Bulletin JSA – DECEMBRE 2015

Bulletin rédigé par Me BASILIEN BODIN ASSOCIES

CABINET BASILIEN BODIN ASSOCIES
6 rue Colbert
CS 91115
80011 AMIENS CEDEX 1


Éditorial

SANTÉ AU TRAVAIL VERS UNE ÉVOLUTION ?

Depuis les arrêts de Février 2002, connus sous le nom « d’arrêts amiante » et la prise de conscience, si besoin était, de l’importance de la santé au travail, l’employeur a vu d’une manière générale, et de façon séquentielle, ses obligations en la matière être largement accrues.

Citons pour illustrer ce mouvement et sans être forcément exhaustif : l’exigence d’une obligation de résultat, le document unique d’évaluation des risques, les fiches pénibilité et la mise en avant de la notion de faute inexcusable, cette dernière ayant la vertu de faire supporter le coût (majoré) de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle non plus par la collectivité, mais par l’employeur (mais peut être était-ce finalement le but recherché depuis que l’État a pris conscience des difficultés à indemniser des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle qui se présenteraient en nombre, comme ce fut le cas pour l’amiante).

En dernier lieu, le CHSCT a vu son statut rénové et sa réelle importance prise en considération au travers de diverses dispositions de la loi du 17 Août 2015, dite loi Rebsamen, l’élevant ainsi au même rang que le Comité d’Entreprise alors qu’il pouvait apparaître jusqu’alors comme le parent pauvre des institutions représentatives du personnel.

Pour l’employeur, les risques en matière de santé et de sécurité de son personnel sont peu à peu devenus une préoccupation de tous les instants, ce qui, en soi, est bien sûr positif. Mais cette situation pouvait aussi s’avérer un véritable piège dont, quelles que soient les précautions et mesures prises, il ne pouvait plus que très difficilement se sortir.

Deux arrêts de la Cour de Cassation semblent marquer une inflexion dans l’intransigeance prévalant en la matière.

1) Un arrêt du 05 Novembre 2015 (Cass. 2ème Civ. 05 Novembre 2015) autorise un employeur à contester le caractère professionnel d’un accident du travail à la suite duquel la faute inexcusable est invoquée par le salarié :

Depuis le 1er Janvier 2010, conformément aux dispositions du décret du 29 Juillet 2009, l’employeur qui se voit notifier par la CPAM une décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle d’un accident ou d’une maladie a un délai de deux mois pour former un recours.

S’il ne le fait pas, la décision de la CPAM lui est définitivement opposable.

Cependant, la Cour de Cassation dans l’arrêt précité vient d’ouvrir une brèche dans ce principe en considérant qu’il ne fait pas obstacle à ce que l’employeur conteste, pour se défendre dans le cadre d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable diligentée par son salarié, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

2) Un arrêt du 25 Novembre 2015 (Cass. Soc. 25 Novembre 2015) revient sur l’étendue de l’obligation de sécurité de l’employeur.

Dans cette décision qui concerne AIR FRANCE et qui fait suite aux arrêts FNAC et AREVA qui annonçaient cette inflexion, la Cour suprême admet que l’employeur ne soit plus tenu que d’une « obligation de moyen renforcée » et qu’il puisse faire valoir les diligences qu’il a pu mener pour circonvenir l’accident ou la maladie.

Exit donc l’obligation de sécurité de résultat issue des arrêts dits « amiante ».

Il va de soi néanmoins que les deux arrêts cités, même s’ils marquent un infléchissement dans la position adoptée depuis plus d’une douzaine d’années, ne doivent pas être interprétés comme un invitation à « baisser la garde » en matière de santé et de sécurité du personnel qui doit rester, bien entendu, une préoccupation permanente.

D’autant que l’ouverture que semble créer l’arrêt « AIR FRANCE » du 25 Novembre suppose en tout état de cause que l’employeur ait eu un comportement actif et ait pris des mesures préventives adaptées. La grande nouveauté est qu’il pourra désormais s’en prévaloir pour se défendre sans subir une présomption quasi irréfragable (non renversable) de défaillance, comme du temps de l’obligation de sécurité de résultat.

Actualité

VERS UN PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ DES REDRESSEMENTS URSSAF EN MATIÈRE DE PROTECTION SOCIALE COMPLÉMENTAIRE

Depuis plus de 5 ans, les redressements opérés par l’URSSAF ciblent systématiquement le manque de respect du formalisme strict et encadré des régimes de prévoyance complémentaire institués par les entreprises.

Les entreprises qui ont été soumises à un contrôle de l’URSSAF ces dernières années, ont désormais connaissance des points de contrôle de L’URSSAF en la matière, lesquels se décomposent ainsi :

– acte juridique ayant institué le régime * ;
– caractère collectif du régime * ;
– caractère obligatoire du régime.*

* Décret n°2012-25 du 9 janvier 2012, article R242-1-1 du Code de la Sécurité Sociale.

Pourtant, ce strict formalisme demeure un véritable imbroglio difficile à respecter, si bien que les chefs de redressement constatés en matière de prévoyance complémentaire se multiplient.

L’explication réside dans le fait que les différentes réglementations se sont succédées tant dans l’appréciation des critères que se doit de respecter le régime, que dans le contenu même des garanties couvertes par le régime.

En conséquence, la prévoyance complémentaire est devenue la bête noire des entreprises en cas de contrôle URSSAF et les redressements relevés en la matière peuvent atteindre des quantums démesurés et, donc, particulièrement lourds de conséquences.

A ce titre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 procède au constat selon lequel aucun mécanisme de modulation des redressements en matière de prévoyance complémentaire n’était prévu alors que « ces redressements résultent pourtant d’erreurs de nature et de gravité différentes allant du simple défaut de fourniture de pièces justificatives à l’erreur de droit manifeste ».

Fort de ce constat, l’article 12 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 crée l’article L133-4-8 du Code de la Sécurité Sociale qui institue un mécanisme de modulation des redressements opérés à compter du 1er janvier 2016 en présence d’un régime de protection sociale complémentaire ne respectant le caractère collectif et obligatoire :

« II. – Par dérogation au I et dans les conditions définies aux alinéas suivants, l’agent chargé du contrôle réduit le redressement à hauteur d’un montant calculé sur la seule base des sommes faisant défaut ou excédant les contributions nécessaires pour que la couverture du régime revête un caractère obligatoire et collectif au sens du sixième alinéa de l’article L. 242-1 et des textes pris pour son application, sous réserve que l’employeur reconstitue ces sommes de manière probante.»

Désormais, le redressement sera opéré sur les seuls versements correspondant aux salariés qui auraient dû être inclus au régime.

Le redressement sera alors égal à :

– 1,5 fois les sommes faisant défaut ou dépassant les contributions autorisées lorsque l’entreprise ne produit pas la demande de dispense ou tout autre document permettant de justifier du caractère collectif et obligatoire ;

– 3 fois le montant des sommes ci avant définies dans les autres cas, à condition que le manquement ne révèle pas une méconnaissance d’une particulière gravité.

Rappelons qu’antérieurement, le non respect du critère collectif et/ou obligatoire conduisait à réintégrer dans l’assiette de cotisations sociales la totalité des contributions sociales patronales versées dans le cadre du régime.

Cette mesure permettant de moduler le redressement ne sera pas applicable :

– en cas de méconnaissance d’une particulière gravité ;
– en cas de manquement résultant de l’octroi d’un avantage personnel ;
– en cas de manquement résultant d’une mesure discriminatoire ;
– lorsque l’irrégularité a fait l’objet au préalable d’une observation lors d’un précédent contrôle au cours des 5 dernières années ;
– lorsqu’au cours des 5 dernières années a été relevée une situation de travail dissimulé, d’obstacle au contrôle ou d’abus de droit.

Cette disposition poursuit les orientations préconisées par le rapport parlementaire sur les relations entre les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et les entreprises d’avril 2015 intitulé « Pour un nouveau mode de relations URSSAF / Entreprises ».

L’exposé des motifs du projet de loi précise en effet que « l’objectif de la mesure est de proportionner les redressements opérés en matière de protection sociale complémentaire à la gravité du manquement, sous certaines conditions. Cette mesure s’inscrit dans une logique de sécurisation juridique plus large, qui inclut également l’ouverture par ordonnance d’ici fin 2015 aux partenaires sociaux de la possibilité de solliciter auprès des URSSAF des décisions de rescrit sur les accords collectifs, qui vise à sécuriser en amont sur la licéité des accords et leurs modalités d’application.

Cette démarche s’inscrit dans la politique du Gouvernement d’incitation à la couverture des salariés en matière de protection sociale complémentaire, qui implique à la fois de faire en sorte que les avantages sociaux soient réservés à des dispositifs de prévoyance conformes aux textes législatifs et réglementaires, tout en évitant de dissuader les employeurs par un risque de sanction disproportionné dans certains cas. »

Cette volonté d’appliquer le principe de proportionnalité dans les contrôles URSSAF permet d’intégrer en quelque sorte la notion de bonne foi de l’employeur, étant rappelé que cette bonne foi demeurera sans effet pour les contrôles couvrant les périodes antérieures au 1er janvier 2016.

Il est regrettable que ce constat n’ait pas conduit à étendre, pour l’heure, le mécanisme aux régimes de prévoyance risques « lourds » et de retraite supplémentaire.

(Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 adoptée par l’Assemblée nationale dans sa séance du 30 novembre 2015)

Jurisprudence

LE TERME D’UN CDD ULTÉRIEUREMENT REQUALIFIE EN CDI NE S’ANALYSE PAS NÉCESSAIREMENT EN UN LICENCIEMENT SANS CAUSE RÉELLE ET SÉRIEUSE

La Cour de cassation est venue apporter des précisions sur les conséquences de la requalification d’un CDD en CDI.

En l’espèce, un salarié avait été engagé par CDD successifs pendant dix années et s’était vu notifier par mail une lettre l’informant du non renouvellement de son dernier contrat.

L’intéressé a alors saisi la juridiction prud’homale afin de voir la relation contractuelle requalifiée en CDI.

La Cour d’appel a fait droit à sa demande de requalification et a condamné l’entreprise à des dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation est venue censurer cette décision sur le second point.

Elle considère en effet que, dans une telle hypothèse, le juge doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement.

Et, le cas échéant, analyser les motifs invoqués afin de déterminer si le licenciement a une cause réelle et sérieuse.

Cette décision incite donc les employeurs, dans des cas de recours litigieux ou, à tout le moins sujet à controverse, à motiver la terminaison ou le non renouvellement d’un CDD afin d’éviter, en cas de requalification, une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
(Cour de cassation, chambre sociale, 20 octobre 2015 n°14-23.712)

LA SOLIDARITÉ FINANCIÈRE DU DONNEUR D’ORDRE NE JOUE QU’EN CAS DE CONSTAT DE TRAVAIL DISSIMULE

contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant égal à 5.000€ hors taxes en vue de l’exécution d’un travail, de fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce doit, lors de la conclusion de ce contrat et tous les 6 mois jusqu’à la fin de son exécution, s’assurer que son cocontractant s’acquitte de certaines obligations sociales et fiscales déclaratives.

Si tel n’est pas le cas et que le cocontractant fait l’objet d’une procédure pour travail dissimulé, le donneur d’ordre pourra voir sa responsabilité financière mise en jeu conjointement.

La Cour de cassation, dans cet arrêt, est venue préciser que la mise en œuvre de cette responsabilité est conditionnée à l’établissement d’un procès-verbal pour le délit de travail dissimulé à l’encontre du cocontractant.
(Cour de cassation, chambre civile 26 novembre 2015 n°14-23.851)

EFFET DE L’AUTORISATION DE LICENCIER DÉLIVRÉE APRÈS UNE PRISE D’ACTE DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

En l’espèce, l’employeur avait engagé une procédure de licenciement disciplinaire à l’encontre d’un salarié protégé pour avoir procédé à l’envoi d’une lettre anonyme dénigrant l’entreprise et consultation réitérée de sites pornographiques durant le temps de travail.

Après entretien préalable et saisine de l’Inspecteur du Travail par l’employeur en vue d’obtenir l’autorisation de procéder au licenciement, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

Le salarié invoquait le fait que, 6 mois auparavant, l’employeur avait modifié son contrat de travail sans son accord, laquelle modification conduisait à une diminution de sa rémunération.

La Cour de Cassation a considéré que le licenciement notifié était sans effet puisque la prise d’acte avait eu pour effet de rompre le contrat de travail instantanément.

Par ailleurs, la Cour de Cassation a considéré que la prise d’acte du contrat de travail aux torts de l’employeur était justifiée compte tenu des griefs retenus.

En conséquence, la prise d’acte a été requalifiée en licenciement nul ouvrant droit à l’indemnité spéciale prévue en cas de violation du statut protecteur.

Or, il était légitime de penser que l’autorisation de licenciement délivrée par l’Inspecteur du Travail aurait pu permettre de faire échec au bénéfice de cette indemnité spéciale dont l’objet est notamment de sanctionner le fait que l’employeur n’ait pas respecté la procédure spéciale de licenciement.

La Cour de Cassation n’a pas adopté cette analyse au motif, notamment, que l’autorisation de licencier a été délivrée postérieurement à la prise d’acte du contrat de travail et donc postérieurement à la rupture du contrat de travail.
(Cour de cassation, chambre sociale, 12 novembre 2015 n°14-16.369)

LE CONTRÔLE DE L’ALCOOLÉMIE N’EST PAS RÉGULIER SI LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR N’EST PAS AFFICHE ET DÉPOSE AU GREFFE DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

Par un arrêt du 31 mars 2015, la Cour de Cassation rappelait que le règlement intérieur de l’entreprise pouvait prévoir le contrôle de l’état d’ébriété d’un salarié si les modalités du contrôle permettent sa contestation et s’il s’agit d’éviter que cet état expose les personnes ou les biens à un danger (cass. soc. 31 mars 2015 n°13-25.436).

Par deux arrêts rendus le 4 novembre 2015, la Cour de Cassation ajoute une condition complémentaire afférente aux mesures de publicité et de dépôt du règlement intérieur telles que prévues par les articles L1321-4, R1321-1 et suivant du Code du Travail).

Dans ces affaires, l’employeur avait soumis à un test d’alcoolémie plusieurs salariés.

Deux salariés « positifs » au test avaient fait l’objet d’un licenciement pour faute grave.

La Cour de Cassation a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse en ce que l’employeur ne justifiait pas de l’accomplissement des formalités de dépôt du règlement intérieur auprès du Greffe du Conseil de Prud’hommes ainsi que de son affichage.

Il est important de souligner que la Cour d’Appel de Rennes avait adopté une décision similaire concernant un employeur ne justifiant pas de l’affichage du règlement intérieur à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux et à la porte des locaux où se fait l’embauche (CA Rennes 14 janvier 2015).
(Cour de cassation, chambre sociale, 4 novembre 2015 n°14-18.574)
Bulletin rédigé par le Cabinet BASILIEN BODIN ASSOCIES
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