Bulletin JSA – NOVEMBRE 2015

Bulletin rédigé par Nathalie LENFANT

RAVEL AVOCATS
4 rue de l’arcade
75008 PARIS


Éditorial

LA VIE AU TRAVAIL A L’HEURE DE LA TRANSFORMATION DIGITALE : VERS UN TRAVAILLEUR NUMÉRIQUE

La Révolution numérique, digitale même, n’est aujourd’hui plus en marche, elle est effective. Elle va vite, très vite, plus vite que l’adoption de la radio ou de la télévision, et suit inexorablement le rythme frénétique d’apparition de nouvelles « technos », de nouvelles « applis », d’objets connectés, véritablement utiles ou pas, là n’est pas la question.

Elle touche en premier lieu la sphère privée impactant nos quotidiens, transformant profondément nos modes de vie, nos rapports au temps et à l’espace et nos modes de communication. La vie au travail et tous ses acteurs (salariés, managers,dirigeants, élus et syndicats), atteints ou non d’une « geek mania », sont, en second lieu, également impactés.

Cette révolution digitale impose un changement de paradigme dans le monde du travail, créateur de nouvelles formes de collaboration, méthodes de travail, d’organisation, d’environnement de travail etc. L’entreprise est contrainte de se réinventer, sauf à se heurter à l’incompréhension des générations nouvelles Y et Z nées avec cette révolution.

Le droit du travail né en 1841 avec la loi sur le travail des enfants est un corpus de règles bâti pour une organisation taylorienne du travail, pour les manufactures, les usines et ateliers, et doit aujourd’hui être adapté.

D’une part, parce que la Révolution numérique impacte la qualité de vie au travail sous plusieurs angles :

– Les outils technologiques confrontent l’entreprise à une infobésité dont il va falloir gérer les flux. En effet, s’ils sont porteurs d’efficacité, ils sont aussi vecteurs d’une surcharge contreproductive, aboutissant à une perte de priorisation des tâches (qu’on songe au nombre d’emails reçus par jour), à une accélération du temps de réponse attendu. Certaines entreprises ont d’ailleurs commencé à réguler l’usage des emails (ex. suppression des pop-up d’arrivée des emails, connexion avec envoi d’email différé). Au niveau des branches, trois accords traitent de l’utilisation raisonnable des outils numériques.

– La référence à l’horaire de travail comme mesure de la charge de travail n’est plus adaptée dès lors que la numérisation remet en question la pertinence de ce lien.

– Les outils technologiques peuvent être facteurs de stress, burn-out, etc et peuvent donc impacter la santé des salariés. L’équilibre vie privée / vie professionnelle n’est pas toujours assuré. Certaines branches, dont celle des bureaux d’études (Syntec) ont créé un devoir de déconnexion pour permettre aux salariés de gérer la fluidité entre les deux sphères, personnelle et professionnelle (accord Syntec du 1er avril 2014).

La négociation sur la qualité de vie au travail, issue de l’Accord National Interprofessionnel du 19 juin 2013, devrait donc être un outil utile pour autant que les entreprises s’en emparent. Rappelons que la Loi Rebsamen du 17 août 2015 a ramené à trois les négociations obligatoires dans les entreprises, dont l’une concerne l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et la qualité de vie au travail.

D’autre part, parce que la Révolution numérique a des effets sur des éléments essentiels du contrat de travail (temps de travail, lieu de travail, lien de subordination):

– La notion juridique classique de lieu de travail n’est plus en phase avec les réalités terrain. Qu’on songe au nomadisme, aux sites de coworking, aux community buildings, aux différentes formes de télé travail (à domicile, en télé local, travail mobile ou nomade, télé management).

– Le travail connecté à distance notamment via les smartphones et le Cloud conduit à une appréhension de la durée du travail plus toujours en phase dans certains secteurs et métiers. Le forfait annuel en jours a été l’une des réponses qui devrait être sécurisée. La disparition progressive de la notion de « au temps et au lieu de travail » nécessite de définir une mesure de la charge de travail.

– Le lien de subordination, caractérisé par le pouvoir de donner des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner devient parfois une zone de tension dans les entreprises organisées en mode projet et encore plus dans les entreprises dites « libérées » qui s’affranchissent de la hiérarchie et du contrôle.

Face à cette Révolution numérique et fort de ces enjeux, le rapport Mettling commandé par François Rebsamen, relatif à la transformation numérique et vie au travail suggère 36 propositions pour réussir la transformation numérique en entreprise axées autour de six objectifs :

– Développer l’éducation numérique par la formation initiale et continue
– Placer la transformation numérique au cœur des dispositifs de professionnalisation et de passerelles entre les métiers
– Offrir un cadre juridique et fiscal incitatif et protecteur
– Mettre la transformation numérique au service de la qualité de vie au travail
– Parvenir à une entreprise de la co-construction et de la coinnovation
– Comprendre et anticiper les enjeux de la transformation numérique.

Il est urgent d’aboutir à une« synchronisation » entre la vie au travail qui s’adapte au quotidien à cette Révolution numérique et la conception de notre droit du travail. En attendant un débat législatif dont il n’est pas certain qu’il aboutisse, la tendance étant au régime amaigrissant de notre Code du travail, les entreprises peuvent et doivent s’emparer de ces sujets et utiliser la liberté, croissante depuis 2004, qui leur est donnée de négocier des accords d’entreprises. A elles de faire leur propre Révolution.

Actualité

POINT SUR LE NOMBRE DE STAGIAIRES EN ENTREPRISE

Le décret 2015-1539 du 26 octobre 2015, publié au JO, fixe des conditions supplémentaires d’application de la loi du 10 juillet 2014 relative à l’amélioration du statut des stagiaires.

Le nombre de stagiaires dont la convention de stage est en cours pendant une même semaine civile dans l’entreprise est limité à :

– Pour les entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à 20 salariés : 15% de l’effectif de l’entreprise
– Pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à 20 salariés : 3 stagiaires

Des dérogations sont cependant possibles pour les étudiants effectuant un stage obligatoire dans le cadre d’enseignements conduisant à un diplôme technologique ou professionnel. Dans ce cas, il appartient à l’autorité académique de définir par arrêté le nombre maximal de stagiaires approprié, dans la limite de :

– 20 % de l’effectif de l’entreprise si celui-ci est supérieur ou égal à 30 ;
– 5 stagiaires, si l’effectif est inférieur à 30.

Pour déterminer si le plafond du nombre de stagiaires est atteint, il convient de prendre en compte l’ensemble des personnes accueillies au titre des stages et des périodes de formation en milieu professionnel.

Le décret prévoit des modalités spécifiques de décompte de l’effectif. L’organisme d’accueil doit calculer :

– le nombre de personnes physiques qu’il employait au dernier jour du mois civil précédant le 1er jour du stage ;
– la moyenne sur les 12 mois précédents des personnes physiques employées.

Le résultat le plus élevé doit être retenu.

L’entreprise d’accueil a l’obligation de désigner, parmi son personnel, un tuteur chargé de l’accompagnement du stagiaire, étant précisé aujourd’hui qu’un même tuteur ne peut suivre simultanément que trois stagiaires au maximum. Ce plafond s’apprécie à la date à laquelle la désignation en tant que tuteur dans le cadre d’une convention de stage supplémentaire devrait prendre effet.

La mention sur le registre unique du personnel des stagiaires doit dorénavant être conservée pendant 5 ans.

L’inspecteur du travail est autorisé à demander communication de la convention de stage à l’établissement d’enseignement ou à l’entreprise pour contrôler le nombre maximal de stagiaires accueillis dans l’entreprise, le tutorat, les autorisations d’absence et de congés et le droit aux titres restaurant et à la prise en charge des frais de transport accordés aux stagiaires, ainsi que les dispositions relatives à leur temps de travail et de repos et à l’interdiction de leur confier des tâches dangereuses.

L’Administration peut sanctionner d’une amende le non-respect par l’entreprise des dispositions relatives au nombre maximal de stagiaires, à leur temps de travail et de repos et à l’interdiction de leur confier des tâches dangereuses; ainsi qu’à l’obligation de mise en place d’un tutorat par l’entreprise. Le décret précise que, pour déterminer le montant de l’amende, le Direccte doit tenir compte des circonstances de fait, notamment :

• du caractère réitéré du manquement;
• de la proportion de stagiaires par rapport à l’effectif ;
• de la situation économique et financière de l’entreprise ;
• de la commission d’autres infractions.

Jurisprudence

FORFAIT « RÉALISATION DE MISSIONS » DE L’ACCORD DE BRANCHE SYNTEC DU 22 JUIN 1999 RELATIF A LA DURÉE DU TRAVAIL

L’article 3 chapitre II de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec instaure une convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire pour les salariés relevant des modalités 2 « réalisations de missions ». Lesdites modalités s’appliquent aux salariés non concernés par les modalités « standard » ou les « réalisations de missions avec autonomie complète », et tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale. Telles sont les conditions prévues pour relever de ce dispositif.

Le débat qui opposait une entreprise numérique à ses salariés portait notamment sur la condition d’une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale. Pour la société, il s’agissait d’une condition d’éligibilité temporaire du salarié nouvellement embauché applicable uniquement au jour de la signature de l’accord, soit au 22 juin 1999, et non une condition minimale de rémunération imposée pour permettre l’applicabilité de la modalité 2.

La Cour de cassation, confirmant la position de la Cour d’appel de Toulouse, ne suit pas ce raisonnement et rappelle « que seuls les ingénieurs et cadres dont la rémunération est au moins égale au plafond de la sécurité sociale relèvent des modalités 2 réalisations de mission ». Dès lors, pour relever d’une convention de forfait « Modalité 2 », encore faut-il que la condition de rémunération soit respectée.
Cass. soc.4-11-2015 n°14-25745 14-25746 14-25747 14-25748 14-2574914-25750 14-25751

COMMENT DÉCOMPTER LES SALARIES MIS A DISPOSITION D’UNE ENTREPRISE UTILISATRICE EN VUE DES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES ?

Des dispositions de l’article L.1111 du Code du travail, il résulte que seuls les salariés mis à disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an lors de la détermination des effectifs de l’entreprise doivent être pris en compte dans le calcul des effectifs en vue des élections professionnelles.

Qu’en est-il des salariés qui effectuent des missions ou interventions ponctuelles, ou dont la présence n’est pas permanente ?

La Cour de cassation précise que « sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail les travailleurs mis à disposition par une entreprise extérieure qui, abstraction faite du lien de subordination qui subsiste avec leur employeur, sont présents, fût-ce à temps partiel, dans les locaux de l’entreprise utilisatrice depuis au moins un an, partageant ainsi des conditions de travail en partie communes susceptibles de générer des intérêts communs » et conclut que n’avaient pas à être pris en compte dans les effectifs, les salariés des entreprises extérieures concernées qui ne se rendaient que de façon ponctuelle sur le site de cette société.
Cass. soc. 23-9-2015 n° 14-26.262

REÇU POUR SOLDE DE TOUT COMPTE SANS MENTION DU DÉLAI DE DÉNONCIATION EFFET LIBÉRATOIRE

Un salarié soutenait que le reçu qu’il avait signé n’avait pas d’effet libératoire, faute de mention du délai de 6 mois pour le dénoncer. La Cour de cassation indique que les dispositions de l’article L.1234-20 du Code du travail ne prévoient pas l’obligation pour l’employeur de mentionner sur le reçu pour solde de tout compte le délai de six mois pour le dénoncer. Elle en conclut que le reçu pour solde de tout compte, non dénoncé dans le délai de six mois, qui faisait mention des sommes versées en précisant la nature de celles-ci, à titre notamment de salaire, avait un effet libératoire.
Cass. soc. 4-11-2015 n° 14-10.657

ACCIDENT DU TRAVAIL – FACULTÉ DE CONTESTATION DU CARACTÈRE PROFESSIONNEL

La décision de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie est définitive pour l’employeur, passé le délai de 2 mois suivant sa notification. Il ne peut plus remettre en cause son caractère professionnel.

Certes mais peut-il toujours le faire dans le cadre d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable ?

La Cour de cassation vient de répondre pour la première fois par l’affirmative « l’opposabilité de cette décision ne privait pas l’employeur, dont la faute inexcusable était recherchée, de contester le caractère professionnel de l’accident ».
Cass. 2e civ. 5-11-2015 n° 13-28.373
Bulletin rédigé par Me Nathalie LENFANT, Ravel avocats
4, rue de l’arcade 75008 Paris