Bulletin JSA – MARS 2016

Bulletin rédigé par Maîtres Pascales ROUVILLE et Mélanie THOMAS COTTEAUX et Yoann GONTIER

Avocats au Barreau de Rouen et Juriste
EPONA CONSEIL
19 rue Alfred Kastler
76130 MONT SAINT AIGNAN


Editorial

L’EMPLOYEUR PEUT DÉSORMAIS TRANSIGER AVEC L’URSSAF

Depuis le 18 février 2016, les employeurs peuvent transiger avec l’URSSAF.
En effet, le décret du 15 février 2016 est paru, en application de la loi du 22 décembre 2015.

Cette possibilité de transiger concerne les majorations et pénalités de retard, l’évaluation d’éléments de l’assiette des cotisations (notamment avantages en nature, frais professionnels), ainsi que le montant des redressements calculé par la méthode de l’évaluation forfaitaire (exemple : échantillonnage).

Le décret du 15 février 2016 détermine les modalités de mise en œuvre de la transaction qui s’assimilent, avouons-le, à une procédure en bonne et due forme :
saisine, délai de réponse, négociation, validation par une commission avec un nouveau délai, …, pour revenir à la case départ en cas d’échec.

L’avocat ou l’expert-comptable de l’entreprise ont désormais légitimité pour intervenir directement dans le cadre de cette négociation auprès du Directeur de l’URSSAF.

Cette nouvelle procédure, même si elle peut paraître pesante, constitue une avancée importante en ce qu’elle participe à un phénomène plus large de droit collaboratif et se calque ainsi sur les procédures de droit fiscal.

Attention toutefois : le décret précise que la transaction n’aura aucun effet et ne remettra pas en cause les observations faites par l’URSSAF (dans la lettre d’observations établie par l’Inspecteur), dans la mesure où la transaction n’a pas pour vocation à interpréter ni à remettre en cause le positionnement de cet organisme.

Ainsi, un cotisant ne pourra se prévaloir d’une transaction antérieure pour s’exonérer des observations faites lors du contrôle y afférent : la présomption de bonne foi tombera automatiquement, le cotisant étant considéré comme ayant été en effet, préalablement informé…

Ce qui signifie clairement que si une entreprise entend remettre en cause une interprétation ou une fausse appréciation de l’URSSAF, il sera nécessaire de contester le redressement devant la commission de recours amiable, puis devant le TASS…

Actualité

GÉOLOCALISATION : LES ENTREPRISES ONT JUSQU’AU 7 JUIN 2016 POUR SE METTRE EN CONFORMITÉ AVEC LES NOUVELLES EXIGENCES DE LA CNIL

La géolocalisation constitue un outil de contrôle et de gestion auquel ont de plus en plus fréquemment recours les entreprises pour localiser en temps réel la position géographique des véhicules utilisés par leurs salariés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.

La jurisprudence encadre très strictement le recours à ce dispositif : dans la mesure où la géolocalisation permet de collecter de façon automatique des données à caractère personnel (la position géographique d’un individu physique), le système mis en place par l’employeur doit respecter les dispositions de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 ainsi que celles de l’article L. 1121-2 du Code du travail.

Il en résulte que si l’employeur est en droit de contrôler et de surveiller son personnel pendant le temps de travail, c’est à la condition d’utiliser des moyens de contrôle qui soient justifiés par la nature de la tâche à accomplir et proportionnés au but recherché.

Par ailleurs, la mise en place d’un système de géolocalisation doit notamment être précédée d’une déclaration préalable auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL).

Le 4 juin 2015, cet organisme a adopté une délibération qui modifie sa norme dite « simplifiée » n° 51 et qui a pour effet d’encadrer encore un peu plus la géolocalisation des véhicules mis à la disposition des salariés.

Les employeurs disposent d’un délai d’un an pour se mettre en conformité, soit jusqu’au 6 juin 2016.

DES CAS DE RECOURS ÉLARGIS

La nouvelle norme simplifiée n°51 de la CNIL précise et élargit les cas dans lesquels l’employeur est autorisé à géolocaliser les véhicules de ses salariés :

– le respect d’une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés ;
– le suivi et la facturation d’une prestation de transport de personnes ou de marchandises ou d’une prestation de services directement liée à l’utilisation du véhicule, ainsi que la justification d’une prestation auprès d’un client ou d’un donneur d’ordre ;
– la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou véhicules dont il a la charge, en particulier la lutte contre le vol du véhicule ;
– une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence ;
– le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule définies par le responsable de traitement, sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps de travail du conducteur ;
– le suivi du temps de travail, sous réserve qu’il s’agisse d’une finalité accessoire et uniquement lorsque ce suivi ne peut pas être réalisé par un autre moyen, et sous réserve notamment de ne pas collecter ou traiter de données de localisation en dehors du temps de travail des employés concernés.

Il convient de porter une attention particulière à ces cas de recours dans la mesure où l’indication dans la déclaration à effectuer auprès de la CNIL, de la ou des finalités poursuivies par le dispositif de géolocalisation, constitue une étape essentielle.

En effet, la Cour de cassation considère que le système de géolocalisation ne peut pas être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la CNIL (Cass. Soc. 3 novembre 2011, n°10-18.036).

En conséquence, au regard des nouvelles finalités admises par la CNIL, il est conseillé aux employeurs de compléter si besoin la déclaration établie antérieurement au 7 juin 2015, dès lors que les finalités qui ont été déclarées ne correspondent pas ou plus à l’utilisation réelle qui est faite du dispositif de géolocalisation.

DROIT À LA DÉSACTIVATION DU DISPOSITIF DE GÉOLOCALISATION

Par ailleurs, la nouvelle norme n° 51 de la CNIL interdit désormais expressément de collecter des données de localisation en dehors du temps de travail des salariés, en particulier lors des trajets domicile-lieu de travail et pendant les temps de pause des salariés.

A cet égard, la principale nouveauté réside dans le fait qu’il est désormais reconnu au salarié, un droit de désactivation du dispositif de géolocalisation, à l’issue de son temps de travail et pendant les temps de pause.

En conséquence, les employeurs doivent s’assurer que les dispositifs de géolocalisation dont sont équipés les véhicules de l’entreprise, permettent une désactivation par le salarié.

Si tel n’est pas le cas, il conviendra, et ce avant le 7 juin 2016, d’adapter le dispositif existant ou d’installer un nouveau dispositif permettant aux salariés de désactiver la géolocalisation.

En contrepartie de ce droit de désactivation, l’employeur est désormais autorisé à procéder à la collecte et au traitement des date et heure d’activation et de désactivation du dispositif afin de solliciter le cas échéant auprès du salarié des explications, en cas de désactivations trop fréquentes et/ou trop longues (ce qui permettra par exemple d’établir des pauses excessives).

Par ailleurs, il convient de rappeler que les représentants du personnel ne doivent, en aucun cas, faire l’objet d’une géolocalisation lorsqu’ils agissent dans le cadre de l’exercice de leur mandat.

MISE EN CONFORMITÉ AVANT LE 7 JUIN 2016

La délibération de la CNIL en date du 4 juin 2015 est entrée en vigueur à la date de sa publication au Journal Officiel, soit le 7 juin 2015.

Toutefois, la CNIL a prévu une période transitoire de 12 mois afin de permettre aux entreprises de se mettre en conformité avec les nouveaux cadres précités.

Cette période transitoire prendra fin le 7 juin 2016.

A cette date, si le dispositif dont sont équipés les véhicules de l’entreprise, est en conformité avec la nouvelle norme de la CNIL, à savoir :

– qu’il répond aux cas de recours susmentionnés,
– et que les salariés peuvent désactiver le système de géolocalisation en dehors de leur temps de travail, l’employeur est dispensé d’effectuer une nouvelle déclaration auprès de la CNIL, la déclaration accomplie par le passé restant valable.

En revanche, si le système en place n’est pas conforme, il convient de procéder à la mise en conformité et ce, avant le 7 juin 2016, étant précisé que là encore, aucune nouvelle déclaration CNIL n’est à effectuer.

Il convient de souligner l’importance de procéder à une mise en conformité à la nouvelle norme simplifiée n°51, des dispositifs existants et ce, avant la date précitée.

En effet, nous vous rappelons qu’à défaut, la collecte de données personnelles par l’intermédiaire du système de géolocalisation pourra entraîner :

– d’une part, la remise en cause de toute sanction disciplinaire qui serait fondée sur des données recueillies par l’intermédiaire d’un système de géolocalisation illicite,
– et d’autre part, la condamnation à d’éventuelles sanctions pénales, telle une condamnation à une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende (articles 226-16 et 226-16-1 du Code pénal).

Jurisprudence

LA FAUTE LOURDE N’EST PLUS PRIVATIVE DE L’INDEMNITÉ COMPENSATRICE DE CONGÉS PAYÉS

Dans une décision en date du 2 mars 2016 (n° 2015-523), le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé contraire à la Constitution, l’alinéa 2 de l’article L. 3141-26 du Code du travail qui autorisait jusqu’alors l’employeur à ne pas verser au salarié licencié pour faute lourde, une indemnité compensatrice pour les congés payés en cours d’acquisition au jour du licenciement (c’est à dire du 1er juin au 31 mai de l’année suivante).

Le Conseil constitutionnel a en effet déclaré cette disposition légale contraire au principe d’égalité devant la loi, dans la mesure où un autre article du Code du travail prévoit qu’il n’y a pas de perte de l’indemnité compensatrice de congés payés pour les salariés, licenciés pour faute lourde, dont l’employeur est affilié à une caisse de congés payés (BTP, transports, ports, spectacles).

Déjà en 2013, la Cour de cassation, dans son rapport annuel, avait préconisé une modification de l’article L. 3141-26 du Code du travail au regard de la Directive européenne « temps de travail» de 2003, qui garantit à tous les salariés un congé annuel minimal de quatre semaines, sans aucune exception.

Désormais, et sauf évolution législative (à l’occasion notamment du projet de loi dit « Travail »), tous les salariés sont donc placés sur un même pied d’égalité : que leur employeur soit affilié ou non à une caisse de congés payés, ils conservent le bénéfice de l’indemnité compensatrice, y compris en cas de licenciement pour faute lourde.

Par rapport à la faute grave, la faute lourde conserve pour seul intérêt de permettre à l’employeur d’engager la responsabilité pécuniaire du salarié aux fins de réparation du préjudice subi.

Cette déclaration d’inconstitutionnalité, a pris effet dès sa publication au Journal officiel, le 4 mars 2016.

Tous les salariés peuvent donc invoquer cette censure de l’alinéa 2 de l’article L. 3141-26 du Code du travail pour contester le non-versement de l’indemnité de congés payés, sauf, comme le précise le commentaire publié aux Cahiers du Conseil constitutionnel, « les personnes licenciées pour faute lourde qui ont engagé une procédure contentieuse close définitivement avant la publication de la décision, et celles licenciées pour faute lourde qui seraient à cette même date hors délai pour introduire une requête ».

VISITE MÉDICALE D’EMBAUCHE ET SANCTION PÉNALE

Dans un arrêt en date du 12 janvier 2016, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que l’employeur doit s’assurer de l’effectivité de la visite médicale d’embauche, avant l’expiration de la période d’essai (article R. 4624-10 du Code du travail) et ce, même pour les contrats à durée déterminée de très courte durée (Cass. Soc. 12 janvier 2016, n° 14-87.695).

Pour ce faire, l’employeur ne peut pas se contenter de demander à ce qu’il soit procédé à une visite médicale d’embauche dans la déclaration préalable à l’embauche.

Il est donc conseillé aux employeurs de demander par un écrit spécifique au centre interentreprises de santé au travail dont ils relèvent, l’organisation de cet examen médical d’embauche. En effet, en cas de défaillance du service de santé au travail, l’employeur est autorisé par la suite à se retourner contre celui-ci pour obtenir réparation du préjudice causé par ses dysfonctionnements dans le suivi des salariés (Cass. 1ère civ., 19 décembre 2013, n° 12- 25.056).

A défaut, l’employeur s’expose à une sanction pénale, sous la forme d’une contravention de 5e classe (prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés), comme l’a jugé la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité (Cass. soc. 12 janvier 2016 précité).

Outre cette sanction pénale, il convient de rappeler que la non organisation de la visite médicale d’embauche avant l’expiration de la période d’essai, est également assortie d’une sanction civile : la Chambre sociale de la Cour de cassation considère en effet, pour sa part, que cela cause « nécessairement » un préjudice au salarié et qu’il doit automatiquement lui être attribué des dommages et intérêts à ce titre (Cass. Soc. 15 janvier 2014, n° 12-24.701).

TRANSPORTS ROUTIERS DE MARCHANDISES : LE TEMPS DE TRAJET PEUT CONSTITUER SOUS CERTAINES CONDITIONS UN TEMPS DE TRAVAIL EFFECTIF

La Cour de cassation a jugé, dans un arrêt en date du 12 janvier 2016, que les trajets effectués par un conducteur routier de marchandises, au moyen d’un véhicule de service, entre son domicile et les lieux de prise de poste autres que le lieu de rattachement habituel de l’entreprise, constituent un temps de travail effectif et ce, quelle que soit la distance entre ces lieux et le domicile du salarié (Cass. Soc. 12 janvier 2016, n° 13-26.318).

Dans cette affaire, la Haute Juridiction a écarté l’article L. 3121-4 du Code du travail qui dispose expressément que les temps de trajet domicile – lieu de travail ne constituent pas du temps de travail effectif, au regard non seulement de la situation particulière dans laquelle sont placés les conducteurs routiers de marchandises qui sont des salariés itinérants sans lieu de travail habituel, mais également de l’article 9 du règlement CE du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de législation sociale dans le domaine des transports de la route.

Déjà dans une décision récente du 10 septembre 2015, la CJUE avait considéré que pour un salarié itinérant, le temps de déplacement entre son domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par l’employeur, constituait un temps de travail, sans pourtant leur donner la qualification de temps de travail effectif (CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-266/14).

Ces 2 décisions amorcent vraisemblablement une évolution de la législation française en la matière au regard de l’insuffisance des dispositions de l’article L. 3121-4 du Code du travail qui ne traitent que des temps de trajet domicile – lieu de travail des salariés sédentaires.

Bulletin rédigé par Maîtres Pascale ROUVILLE et Mélanie THOMAS-COTTEAUX, Avocats au Barreau de Rouen, et Yoann GONTIER, Juriste
EPONA CONSEIL – 19, rue Alfred Kastler – 76130 Mont Saint Aignan