Bulletin JSA – FEVRIER 2016
Bulletin rédigé par Maître Catherine PERRINEAU
Cabinet GARDACH & ASSOCIES
10 rue de la Trinquette
Le Sextant
BP 3066
17032 LA ROCHELLE CEDEX
Éditorial
UNE RÉFORME DE L’INSPECTION DU TRAVAIL AVANT LA FIN DU QUINQUENNAT ?
Dans son rapport annuel publié le 10 février 2016, la Cour des Comptes souligne que la modernisation de ce corps de fonctionnaires est nécessaire.
La Cour des Comptes, qui relate que ce corps d’inspection a un champ d’intervention très large portant sur 1,8 millions d’établissements et 18 millions de salariés, rappelle, tout d’abord, la mission de contrôle de ces inspecteurs mais également le rôle de conseil au public, ainsi que son intervention dans les relations collectives du travail. Elle relève, par ailleurs, que l’Inspection du Travail doit faire face à une évolution des règles du droit du travail, et, par voie de conséquence,l’obligation pour l’Inspection du Travail de multiplier son activité dans des domaines nouveaux, bien souvent techniques.
Elle fait, surtout, le constat que ce nombre de missions n’est pas un gage d’efficience et que certaines de celles-ci, notamment l’homologation des ruptures conventionnelles, pourraient lui être retirées et en contrepartie, l’évolution de la réglementation du travail ainsi que la technicité de certains domaines d’intervention, nécessiteraient la constitution d’équipes spécialisées et une adaptation du corps de l’Inspection du Travail.
L’organisation ancienne en sections territoriales est critiquée, mais également et surtout, le fonctionnement de cette organisation qui est jugé autonome et parfois solitaire.
En réalité, on apprend que l’initiative du contrôle, comme son mode opératoire et les suites de celui-ci, est à la seule discrétion du fonctionnaire.
Les inspecteurs du travail bénéficient d’une indépendance statutaire résultant des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Et, la Cour souligne que les normes déontologiques de l’Inspection du Travail n’ont pas été publiées et, qu’à ce titre, les usagers ne peuvent se réclamer de règles communes qui s’imposeraient au corps des inspecteurs du travail.
La Cour n’hésite pas, d’ailleurs, à rappeler qu’un logiciel devait être mis en place afin de permettre le suivi individuel et collectif de l’activité des agents. Mais, le mouvement de boycott des entretiens professionnels d’évaluation, à l’initiative des syndicats de ce corps de fonctionnaires, compromet encore aujourd’hui le suivi de l’activité des inspecteurs du travail qui, de ce fait, peuvent prendre les décisions sans en rendre compte… Nombre de chefs d’entreprises ont pu le constater !
La Cour préconise un accompagnement de la réforme, et, surtout si la spécialisation est nécessaire, elle insiste sur le fait qu’il existe des voies de droit disciplinaire pour répondre à des situations où des agents refuseraient de remplir leurs obligations de service, comme celles de justifier de leurs activités ou de participer aux entretiens annuels d’évaluation.
Il va sans dire que le constat qui a été fait de la grande autonomie de l’inspecteur ainsi que de ses décisions discrétionnaires (voir arbitraires !) et du refus d’accepter toute reddition de compte de ses missions révèle que l’Inspection du Travail a une culture antihiérarchique voire ahiérarchique !! Le pouvoir disciplinaire de l’employeur n’est souvent pas reconnu par cette administration, ce que l’on comprend à la lecture de ce rapport !
Le Ministre du travail, Madame EL KHOMRI, partage « la plupart des appréciations contenues dans (votre) le rapport » de la Cour des Comptes.
Et, elle déclare d’ailleurs « l’agent de l’Inspection du Travail, qui a pour mission d’assurer le respect de la loi, n’est pas au-dessus de celle-ci ».
Elle conclut qu’une ligne déontologique sera mise en œuvre : lorsque après la discussion et le rappel à l’ordre, les agissements anormaux subsisteront, ils seront sanctionnés conformément aux règles de la fonction publique.
Si l’avis de la Cour des Comptes était suivi, nous pourrions espérer connaître à l’avenir des contrôles selon des priorités qui seraient définies à un niveau étatique ainsi que leur suivi et leur évaluation.
Et surtout, l’analyse des risques majeurs du droit du travail permettrait de rendre efficaces les contrôles.
Ainsi, il semble que le Ministre du travail souhaite, à l’avenir, des contrôles d’entreprise orientés essentiellement vers des infractions aux abus d’emplois illicites ainsi que vers des infractions en matière d’hygiène et de sécurité du travail.
Au-delà, il est souligné que la réforme doit s’appliquer à l’Inspection du Travail en son entier, notamment aux assistants des unités de contrôles et aux agents affectés dans les services de renseignements, qui ont, par ailleurs, une mission non négligeable.
L’inspecteur du travail, comme tout fonctionnaire, devrait, dans un avenir proche, remplir la mission de service public qui lui est dévolue mais également en rendre compte à son administration.
Il est étonnant d’apprendre, aujourd’hui seulement, qu’il n’en est pas ainsi du corps des inspecteurs du travail alors que ceux-ci, sur le terrain, peuvent prononcer des sanctions gravissimes, que ce soit pour arrêter un chantier, refuser un licenciement de salarié protégé, ou encore faire respecter un plan de sauvegarde de l’emploi sans contrôle de leur hiérarchie.
Jurisprudence
LE RISQUE D’UNE UTILISATION DÉVOYÉE DU RÉGIME DE L’AUTO-ENTREPRENEUR
Très récemment, un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 15 décembre 2015 (n°14-85.638) a retenu l’existence d’un lien de « subordination juridique permanente » entre une société et ses anciens salariés qui, sous le statut d’auto-entrepreneur, poursuivaient en réalité les mêmes fonctions et accomplissaient les mêmes tâches selon les mêmes modalités d’exécution du travail qu’antérieurement.
Les juges du fond ont bien retenu que les modalités d’exécution du travail, qui étaient imposées par la société, traduisaient une absence d’autonomie de ces personnels. Effectivement, ils accomplissaient des tâches sans rapport avec l’objet du contrat les liant à la société selon un service organisé par cette dernière, et avaient notamment l’obligation d’utiliser un listing commun et de respecter une procédure établie. De même, les personnes devaient respecter des horaires imposés par la société, et cette dernière se réservait le droit de résilier le contrat dès lors que les personnes ne rempliraient pas les objectifs qu’elle leur avait imposés. Enfin, la société établissait elle-même les factures !
Dans ces conditions, la Chambre Criminelle a confirmé l’existence d’un lien de subordination juridique permanent et a condamné la société et ses gérants à une peine d’amende pour travail dissimulé, faute d’avoir déclaré intentionnellement l’embauche de ces salariés.
Le régime de l’auto-entrepreneur a été créé par la loi n°2008-776 du 4 Août 2008 pour simplifier la création et les déclarations sociales et fiscales des entreprises individuelles relevant du régime fiscal de la micro-entreprise.
Ainsi, comme tous les entrepreneurs individuels, les auto-entrepreneurs sont des travailleurs indépendants.
Et une activité indépendante se caractérise principalement par :
– La libre initiative de son auteur de créer ou reprendre une activité ;
– La maîtrise de l’organisation des tâches à effectuer et du matériel nécessaire ;
– La recherche de clientèle ou de fournisseurs.
Selon les termes de l’article L. 8221-6-1 du code du Travail, est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre.
Il découle des termes même de l’article L. 8221-6 du code du Travail une présomption de non-salariat lorsqu’une personne physique ou morale est régulièrement immatriculée au répertoire des métiers (pour les artisans), au registre du commerce et des sociétés (pour les commerçants et les mandataires), à des registres professionnels (pour les transporteurs, par exemple) ou affiliée auprès d’organismes sociaux en qualité de travailleur indépendant (les auto-entrepreneurs).
Toutefois, il s’agit d’une présomption simple qui peut être renversée à tout moment dès lors qu’il est démontré que l’auto-entrepreneur est, en réalité, placé « dans un lien de subordination juridique permanent » à l’égard de son donneur d’ordre ou dans un lien de dépendance économique en cas de mono-client.
Pour renverser la présomption, il faut établir une absence d’autonomie dans l’exécution du travail, caractérisée par le fait que le donneur d’ordre fixe unilatéralement les conditions et les horaires de travail, la rémunération, donne des directives précises, contrôle l’exécution du travail, en sanctionne les manquements, etc.
Dans ce cas, le contrat liant l’auto-entrepreneur et son donneur d’ordre pourra être requalifié en contrat de travail par le juge civil ou pénal.
Pour cela, le juge recourt à la technique du faisceau d’indices pour requalifier la relation contractuelle en contrat de travail :
– L’initiative même de la déclaration en travailleur indépendant. Si la démarche n’est pas spontanée, a priori, elle est incompatible avec le travail indépendant ;
– L’existence d’une relation salariale antérieure avec le même employeur, pour des fonctions identiques ou proches ;
– Un donneur d’ordre unique ;
– Le respect d’horaires ou le respect d’un planning établi par le donneur d’ordre ;
– Le respect de consignes autres que celles strictement nécessaires aux exigences de sécurité sur le lieu d’exercice, pour les personnes intervenantes, ou bien pour le client, ou encore pour la bonne livraison d’un produit ;
– L’obligation d’assister à des entretiens individuels ou des réunions commerciales ;
– Une facturation au nombre d’heures ou en jours ;
– Une absence ou une limitation forte d’initiatives dans le déroulement du travail ;
– L’intégration à une équipe de travail salariée ou encore l’obligation de répondre à des objectifs de chiffre d’affaires annuel imposé par le donneur d’ordre ;
– La fourniture de matériels ou équipements (sauf équipements importants ou de sécurité), etc.
En outre, le fait de maquiller sciemment une relation salariale en contrat d’entreprise pour échapper à ses obligations d’employeur caractérise une fraude constitutive du délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, dans les conditions précisées à l’article L. 8221-5 du code du travail.
L’ŒIL DE L’EMPLOYEUR SUR LES MESSAGERIES AU TRAVAIL
Le salarié, pendant son temps de travail, doit se consacrer entièrement à l’exécution de la mission confiée par son employeur. Et cette exclusivité trouve ses prolongements dans l’utilisation par le salarié des outils informatiques ou téléphoniques – fixes ou portables – mis à sa disposition pour les besoins d’accomplissement de ses tâches.
L’utilisation de ces outils bénéficie d’une présomption d’usage professionnel qui autorise l’employeur à consulter, y compris en l’absence de son salarié, sa messagerie professionnelle ou encore son téléphone portable professionnel.
Dans la mesure où le salarié n’aurait pas distingué très explicitement les contenus ou les courriels à caractère personnel, sur l’ordinateur professionnel,l’employeur conserve régulièrement un droit d’accès ou d’ouverture de cette messagerie.
Récemment, un arrêt de de la Cour Européenne des droits de l’Homme du 12 janvier 2016 (BARBULESCU C/ ROUMANIE, n°61496/08) confirme cette présomption. Le juge de Strasbourg retient qu’il n’est pas « déraisonnable pour un employeur de vérifier que les employés achèvent leurs tâches professionnelles pendant leurs heures de travail » (point 59).
Néanmoins, cet arrêt soulève des interrogations dans la mesure où l’employeur, après en avoir informé ses salariés, avait installé un logiciel espion sur leurs ordinateurs professionnels pour enregistrer leur activité ; il a pu constater qu’un salarié avait utilisé un compte de messagerie professionnelle ; le salarié lui ayant affirmé qu’il n’en avait pas fait un usage personnel, l’employeur a, dans « la croyance sincère » de son salarié, ouvert la boîte mail litigieuse, laquelle avait en réalité servi à envoyer des messages personnels aux membres de sa famille. En dépit de l’utilisation de ce système de surveillance, la Cour a considéré que l’employeur avait agi conformément à son pouvoir disciplinaire selon les dispositions de la législation roumaine et que par conséquent il n’y avait pas eu violation de l’article 8 CEDH qui protège le droit à la vie privée.
Ainsi, l’employeur bénéficie d’un pouvoir de contrôle qui l’autorise à installer des logiciels de filtrage de sites, de mesure de fréquence d’utilisation des messageries, de filtres anti-spam… Ces dispositifs de contrôle d’activité sont parfaitement licites dès lors que les salariés en auront été préalablement informés (art. L-1222-3 et L-1222-4 du code du travail pour l’information des salariés et art. L-2323-32 du code du travail pour information/consultation du comité d’entreprise).
Toutefois, il n’y a aucune interdiction faite au salarié d’utiliser le matériel mis à sa disposition à des fins personnelles, dans la mesure où cet usage reste raisonnable et limité. Dans ce cas, l’employeur ne dispose d’aucun droit à consultation, notamment des messageries personnelles de ses salariés (Cass. Soc., 15 décembre 2010, n°08-42.486 ; Cass. Soc. 10 mai 2012, n°11- 13.884 ; Cass. Soc., 19 juin 2013, n°12-12.138). En effet, les messageries personnelles ont un contenu strictement personnel, et sont couvertes du sceau du secret des correspondances, corollaire du droit au respect à sa vie privée (art.9 du code civil). Par conséquent, il est absolument impossible pour un employeur d’y avoir accès.
Un arrêt de la Chambre sociale du 26 janvier 2016 (n°14-15.360) le rappelle avec force « Les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la Cour d’appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances ». L’employeur avait invoqué le bénéfice d’une jurisprudence récente de la Cour de cassation selon laquelle les « courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie personnelle du salarié » (Cass. Soc., 19 juin 2013, n°12-12.138). En effet, il arrive, parfois, que des salariés utilisent leur messagerie personnelle pour envoyer des documents de travail à destination de l’ordinateur professionnel. Or, ici, les courriels produits émanaient d’une boîte de messagerie personnelle et d’adresses privées non professionnelles. La Cour rappelle avec sévérité l’interdiction absolue faite à l’employeur de consulter, et a fortiori de produire en justice, des courriels dont l’origine est strictement personnelle, quand bien même le salarié a pu les consulter ou les envoyer à partir de l’ordinateur professionnel mis à sa disposition par son employeur.
En revanche, un salarié, lorsqu’il fera un usage privé de sa messagerie professionnelle ou stockera sur l’ordinateur mis à sa disposition, devra préciser l’objet « personnel » ou « confidentiel » s’il envoie un courriel ; ou créer un dossier ou répertoire « privé » ou « personnel » s’il souhaite que son employeur ne lise pas le contenu de ce dossier, voire installer un mot de passe.
Enfin, plus délicate est la question des SMS envoyés à partir des téléphones portables professionnels qui auraient un contenu personnel. La Chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 10 février 2015, n°13- 14.779) a appliqué par analogie avec les courriels aux SMS le même traitement ! « Les messages écrits («short message service » ou SMS) envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels ». Le juge poursuit « ne constitue pas un procédé déloyal la production en justice des messages n’ayant pas été identifiés comme personnels ».
Or, la critique est venue que contrairement aux courriels qui comportent un champ « objet » dans lequel le salarié pourra préciser le caractère personnel de son contenu, les téléphones portables, aussi sophistiqués soient ils, ne permettent pas cette identification dans la mesure où les SMS n’ont pas de champ « objet » !
Par conséquent, il n’existe pas de possibilité pratique pour le salarié de renverser la présomption professionnelle !
Bulletin rédigé Maître Catherine PERRINEAU Cabinet GARDACH & Associés
10, rue de la Trinquette – Le Sextant – BP 3066 – 17032 La Rochelle Cedex