Bulletin JSA – AVRIL – MAI 2016

Bulletin rédigé par Maîtres Frantz-Michel WELSCH, Julie DUBAND, Mélina VARSAMIS

SCP WELSCH & KESSLER
Avocats
57 rue du Faubourg de Pierre
67000 STRASBOURG


Éditorial

PARADOXE LÉGAL ET ORTHODOXIE DANS L’ENTREPRISE ?

L’article 6 du préambule qui introduirait les dispositions d’un nouveau Code du Travail est rédigé de la manière suivante :

«La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par  l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux, ou par la nécessité de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché»

Qu’entend-on par manifestation de ses convictions religieuses ?

Est-ce simplement porter un signe particulier ou un vêtement spécifique ?

Est-il question de rite religieux ?

Faut-il envisager un prosélytisme par la parole ou par l’écrit ?

Doit-on envisager des comportements discriminants ?

L’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, intitulé «Liberté de penser, de conscience et de religion» place très haut le seuil de cette liberté de manifester sa religion, puisque cette manifestation peut intervenir en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

Il revient donc à l’employeur, au regard de ce texte, de gérer un conflit entre les principes de liberté  religieuse, et de bon fonctionnement de l’entreprise.

Tolérance, accommodement, ignorance ou réaction plus ou moins sévère, où placer le curseur ?

Certes, contrairement à  l’employeur de droit public qui se doit de faire respecter le principe de laïcité, l’employeur de droit privé ne peut se prévaloir de ce principe mais, de façon plus concrète et finalement moins dogmatique, faire en sorte que l’exécution du contrat de travail ne soit pas  perturbée par le fait religieux.

Comment réagir si le salarié refuse de passer une visite médicale du fait du sexe du Médecin du Travail, de travailler avec une personne de sexe différent, ou de convictions différentes, d’exiger le respect de règles alimentaires, de refuser de travailler en fonction d’un calendrier religieux, ou  d’obligations tel le jeûne ?

Entre la conclusion du contrat de travail et l’exécution de celui-ci, les situations individuelles peuvent évoluer.

Il faut rappeler que, paradoxalement, l’employeur, auquel il est demandé de respecter la liberté religieuse de son salarié, n’a pas la liberté  d’interroger celui-ci lors de l’embauche sur ses choix confessionnels compte tenu des dispositions sévères de l’article 1132-1 du Code du Travail.

L’employeur peut cependant se référer à l’article L. 1133-1 du Code du Travail.

«Cependant sont admises les différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et  pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée».

Ainsi, la réaction de l’employeur et  la  sanction disciplinaire envisagée par celui-ci ne devront viser, en aucune manière, l’expression d’une foi ou d’une religion, ou la mise en œuvre d’un rite.

Il s’agira de s’en tenir à l’absence injustifiée au poste de travail, au comportement discriminatoire à l’égard de collègues, à  des  propos  insultants  et  injurieux, au refus d’exécuter telle ou telle tâche contractuelle, au défaut de respect du règlement intérieur validé, etc…

Par ailleurs, l’employeur peut-il tenir compte du souhait d’un client qui n’entend plus être en relation avec des salariés marquant leur choix religieux  par une tenue vestimentaire ou un comportement ?

La gêne ou la sensibilité de la clientèle de l’entreprise qui pourrait être éprouvée à la seule vue d’un signe d’appartenance religieuse, constitue-t-elle  un critère, étranger à toute discrimination, justifiant de faire valoir des intérêts économiques ou commerciaux sur des libertés fondamentales du salarié… ? La  question est posée par la Cour de Cassation à la Cour de Justice de l’Union Européenne !

La patience, la prudence et la fermeté s’imposent, le fait religieux ne devant pas mettre en danger l’organisation et la productivité de l’entreprise.

Actualité

UN DOCUMENT SIMPLE ET DANGEREUX !

L’employeur doit être vigilant dans la rédaction du bulletin de salaire dans la mesure où l’omission de certaines mentions peut conduire à des sanctions, et/ou la  rédaction erronée d’autres mentions pourrait créer une présomption.

Une simple mention n’est pas forcément opposable à l’employeur ou au salarié !

La Cour de Cassation rappelle que la mise en place d’un forfait jour sur l’année ne pouvait résulter d’une simple mention sur le bulletin de paie  (Cass.  Soc. 04.11.2015, n° 14.10419).

MENTIONS OBLIGATOIRES

Malgré plusieurs simplifications, le  bulletin de salaire demeure soumis à un formalisme strict, dont  le non-respect entraîne des sanctions.

Les articles R.3243-1 à R.3243-5 du Code du Travail listent de manière exhaustives mentions devant obligatoirement y figurer.

MENTIONS DANGEREUSES

Certaines mentions sur le bulletin de salaire emportent des présomptions au bénéfice du salarié.

La mention d’une convention collective sur le bulletin de paie vaut présomption de l’applicabilité de la convention collective.

L’employeur a cependant la possibilité d’apporter la preuve contraire en démontrant qu’une seule autre convention collective est applicable au regard de l’activité réelle et principale de l’entreprise et que la convention mentionnée sur le bulletin de paie résulte d’une erreur (Cass. Soc. 15.11.2007, n° 06-44008 ; Cass. Soc. 01.07.2008, n° 07-41473).

L’application de la convention collective mentionnée sur le bulletin de salaire est limitée aux seules prévisions qui sont transposables dans    l’entreprise en question (Cass.  Soc.16.12.2005, n° 03-40888).

L’absence d’informations sur la convention collective applicable cause nécessairement un préjudice au salarié lui ouvrant droit à indemnisation (Cass. Soc. 19.05.2004, n°02-44671), en tout cas jusqu’au récent arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation,du 13 avril 2016 (n° 14-28293).

Les dates de congés et le montant de l’indemnité correspondante sont des mentions obligatoires du bulletin de salaire.

Lorsqu’au-delà de la période de prise des congés, le bulletin de salaire mentionne les congés non pris par le salarié, cette mention vaut  reconnaissance par l’employeur que ces congés restent dus (Cass. Soc. 30.03.1999, n° 97-41257).

OMISSIONS DANGEREUSES

L’absence de mentions obligatoires sur le bulletin de salaire emporte pour l’employeur un risque de sanction.

Le nom et l’emploi du salarié, ainsi que sa position dans la classification conventionnelle (niveau ou coefficient hiérarchique) doivent être indiqués sur le bulletin de salaire.

Ces deux mentions sont cumulatives dans la mesure où elles permettent la vérification de l’adéquation de la rémunération par rapport aux fonctions  réellement exercées, à défaut de ces mentions la Cour de Cassation considère que le  salarié subit un préjudice susceptible de réparation.

L’employeur doit également veiller à indiquer la période et le nombre d’heures de travail auxquels se rapporte le salaire en distinguant, s’il y a  lieu, les heures payées au taux normal de celles qui comportent une majoration pour heures supplémentaires ou pour toute autre cause (jour férié, travail de nuit, etc…) et en mentionnant le ou les taux appliqués aux heures correspondantes.

A défaut, et si intentionnellement seule une partie des heures réellement effectuées a été mentionnée, cela constitue un délit de travail dissimulé (article L. 8221-5 du Code du Travail).

MENTIONS INTERDITES

Il sera rappelé qu’il ne doit être aucunement fait mention sur le bulletin de salaire de l’exercice du droit de grève par le salarié (article  R.3243-4  du Code du Travail).

Pour toute heure ne correspondant pas à un travail effectif, il est préconisé d’apposer une mention neutre, telle que «absence non rémunérée».

Il ne doit pas non plus être fait état de l’activité de représentation du personnel, en conséquence la mention «heure de délégation» ne doit pas figurer sur le bulletin de salaire.

La Cour de Cassation fait une interprétation stricte de ce texte et interdit notamment que les heures de délégation puissent figurer sur le bulletin de salaire sous l’appellation «heures assimilées» ou «heures travaillées bis».

EFFETS DU BULLETIN DE SALAIRE

Malgré la délivrance d’un bulletin de salaire, et quand bien même le salarié l’aurait accepté sans protestation ni réserve, l’employeur doit prouver le  paiement du salaire.

La délivrance du bulletin de salaire ne vaut pas présomption de paiement du salaire.

La mention sur le bulletin de paie de la nature ou du montant des  sommes versées n’a pas pour effet de contractualiser les avantages qui sont  décrits (Cass.Soc.05.10.2010, n°08-45467).

Il  sera rappelé que l’employeur qui enfreint les dispositions légales relatives au bulletin de salaire encourt une amende de 450,00 € prévue pour les  contraventions de 3èmeclasse.

En outre, l’absence de délivrance de bulletins de salaire ou la délivrance d’un bulletin de salaire comportant des renseignements erronés ou lacunaires peut ouvrir droit pour le salarié à l’allocation de dommages et intérêts sans qu’il ait à apporter la preuve d’un préjudice.

LES ÉVOLUTIONS À VENIR (SIMPLIFICATION OU CLARIFICATION)

Les travaux de la Commission SCIBERRAS relatif à la simplification du bulletin de salaire ont donné lieu à un Décret du 25février 2016 n° 2016-190 relatif aux mentions figurant sur le bulletin de paie.

Depuis le 1er mars 2016, les entreprises peuvent remettre à leurs salariés un bulletin de paie simplifié.

Ce nouveau bulletin de salaire s’imposera à tous les employeurs dès le 1er janvier 2018 et dès le 1er janvier 2017 dans les entreprises d’au moins 300 salariés.

Cette «simplification» répond à un double objectif, celui de rendre le document plus compréhensible pour les salariés et de faciliter la gestion de la paie par l’entreprise.

La référence à l’organisme auquel l’employeur verse les cotisations sociales est supprimée, de même que le numéro sous lequel ces cotisations sont versées.

Un certain nombre de nouvelles mentions font néanmoins leur apparition, à savoir l’assiette, le taux et le montant des cotisations qui devront apparaître sous la forme de 3 lignes distinctes, la première faisant figurer le montant, l’assiette et le taux de cotisation et contribution salariale et patronale avant la déduction des exonérations et exemptions.

La deuxième ligne fait la somme des exonérations et exemptions.

La dernière ligne doit comporter le montant total des sommes versées par l’employeur après soustraction du montant total des cotisations et contributions, des exonérations et exemptions applicables.

Il sera également obligatoire de faire mentionner sur le bulletin de salaire la rubrique dédiée au bulletin de salaire sur le service www.service-public.fr

Il est envisagé de faciliter la mise en place du bulletin de salaire électronique : l’employeur serait autorisé à procéder à la remise du bulletin de salaire sous forme électronique sauf opposition du salarié, ce qui permettrait de simplifier la question de la preuve de la remise du bulletin de salaire.

Jurisprudence

REQUALIFICATION DE CONTRATS DE TRAVAIL À DURÉE DÉTERMINÉ SUCCESSIFS EN CONTRAT DE TRAVAIL À DURÉE INDÉTERMINÉE

Dans un arrêt du 16 mars 2016 (n°15-11396), la Cour de Cassation s’est prononcée, pour la première fois, sur l’incidence de la perception  d’allocations chômage durant des périodes inter contrats sur le montant du rappel de salaire dû au salarié, en cas de requalification de ces contrats de travail  à durée déterminée successifs en contrat de travail à durée indéterminée.

Il est de jurisprudence constante qu’en cas de requalification de contrats de travail à durée déterminée successifs en contrat de travail à durée indéterminée, un salarié, qui démontre s’être constamment tenu à la disposition de son employeur pendant les périodes d’inter contrats, peut    obtenir un rappel de salaire pour lesdites périodes (Cass. Soc. 30.11.2010,  n°09-40160 ; Cass.  Soc.10.12.2014,  n°13-22422).

La Cour de Cassation avait déjà indiqué que l’inscription à POLE EMPLOI entre deux contrats de travail à durée déterminée n’excluait pas que le  salarié se soit tenu à la disposition de l’employeur (Cass.  Soc.25.06.2013,  n°11-22646).

Dans son arrêt du 16 mars 2016, la Cour de Cassation précise que le montant des rappels de salaire dus au titre de ces périodes inter  contrats n’est pas affecté par le versement d’allocations chômage au salarié.

INAPTITUDE : L’EMPLOYEUR N’A PAS L’OBLIGATION DE PRÉSENTER AU SALARIÉ DES OFFRES DE RECLASSEMENT PAR ÉCRIT

La Cour de Cassation précise qu’il ne résulte pas des dispositions de l’article 1226-2 du  Code  du  Travail, fixant le contenu de l’obligation  de reclassement dans le cadre d’une inaptitude non professionnelle, que les offres de reclassement doivent être présentées  par écrit par   l’employeur (Cass.Soc. 31.03.2016, n°14-28314).

L’absence d’écrit ne saurait être reprochée à l’employeur au titre d’un manquement à son obligation de reclassement;  cela reviendrait, pour la Cour, à ajouter  à la loi «une condition qu’elle ne prévoit pas».

En l’espèce, un salarié avait été reconnu inapte à son poste de travail, à la suite d’une maladie non professionnelle.

Une première offre de reclassement avait été adressée au salarié par l’employeur par pli recommandé.

Une réunion avait été organisée par l’employeur avec les délégués du personnel et le salarié,afin d’examiner d’autres possibilités de reclassement.

Toutes les offres de postes disponibles, conformes aux préconisations du Médecin du Travail, proposées par l’employeur, avaient été refusées par le salarié.

La Cour d’Appel d’AMIENS a considéré que l’employeur aurait dû faire le nécessaire pour proposer par écrit les postes évoqués au cours de la  réunion des délégués du personnel, et a considéré qu’à défaut d’avoir respecté cette formalité, l’employeur avait manqué à son obligation  de  reclassement  rendant le  licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.

La Haute Juridiction a infirmé cette position, en se fondant sur les dispositions mêmes du Code du Travail relatives au reclassement du salarié, à la suite d’une inaptitude d’origine non professionnelle.

L’article 1226-2 du Code du Travail n’exige pas que l’offre de reclassement soit présentée par écrit, à la différence d’ailleurs des dispositions du code  du Travail concernant l’obligation de reclassement de l’employeur dans le cadre d’un licenciement pour motif économique.

Cette solution s’appliquerait-elle également dans le cadre d’une inaptitude d’origine professionnelle ?

L’article 1226-10 du Code du Travail est rédigé dans des termes similaires à l’article L 1226-2 et n’impose aucun formalisme particulier.

Toutefois, la consultation des délégués du personnel sur les possibilités de reclassement est requise et consignée, ce qui crée une situation différenciable de l’inaptitude d’origine non professionnelle.

En tout état de cause, si cette position de la Cour de Cassation assouplit l’obligation de l’employeur en matière de reclassement, reste toutefois la  problématique, en cas de litige, de l’exécution loyale et sérieuse de l’employeur de son obligation.

Les propositions de reclassement doivent être suffisamment précises quant au type de travail que l’employeur entend confier au salarié (Cass. Soc. 06.02.2001, n° 98-43272 ;Cass. Soc. 10.12.2002, n° 00-46231).

La charge de la preuve de l’impossibilité de reclassement repose toujours sur l’employeur (Cass. Soc.06.01.2010, n°08-44177).

Il reste donc fortement conseillé aux employeurs de formuler leurs propositions de reclassement par écrit, afin de pouvoir en justifier le cas  échéant,  et surtout de rapporter la preuve que les postes proposés sont conformes aux préconisations du Médecin du travail, et ce, de manière suffisamment précise.

La prudence reste de vigueur !

Bulletin rédigé par Maîtres Frantz-Michel WELSCH, Julie DUBAND et Mélina VARSAMIS, S.C.P. WELSCH & KESSLER
57 rue du Faubourg de Pierre 67000 STRASBOURG