Bulletin JSA – AOÛT SEPTEMBRE 2016
Bulletin rédigé par Maître PHILIPPOT
SCP LEXOCIA
Avocat associé
5 rue de Berne – 67300 SCHILTIGHEIM
40 rue Victor Schoelcher – 68200 MULHOUSE
Editorial
ACCROISSEMENT DES POUVOIRS DE CONTRÔLE ET DE SANCTION DE L’INSPECTION DU TRAVAIL : NOUVEAUX MOYENS DE PRESSIONS SUR LES ENTREPRISES ?
Bien moins médiatisée que la Loi Travail, l’Ordonnance du 7 avril 2016 relative au contrôle de l’application du droit du travail, en vigueur depuis le 1er juillet 2016, mérite tout autant d’attention de la part des employeurs.
La création de mesures de protection des salariés de moins de 18 ans ainsi que l’extension des possibilités d’arrêt temporaire des travaux dangereux par l’inspection du travail semblent relever de l’évolution normale de la réglementation vers la meilleure prévention possible des risques et s’inscrivent logiquement dans le rôle dévolu à cette institution.
En revanche, la création d’un mécanisme de transaction pénale suscite davantage d’interrogations.
L’administration peut renoncer à poursuivre pénalement l’auteur d’une infraction en contrepartie, notamment, du paiement d’une amende. Il conviendra alors de veiller à ce que cette procédure, en apparence amiable, ne devienne pas un formidable levier de pression conduisant l’entreprise à s’acquitter d’amendes plus ou moins justifiées. Et ce d’autant que le montant des amendes pénales est largement revalorisé par cette Ordonnance…
Par ailleurs, l’extension du champ d’application des amendes administratives, particulièrement pour des manquements relatifs au temps de travail, devrait renforcer l’intérêt de l’administration pour cette problématique qui, on le sait, représente un risque permanent et massif pour beaucoup d’entreprises. Corrélativement, on peut se demander si les syndicats et certains salariés n’y verront pas un instrument de pression utile à la défense de leurs propres causes.
Actualité
LA LOI TRAVAIL EST ENTRÉE EN VIGUEUR LE 10 AOÛT 2016 !
(Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels)
La tant controversée Loi El Khomri est finalement entrée en vigueur le 10 août dernier, à l’exception de quelques mesures subordonnées à la parution de décrets et de celles dont l’entrée en vigueur est différée par la loi elle-même.
Notons pour commencer que la première ambition de la Loi Travail est d’attribuer une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et son champ d’action.
Chaque partie du Code du travail devra être réécrite selon une structure en trois parties :
– les dispositions impératives d’ordre public ;
– les dispositions relevant du champ de la négociation collective ;
– les dispositions supplétives qui s’appliquent à défaut d’accord collectif.
La Loi Travail met d’ores et déjà cette structure en place en matière de durée du travail, de congés payés et de congés spécifiques.
Par ailleurs, cette loi particulièrement dense contient un très grand nombre de nouvelles mesures impactant l’ensemble du droit du travail, notamment relatives à la négociation collective, la représentation du personnel, la durée du travail, l’organisation des congés, la santé au travail, la sécurisation des parcours professionnels, la protection des travailleurs vulnérables, la création de mesures destinées à favoriser l’emploi ou la lutte contre le détachement illégal.
Ce bulletin d’actualité ne visant ni à détailler ni à analyser l’ensemble du contenu de cette loi, nous vous présentons synthétiquement quelques nouveautés particulièrement notables.
• L’accord d’entreprise à 30 % sera remplacé par l’accord majoritaire
La loi prévoit de généraliser d’ici au 1er septembre 2019 le principe de l’accord majoritaire au niveau de l’entreprise et de l’établissement (à compter du 1er janvier 2017 aux accords collectifs qui portent sur la durée du travail, les repos et les congés). Elle prévoit toutefois la possibilité de consulter directement les salariés, si les syndicats représentatifs n’ont pas réussi à s’entendre sur un accord majoritaire.
• La loi cherche à améliorer le dialogue social
Différentes mesures sont prévues à cette fin, telles que des accords de méthode pour encadrer la négociation, des formations communes aux acteurs de la négociation collective, l’obligation de définir le calendrier des négociations obligatoires ou celle pour les conventions ou accords collectifs de définir leurs conditions de suivi et de comporter des clauses de rendez-vous.
• Les crédits d’heures des représentants syndicaux sont relevés
Le crédit d’heures mensuel des délégués syndicaux est porté à 12 heures dans les entreprises ou établissements de 50 à 150 salariés, 18 heures dans les entreprises ou établissements de 151 à 499 salariés et 24 heures dans les entreprises ou établissements d’au moins 500 salariés.
Le crédit d’heures alloué au délégué syndical central et celui dont dispose chaque section syndicale en vue de la préparation de la négociation d’une convention ou d’un accord, au profit de son ou ses délégués syndicaux et des salariés de l’entreprise appelés à négocier cette convention ou cet accord, sont également augmentés.
• En matière de durée du travail : la loi consacre la primauté de l’accord d’entreprise sur la convention collective
Cette primauté de l’accord d’entreprise qui existait déjà en matière de forfaits jours ou d’organisation du temps de travail sur une période supérieure à la semaine voit son domaine élargi à de nombreux aspects de la durée du travail, comme la majoration des heures supplémentaires, le travail de nuit ou le repos quotidien.
• En matière de santé au travail : plusieurs changements importants interviendront dès la publication des décrets d’application
La procédure de reconnaissance de l’inaptitude d’un salarié à son poste sera totalement modifiée et les règles applicables aux inaptitudes d’origines professionnelles ou non professionnelles seront unifiées.
Notons par ailleurs que la visite médicale d’embauche sera remplacée par une visite d’information et de prévention et que l’importance du suivi médical des salariés sera adaptée en fonction des conditions de travail, de l’état de santé et de l’âge des salariés, ainsi que les risques professionnels auxquels ils sont exposés.
• Le compte personnel d’activité présenté comme l’une des mesures principales de cette Loi fonctionnera à compter du 1er janvier 2017
Il regroupera trois comptes : le compte personnel de formation, le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte d’engagement citoyen.
• La Loi crée un nouvel outil d’adaptation de l’organisation de l’entreprise à son activité : l’accord de préservation ou de développement de l’emploi
Cet accord prévu dans les nouveaux articles L. 2254-2 et suivants du Code du travail n’est pas subordonné à l’existence de difficultés économiques, contrairement à l’accord de maintien dans l’emploi, qui continue d’ailleurs d’exister.
Les stipulations de l’accord de préservation ou de développement de l’emploi se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail. L’accord ne peut cependant pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié.
• La Loi fixe des critères d’appréciation des difficultés économiques pouvant justifier un licenciement économique
A compter du 1er décembre 2016, les difficultés économiques pourront être caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Jurisprudence
LA COUR DE CASSATION SÉCURISE LES CONVENTIONS TRIPARTITES ORGANISANT LES MUTATIONS INTRAGROUPE
Cass. soc. 8 juin 2016, n° 15-17.555, Mme X/SGI ingénierie et SGI Consulting International
Les conventions tripartites organisant les mutations de salariés entre deux entreprises d’un même groupe prévoient à la fois la rupture du contrat de travail avec la première entreprise et la poursuite des relations contractuelles avec la seconde.
Or, leur validité juridique semblait fragilisée depuis l’arrêt de la Cour de cassation qui a jugé que, sauf dispositions légales contraires, la rupture d’un CDI par accord des parties ne peut intervenir que dans le cadre de la rupture conventionnelle (Cass. soc. 15 octobre 2014, n° 11- 22.251, Mme Caroline X/Bar des Thermes).
Dans cette décision de 2016, la Cour précise que les mutations intra-groupe ne relèvent pas du champ d’application de son arrêt de 2014 : « Attendu que les dispositions de l’article L. 1237-11 du code du travail relatives à la rupture conventionnelle entre un salarié et son employeur ne sont pas applicables à une convention tripartite conclue entre un salarié et deux employeurs successifs ayant pour objet d’organiser, non pas la rupture, mais la poursuite du contrat de travail ».
Cette solution pratique et de bon sens ne peut qu’être approuvée. Notons toutefois qu’il doit bien s’agir d’une poursuite du contrat initial, ce qui implique à tout le moins une reprise de l’ancienneté.
LE LICENCIEMENT D’UN « LANCEUR D’ALERTE » DE BONNE FOI EST NUL
Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, M. X/ l’Association guadeloupéenne de gestion et de réalisation des examens de santé et de promotion de la santé
Dénoncer des faits susceptibles de caractériser des infractions pénales relève de la liberté d’expression. Voilà l’enseignement précieux de cet arrêt.
En effet, une fois la qualification juridique opérée, le régime applicable en découle et est bien connu : le licenciement d’un salarié en raison de l’exercice d’une liberté fondamentale est nul.
Sur le fondement de l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour pose ainsi le principe selon lequel : « en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ».
Cette décision risque de connaître une très large portée dans la mesure où l’exercice de la liberté d’expression ne connaît presqu’aucune limite.
On constate en effet, à la lecture de l’arrêt, que la Cour ne limite pas la protection accordée aux seules dénonciations adressées à une autorité administrative ou judiciaire. La note explicative publiée par la Cour le confirme : la protection s’applique « de façon plus générale, dès lors [que les faits illicites] sont dénoncés à des tiers ». La dénonciation à la presse ou sur internet devrait donc également bénéficier de cette protection sur le fondement de la liberté d’expression.
La seule réserve apportée par la Cour est logique, le salarié doit avoir dénoncé de bonne foi.
Les employeurs sont donc prévenus. La décision de licencier un salarié par le non-respect de la confidentialité, de la déloyauté ou la volonté de nuire à l’entreprise devra être d’autant mieux réfléchie.
Bulletin rédigé par Maître Olivier PHILIPPOT, avocat associé SCP LEXOCIA – Wurmser-Schwach-Frezard-Widmer-Philippot
5 rue de Berne – 67300 SCHILTIGHEIM // 40, rue Victor Schoelcher – 68200 MULHOUSE