995, n° 93-43.866).

Ceci pose des problématiques réelles aux entreprises connaissant des difficultés économiques sérieuses sur le plan national mais compensées par exemple par des profits réalisés à l’étranger.

Pour celles-ci, il restera très difficile de justifier par une cause économique des mesures telles que des modifications de contrat de travail ou des licenciements.

2. LE RÉGIME DES CONGÉS PAYES

La loi Travail a largement réécrit les dispositions relatives aux congés payés (Cf. articles L. 3141-1 et suivants du Code du travail).

Pour chaque point du régime (durée des congés, prise des congés, règles de fractionnement), il est ainsi distingué entre :

– Les dispositions d’ordre public (celles ne pouvant pas être modifiées) ;

– Les dispositions susceptibles de faire l’objet d’un aménagement par accord collectif ;

– Les dispositions supplétives.

Pour autant, l’économie générale n’est pas bouleversée et il sera évoqué ici quelques points marquants, non exhaustifs.

Durée du congé

La durée des congés reste inchangée : 2,5 jours ouvrables acquis pour chaque mois de travail effectif.

Simplement, les congés supplémentaires pour enfant à charge, auparavant réservés aux femmes, sont désormais ouverts aux hommes.

Par ailleurs, un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut désormais :

– fixer le début de la période de référence pour l’acquisition des congés. A défaut d’accord, la période est déterminée par décret (hormis cas particulier des entreprises relevant d’une caisse de congés payés) ;

– majorer la durée du congé en raison de l’âge, de l’ancienneté ou du handicap (le handicap étant ici un critère nouveau).

Auparavant, il n’était pas possible de déterminer une période d’acquisition des congés autre que celle fixée par décret (1er juin – 31 mai), sauf accord d’annualisation du temps de travail.

Prise des congés 

Antérieurement, le salarié devait attendre la période de prise des congés correspondant aux droits acquis, pour pouvoir exercer ses droits acquis à congés.

En théorie, un salarié embauché au 1er juin pouvait être contraint d’attendre près d’un an pour bénéficier de son droit à repos (sauf accord entre l’employeur et le salarié).

A l’avenir, le salarié peut exercer ses droits à congés dès l’ouverture de la période de prise des congés.

Restent pour leur part inchangées et d’ordre public, la période de prise des congés (au minimum 1er mai – 31 octobre chaque année) ainsi que l’obligation d’accorder des congés simultanés aux conjoints et pacsés dans la même entreprise.

La loi conserve par ailleurs la possibilité de déroger aux règles de prise du congé principal et aux règles de fractionnement des congés.

Ainsi, un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut fixer la période pendant laquelle la fraction d’au moins 12 jours ouvrables continue est attribuée, ainsi que les règles de fractionnement des congés au-delà du 12ème jour.

L’autre nouveauté apparaît être la possibilité de placer le personnel en congés pour fermeture de l’entreprise, sans avoir besoin d’un avis conforme des délégués du personnel en cas de fractionnement du congé principal (fermeture d’une durée de mois de 24 jours).

Par ailleurs, un accord collectif pourra fixer les règles de modification des dates de départ en congés. Par ce biais, l’employeur pourra réduire le délai légal qui est en principe d’un mois.

Jurisprudence

DE LA REMUNERATION VARIABLE DES SALARIES

En 2011, la Cour de Cassation a posé le principe suivant lequel l’employeur peut fixer unilatéralement des objectifs dans le cadre de son pouvoir de direction, même si ces objectifs conditionnent une rémunération variable (sous réserve que l’employeur n’ait pas contractualisé les objectifs).

Cf. Cass. Soc. 2 mars 2011, 08-44.977

L’arrêt rendu a notamment permis d’asseoir la pratique des plan annuels de rémunération variable.

La Cour régulatrice a posé néanmoins deux réserves :

« lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice ».

Un arrêt récent illustre cette jurisprudence.

Sur le même principe et s’appuyant sur les constatations des juges du fond, la Cour a relevé que l’employeur avait sensiblement diminué le taux de commissionnement principal, sans compensation significative.

De ce seul fait, la Cour a considéré que les nouveaux objectifs « n’étaient pas réalisables ».

Le manquement de l’employeur a eu de lourdes conséquences, puisqu’il a entrainé une résiliation judiciaire du contrat de travail, ainsi que des rappels de salaires (Cf. Cass. Soc. 6 octobre 2016 n°15-15.672).

Le pouvoir de direction de l’employeur reste donc très encadré, tant pour ce qui concerne les objectifs que leurs conséquences en termes de rémunération variable afférente.

 

Bulletin rédigé par Maître Anthony PEILLET, Avocat à la Cour
1 ter, rue du Languedoc 31000 TOULOUSE