Bulletin JSA – JUIN-JUILLET 2016

Bulletin rédigé par Maître Sylvie RUEDA-SAMAT

SELARL RINGLE ROY & ASSOCIES
46 rue Saint-Jacques
13006 MARSEILLE


Editorial

RÉFORME DU DROIT DU TRAVAIL : UN OUTIL DE MODERNISATION ET DE PERFORMANCE ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE ?

À la faveur de la crise et des politiques d’austérité, le droit du travail est érigé comme la cause principale du niveau élevé du chômage et de la faible croissance que connaît la France comparée à ses voisins européens au premier rang desquels la Grande Bretagne et l’Allemagne. La réforme du droit du travail apparaît donc comme un enjeu économique majeur, objet de la dernière réforme d’envergure du quinquennat Hollande.

Alors que le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 pris en application de la loi Macron du 6 août 2015, fixant les nouvelles règles de la procédure prud’homale est paru, aussi discrètement que la loi, au JO du 25 mai 2016, la loi travail suscite, quant à elle, toujours une large opposition.

Après le passage en force avec l’article 49.3 face à l’Assemblée, l’examen du texte a débuté au Sénat le 13 juin. Cependant, malgré les changements apportés par le gouvernement, ce texte réformant le code du travail suscite depuis le 9 mars dernier, des levées de boucliers d’une partie de la population et des syndicats.

Au lendemain des violentes manifestations qui ont eu lieu à Paris, Manuel VALLS a affirmé qu’il ne reviendrait pas sur la loi travail. Reste à voir si ce vœu ne restera pas pieux à l’approche des prochaines échéances électorales…

Actualité

LA NOUVELLE ARCHITECTURE DE LA PROCÉDURE PRUD’HOMALE

Dans le but affiché de favoriser la résolution amiable des différends et en cas de contentieux, de réduire les délais de traitement des litiges, la loi Macron du 6 août 2015, dite pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances, a bouleversé les fondements de l’architecture de la procédure prud’homale.

Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 pris en application de la loi du 6 août 2015, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, paru au JO du 25 mai 2016 apporte des modifications importantes à la procédure prud’homale.

Les grands axes de la réforme peuvent être résumés comme suit :

1. Plusieurs modes alternatifs de règlement des litiges, jusqu’à présent inapplicables aux litiges employeurs/salariés sont désormais ouverts et soumis aux textes du Code de procédure civile relatifs à la résolution amiable des différends :

La médiation conventionnelle :

L’article 31 du décret abroge et remplace les articles R. 1471-1 et R. 1471-2 du Code du travail, qui réservaient le recours à la médiation aux seuls conflits transfrontaliers.

Désormais, cette médiation est envisageable avant la saisine du conseil de prud’hommes.

Par ailleurs, le bureau de conciliation et d’orientation ou le bureau de jugement pourra également, quel que soit le stade de la procédure, désigner un médiateur, si les parties l’acceptent ou leur enjoindre d’en rencontrer un.

L’éventuel accord devra être homologué par la juridiction prud’homale.

La convention de procédure participative :

Elle peut être conclue tant qu’aucun juge n’est saisi et consiste, pour les parties à s’engager, pour une durée déterminée, à chercher une solution amiable à leur différend sans saisir le juge pendant la durée de la convention.

En cas d’échec de celle-ci, les parties ne sont pas dispensées de la phase obligatoire de conciliation lorsque les parties saisissent le conseil de prud’hommes. Le régime de cette procédure est fixé aux articles 2062 à 2066 du Code civil.

Par ailleurs, même en cas d’échec de la convention de procédure participative, la médiation ne sera pas interdite.

2. Saisine du conseil de prud’hommes :

La demande en justice peut désormais être formée soit par la présentation des parties devant le bureau de conciliation et d’orientation soit par une requête (art. R 1452-1 C. trav.) déposée en autant d’exemplaires qu’il existe de défendeurs outre celui destiné à la juridiction, qui devra pour les instances introduites à compter du 1er août 2016, contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et être accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l’appui de ses prétentions (art. R 1452-2 C. trav.).

Le greffe :

– Avise le demandeur par tous moyens du lieu, jour et heure de l’audience (art. R. 1452-3 C. trav).

– Invite le demandeur à adresser ses pièces au défendeur avant la séance ou l’audience et indique qu’en cas de non-comparution sans motif légitime, il pourra être statué en l’état des pièces et moyens contradictoirement communiqués par l’autre partie(art. R. 1452-3 C. trav.).

– Convoque le défendeur par lettre recommandée avec accusé de réception comportant des mentions obligatoires (art. R 1452-4 C. trav.) et notamment l’avertissement selon lequel en cas de non-comparution sans motif légitime, il pourra être statué en l’état des pièces et moyens contradictoirement communiqués par l’autre partie.

La convocation du défendeur vaut citation en justice (art. R 1452-5 C. trav.).

3. Procédure devant le conseil de prud’hommes :

Respect du principe du contradictoire :

L’avis du greffe invite désormais les parties à communiquer leurs pièces avant l’audience.

À défaut pour les parties de respecter les modalités de communication fixées, le bureau de jugement doit écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense (art. R 1454-19 al. 3 C. trav.).

Assistance et représentation :

– Désormais les parties se défendent elles-mêmes. Elles peuvent se faire assister ou représenter (article R 1453-1 C. trav.).

– Les personnes habilitées à assister ou représenter les parties sont les mêmes sous la réserve que l’article 10 du décret remplace les termes délégués permanents ou non permanents des organisations d’employeurs et de salariés par une formule plus générale défenseurs syndicaux (article R 1453-2 C. trav.).

– Le représentant, à l’exclusion de l’avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial qui doit, le cas échéant, l’autoriser à concilier et à prendre part aux mesures d’orientation (article R 1453-2 C. trav.).

– Les parties représentées ou assistées d’un avocat doivent déposer des conclusions récapitulatives développant leur argumentation en fait et en droit avec indication des pièces invoquées à l’appui de chaque prétention. Un bordereau énumérant les pièces versées aux débats doit être annexé aux écritures. Le conseil de prud’hommes ne pourra donc statuer que sur les prétentions visées au dispositif lequel devra reprendre les conclusions antérieures sauf à ce que les parties abandonnent certaines demandes et certains moyens (article R 1453-4 C. trav.). Il pourra rejeter les pièces et écritures qui n’auront pas été préalablement communiquées.

Un rôle d’orientation pour le bureau de conciliation

Le bureau de conciliation est rebaptisé bureau de conciliation et d’orientation.

Le bureau de conciliation dispose en effet désormais de pouvoirs élargis afin d’orienter l’affaire devant une des différentes formations du bureau de jugement :

– Juger l’affaire en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués si, sans motif légitime, une partie ne comparaît pas. Dans ce cas, le bureau de conciliation et d’orientation statue en tant que bureau de jugement en formation restreinte (art. L 1553-1-3 C. trav.).

En pratique les salariés auront donc intérêt à communiquer leurs pièces à leur adversaire dès la saisine et les employeurs devront impérativement être présents ou représentés, sauf à prendre le risque d’être jugés immédiatement et en leur absence.

– Prononcer la caducité par application de l’article 468 du Code de procédure civile si au jour fixé pour la tentative de conciliation, le demandeur ne comparaît pas et que le défendeur ne sollicite pas un jugement (art. R 1454-12).

– Ordonner le report en cas d’absence justifiée. Dans ce cas, une nouvelle date d’audience est communiquée aux parties.

– En cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation assure la mise en état de l’affaire, après avoir le cas-échéant désigné si besoin un ou deux conseillers rapporteurs, jusqu’à la date qu’il fixe pour l’audience de jugement et définit les modalités de la mise en état (séances de mise en état ou communication par LRAR ou par notification entre avocats dont il est justifié auprès du bureau de conciliation dans les délais impartis).

– Le bureau de conciliation pourra pendant la mise en état entendre chacune des parties séparément et dans la confidentialité et les inviter à fournir les explications nécessaires à la solution du litige ainsi que leur enjoindre de produire des pièces et éléments destinés à éclairer le conseil de prud’hommes (art. R 1454-1 C. trav.) à peine de radiation ou de renvoi devant le bureau de jugement (art. R 1454-2 C. trav.).

– En l’absence de conciliation ou de conciliation partielle, le bureau de conciliation pourra :

1/ renvoyer sur le champ l’affaire devant le bureau de jugement si l’organisation des audiences le permet et si l’affaire peut être jugée immédiatement (art. R. 1454-18, al. 3 C. trav.).

2/ ou renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement réuni soit en formation restreinte, soit en formation classique ou en formation de départage.

> La formation restreinte est la principale création de la loi: elle est composée d’un conseiller employeur et d’un conseiller salarié, chargés de statuer dans un délai de 3 mois (art. L 1454-1-1, 1 C. trav.). Peuvent être renvoyés devant cette formation les litiges portant sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, à condition que les parties aient donné leur accord.

> La formation classique est composée de quatre conseillers prud’hommes.

> La formation de départage est composée de quatre conseillers et d’un juge du tribunal de grande instance et pourra désormais être saisie directement à la demande des parties et non plus seulement lorsque les autres formations n’auront pas réussi à s’entendre.

Le décret rappelle que le juge départiteur n’est plus le juge d’instance mais un juge du tribunal de grande instance désigné par le président de ce dernier (art. R. 1423-33 C. trav.).

Une obligation d’information du juge quant au prononcé du jugement.

Les parties doivent être informées tant par le président du bureau de jugement (art. R 1454-25 C. trav.) que par le juge départiteur (art. R 1454- 31 C. trav.) de la date à laquelle le jugement sera prononcé. En cas de report de celui-ci à une date ultérieure, le juge doit en informer les parties par tous moyens en expliquant le ou les motifs de la prorogation.

4. Référé : Un nouvel article R 1455-2 est inséré au Code du travail.

Lorsque le conseil de prud’hommes statue en la forme des référés, il exerce les pouvoirs dont dispose la juridiction au fond et statut par ordonnance ayant l’autorité de la chose jugée relativement aux contestations qu’elle tranche.

Cette ordonnance est exécutoire à titre provisoire. Saisie à tort, la formation de référé peut renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement dans les conditions prévues à l’article R 1455-8 du Code du travail.

5. Procédure en appel : Autre grande innovation de la procédure prud’homale, les instances et appels introduits à compter du 1er août 2016, devront faire l’objet d’une représentation obligatoire au choix soit par un avocat soit par un défenseur syndical.

6. Procédure devant le tribunal d’instance juge du contentieux préélectoral :

Lorsque la contestation porte sur une décision de l’autorité administrative mentionnée à l’article R 2314-26 C. trav., la déclaration n’est recevable que si elle est faite par la partie intéressée dans les quinze jours suivant la notification de la décision administrative, avec mention des voies et délais de recours, par lettre recommandée avec accusé de réception.

Saisi dans ce délai d’ordre public, le juge d’instance statue en premier et dernier ressort, les parties ne pouvant bénéficier que d’un pourvoi en cassation pour contester le jugement.
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Les principaux changements instaurés par la loi Macron, principalement destinés à accélérer les délais de traitement des affaires vont donc pouvoir être mis en œuvre.

L’avenir nous dira s’ils se sont avérés efficace.

En attendant, l’on ne peut que s’étonner que la représentation soit désormais obligatoire en appel dès lors que l’objectif de la loi Macron était notamment de relancer l’économie en pariant sur la mise en concurrence de certaines professions, la déréglementation et la simplification afin d’améliorer concrètement et rapidement la vie des français.

Jurisprudence

PAS DE RÉPARATION AUTOMATIQUE EN CAS DE CLAUSE DE NON-CONCURRENCE NULLE

(Cassation sociale 25 mai 2016, n°14-20.578, Pascal X/SAS UFIFRANCE PATRIMOINE)

En l’espèce, M. X a été engagé par la société Unifrance en qualité de démarcheur chargé de suivre et développer une clientèle de particuliers. Le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail, après avoir été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement. En appel, il est débouté de sa demande d’indemnisation du préjudice résultant de l’illicéité et de l’annulation de la clause de non-concurrence découlant de l’absence de contrepartie financière. Ce dernier s’est donc pourvu en cassation. La Cour de cassation rejette le pourvoi confirmant que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain des juges du fond.

Cet arrêt va dans le même sens que l’arrêt rendu le 13 avril 2016 par la chambre sociale (n° 14-28.293 (M. X / Société RQS) aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que le salarié qui entend obtenir des dommages et intérêts pour délivrance tardive du certificat de travail et du bulletin de paie doit établir la réalité du préjudice que ce retard lui a causé, ce point relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

ÉVOLUTION DANS L’APPLICATION DE L’OBLIGATION DE SÉCURITÉ DE RÉSULTAT EN MATIÈRE DE HARCÈLEMENT MORAL :

L’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité que s’il est établi qu’il a pris toutes les mesures de prévention, notamment en mettant en oeuvre des actions d’information et de formation. (Cassation sociale 1er juin 2016, n° 14-19.702 (M. X/Société FINIMETAL)

Dans cette espèce, pour rejeter la demande de paiement de dommages et intérêts formée par le salarié victime de harcèlement moral, la cour d’appel a retenu que les dispositifs de prévention du harcèlement moral ne pouvaient avoir principalement pour objet que de faciliter la possibilité pour les victimes d’alerter, directement ou par l’intermédiaire de représentants qualifiés du personnel, leur employeur. En l’espèce, l’employeur justifiait avoir modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral et avoir mis en oeuvre, dès qu’il a eu connaissance des faits litigieux, une enquête interne et une réunion de médiation avec le médecin du travail, le directeur des ressources humaines et trois membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

La Haute juridiction a pourtant cassé l’arrêt au motif qu’en statuant ainsi, sans qu’il résulte de ses constatations que l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, notamment, avait mis en oeuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, la cour d’appel avait violé les textes susvisés.
 Maître Sylvie RUEDA-SAMATSELARL RINGLE ROY & Associés
46, rue Saint-Jacques 13006 MARSEILLE