Bulletin JSA – SEPTEMBRE 2015
Bulletin rédigé par Philippe RAINEX
SELARL ACDP
11 Boulevard Voltaire
19100 BRIVE
Actualité
DE L’ILLISIBILITÉ DU CODE DU TRAVAIL ET DE L’ILLISIBILITÉ DE LA JURISPRUDENCE
LE CODE DU TRAVAIL EST DEVENU ILLISIBLE
Très certainement en raison d’une accumulation de textes mal rédigés mais aussi et surtout à cause d’une lecture judiciaire et administrative du texte de plus en plus éloignée de la réalité du terrain, bien souvent divergente, variable selon le temps et le lieu, voire contradictoire avec d’autres textes du même Code.
C’est ainsi qu’un inspecteur du travail, se référant aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, et estimant qu’en présence d’une lettre reprochant (sans le sanctionner) à un salarié le caractère pernicieux de son comportement, son harcèlement désorganisateur et son machiavélisme, considère qu’il s’agit de termes extrêmement durs qui ont pu contribuer à la dégradation de son état de santé (le salarié a été arrêté par son médecin traitant à réception de la lettre). Il invite en conséquence l’employeur à revoir les modalités d’exercice du pouvoir disciplinaire vis-à-vis du personnel en application des principes généraux de prévention énoncés aux articles précités.
Selon le premier de ces articles l’employeur, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale des travailleurs.
Des accords de branche ou d’entreprise sur les risques psychosociaux ont été signés qui prennent en considération des situations liées pour l’essentiel aux conditions de travail particulières propres aux activités concernées selon qu’il s’agit de commerce, d’industrie ou des services.
Sont ainsi pris en compte, selon le cas, les conduites agressives de certains publics, l’éloignement géographique des managers, le manque de moyens disponibles pour réaliser le travail, la charge mentale, toutes formes particulières de risques propres à une branche professionnelle ou à une entreprise particulière.
En l’occurrence, l’inspecteur du travail demande à l’entreprise de prendre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de ses salariés lorsqu’il fait application du droit disciplinaire prévu par les articles L.1331-1 et suivants du Code du travail.
Ce faisant, l’inspecteur du travail considère que l’application du Code du travail constitue un risque à elle seule.
L’inspecteur confirme lui-même l’illisibilité de ce Code puisque, si on l’en croit, les nouveaux articles L 4121-1 et suivants (lois du 11 novembre 2012, 6 août 2012, 4 août 2014 notamment) ne permettent plus l’application du droit disciplinaire tel que codifié au même Code du travail depuis longtemps déjà.
Cette invraisemblable lecture du Code du travail, si elle devait être validée, aurait des conséquences incalculables.
La motivation d’une lettre de licenciement pour faute grave ou faute lourde deviendrait impossible. Énoncer la vérité comme l’a fait l’employeur en question n’étant plus possible, toute circonvolution de vocabulaire pour décrire la réalité sans la qualifier telle qu’elle est réellement afin de ne pas porter atteinte à la santé du salarié pourra entraîner la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse voire abusif parce que sa motivation est trop édulcorée.
Est-il possible de continuer à utiliser les motifs de vol, détournement de fonds, agissements frauduleux, état d’ivresse, ébriété, intempérance invétérée, insultes, agressivité, violence, menaces. Sera-t-il possible par exemple de reprocher à un salarié d’avoir menacé de mort son supérieur hiérarchique ?
Le reproche fait à un salarié de harcèlement à l’égard d’un collègue devient tout aussi impossible alors que le harcèlement est spécifiquement prévu par le Code du travail et que l’employeur doit le combattre sous peine de sanctions civiles et pénales.
Plus généralement, la description du comportement déviant (ce terme est-il encore possible ? rien n’est moins sûr) du salarié deviendrait interdite et le droit disciplinaire inapplicable.
Il faut espérer que les juridictions judiciaires et administratives auront très rapidement une autre analyse.
L’analyse complète et objective des articles L 4121-1 à L 4121-5 du Code du travail permet en effet de considérer que ne sont visées que les situations de travail et d’organisation du travail, en aucun cas les procédures disciplinaires faisant l’objet d’autres dispositions législatives et règlementaires.
De même, l’article L 1331-1 du Code du travail énonce clairement le pouvoir disciplinaire de l’employeur à partir de sa propre appréciation du caractère fautif d’un licenciement.
La sanction disciplinaire par nature est une mesure qui génère inévitablement une réaction du salarié. C’est d’ailleurs sa vocation. L’encadrer dans sa formulation ne peut que dénaturer la réalité et le juge judiciaire a tout pouvoir pour analyser les faits et leur correspondance à la qualification qui en a été faite par l’employeur.
Si l’inspecteur du travail peut être amené à intervenir en matière disciplinaire pour un représentant du personnel, c’est uniquement lorsque la sanction envisagée est un licenciement ou lorsque la sanction prise, quelle qu’elle soit, est discriminatoire par exemple.
Toujours est-il que si l’inspecteur du travail persiste dans sa décision, l’employeur sera contraint de faire valoir sa position par des procédures administratives et judiciaires longues, tout aussi incertaines, tout en perdant pendant ce temps de son autorité, de sa confiance en lui, la représentation du personnel n’hésitant pas à envenimer les relations sociales sur la base d’une telle analyse qui, elle, par contre, pose le problème de la sécurité et de la santé mentale du chef d’entreprise.
LA JURISPRUDENCE EST DEVENUE ILLISIBLE
La jurisprudence de la Cour de cassation aboutit également à des aberrations. C’est ainsi que dans un arrêt du 3 juin 2015 (n° 14-11.324), la Chambre sociale considère que l’employeur est responsable de l’exposition d’un salarié au tabagisme passif même si ce dernier s’y est exposé volontairement en accompagnant les fumeurs dans le local dédié à la pause cigarette et ne s’est jamais plaint de ses conditions de travail.
Cet arrêt est certes dans la droite ligne de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur en matière de santé des travailleurs, mais toute ligne de raisonnement doit avoir ses limites sous peine de devenir une doctrine radicale, au résultat contraire à son principe de départ, aussi justifié soit-il.
Dans l’exemple cité, doit-on interdire aux non-fumeurs d’entrer dans le local destiné à la pause cigarette, auquel cas se pose la possibilité d’une interdiction empêchant deux salariés, l’un fumeur, l’autre non-fumeur, de se reposer ensemble pendant un temps de pause ce qui constitue une atteinte à la liberté individuelle ? L’employeur doit-il seulement afficher le danger à l’entrée du local ce qui ne le fera pas échapper à une condamnation, auquel cas il conviendra de fermer définitivement le local ?
L’affectation d’un préau extérieur (isolé des ouvrants des locaux de travail) à l’usage des fumeurs suffit-elle à éliminer tous les risques alors que l’on est dans l’enceinte de l’entreprise ?
Parce que l’État ne peut se passer des impôts générés par la vente des cigarettes et parce qu’il est impossible à l’employeur de porter atteinte à la liberté individuelle, ce dernier est condamné par avance.
Le juge chargé d’annuler les clauses léonines ne serait-il pas sur la pente des décisions léonines ?
Le temps de pause est par nature un temps pendant lequel le salarié peut vaquer à ses occupations personnelles, où il n’est plus sous l’autorité hiérarchique, et voilà que l’employeur doit surveiller ses fréquentations pendant ce temps de travail non effectif jusque dans le local fermé et destiné aux fumeurs.
En matière de santé au travail, la Justice peut aussi se montrer totalement divergente au travers de ses institutions selon qu’elles relèvent de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif.
C’est ainsi qu’en matière d’introduction d’alcool dans les entreprises par les salariés la plupart des règlements intérieurs ont instauré son interdiction admise par la Cour de cassation depuis longtemps déjà. (Cass.soc. 3 octobre 1969, n° 68-40.480)
La Cour de cassation estimait en effet que l’article R.4228-20 du Code du travail ancien selon lequel aucune autre boisson que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’était autorisée sur le lieu de travail n’empêchait pas l’employeur d’interdire toute consommation d’alcool s’il l’estimait opportun.
Mais le Conseil d’État, le 12 novembre 2012 (n° 349365), se basant sur l’article L.232-2 du Code du travail (devenu L. 1321-3) selon lequel le règlement intérieur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché, a contredit la Cour de cassation.
En l’occurrence l’employeur avait fait valoir qu’il lui était difficile de contrôler une consommation limitée d’alcool. Il n’a pas été entendu.
Suite à cette divergence de jurisprudence mettant en évidence une fois de plus la difficulté d’appliquer le Code du travail, un décret du 1er juillet 2014 a complété l’article R.4228-20 du Code du travail.
Désormais, lorsque la consommation de vin, de bière, de cidre et de poiré est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur doit prévoir dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service, les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d’une limitation, voire d’une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché.
En résumé, l’interdiction générale de consommer de l’alcool dans l’entreprise n’est possible que dans de très rares cas. La consommation de ces alcools est de droit dans tous les autres cas, mais elle doit faire l’objet de mesures préventives et l’accident est interdit à l’employeur alors même que le contrôle a priori est impossible puisque par définition les consommations addictives se font en cachette.
Drôle d’analyse que celle qui, sous prétexte de l’obligation de respect des libertés individuelles, oblige l’employeur à épier ses salariés dans le local de pause cigarette ou dans le restaurant d’entreprise et à le contrôler dans ses moindres faits et gestes.
« Flexible droit » énonçait le Professeur CARBONNIER prônant une sociologie du droit sans rigueur et regrettant en 1969 déjà le fétichisme juridique lié à l’excès de droit, « cercle vicieux produit ou du moins entretenu par les juristes eux-mêmes. »
Depuis que l’obligation de sécurité de résultat est devenue un dogme, toute situation de risque est considérée comme relevant de la responsabilité du chef d’entreprise. Si cela peut parfaitement se concevoir dans le cadre de son pouvoir de décision et d’organisation du travail, l’extension de cette responsabilité à des comportements individuels tels que ceux liés aux addictions relève précisément du double fétichisme juridique.
La jurisprudence met en avant en l’espèce deux principes fondamentaux du Code du travail, le respect des libertés individuelles et l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur mais, au lieu de fixer les limites de leur coexistence par nature délicate, elle en fait une application radicale, irrationnelle, illisible.
Qu’un employeur soit a priori responsable du comportement personnel déviant de son salarié n’est compris par personne, sauf par le salarié concerné une fois le risque réalisé. L’employeur sanctionné à la place du fumeur parce qu’il doit le laisser fumer, l’employeur sanctionné à la place de l’intempérant parce qu’il doit le laisser boire, cela est incompréhensible pour toute personne de bon sens.
Le fétichisme juridique conduit à oublier la simple réalité, le bon sens, l’équité. Ce sont pourtant de telles valeurs qui devraient prévaloir sur le droit pour faire émerger les vraies responsabilités dans une collectivité ou le lien de subordination ne peut tout justifier.
LA LOI MACRON EST PARUE LE 6 AOÛT 2015
Qui n’a pas entendu parler de cette loi et de celui dont elle porte le nom. Rarement une loi n’aura aussi bien porté son nom. Macron a pour origine grecque « makros » signifiant « long ». C’est le cas du texte de loi, véritable fourre-tout de 308 articles qui touchent à de très nombreux domaines aussi variés que l’ouverture des commerces le dimanche, la profession des notaires, le droit du travail…
Cette « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », demande du fait de sa densité des développements spécifiques importants pour chaque thème traité.
Nous noterons simplement, dans un premier temps, quelques éléments importants :
– Assouplissement du travail du dimanche et de nuit,
– Réforme des Conseils de Prud’hommes avec création notamment d’un véritable statut de défenseur syndical,
– Possibilité de prêts de trésorerie limités à deux ans entre entreprises.
LA LOI REBSAMEN EST PARUE LE 18 AOÛT 2015
Cette loi relative au dialogue social et à l’emploi comporte notamment les dispositions suivantes :
– Regroupement à compter du 1er janvier 2016 des 17 obligations annuelles d’information du comité d’entreprise en trois consultations,
– Regroupement simultané, en trois thèmes, des négociations obligatoires d’entreprise,
– Possibilité de deux renouvellements des CDD,
– Suppression de la fiche individuelle de prévention des expositions pour la pénibilité,
– Dispense de recherche de reclassement en cas d’inaptitude médicale d’origine professionnelle à tout poste,
– Amélioration de la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle.
Jurisprudence
TEMPS DE DÉPLACEMENT DOMICILE-CLIENTS
La Cour de Justice de l’Union Européenne précise dans un arrêt du 10 septembre 2015 (aff.C-266/14) que les déplacements des salariés sans lieu de travail fixe ou habituel entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client de la journée constituent du temps de travail.
Le droit français n’est pas conforme à cette décision. Le Code du travail stipule que le temps de déplacement professionnel entre le domicile et le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif, seule une contrepartie financière ou temporelle devant être prévue en cas de déplacement sur un lieu de travail distinct du lieu de travail habituel obligeant à un temps de déplacement plus long.
En l’occurrence il s’agit de techniciens assurant la maintenance et l’installation de dispositifs de sécurité chez des particuliers ou dans des entreprises qui ne sont rattachés à aucun établissement autre que le siège dont ils sont très éloignés. Ils reçoivent les adresses d’intervention la veille pour le lendemain et changent tous les jours de clients.
Se pose donc dès à présent la question de la notion de lieu de travail habituel. Dans le cas qui a fait l’objet de la jurisprudence, il est évident qu’il n’y a pas de lieu habituel. Mais qu’en est-il par exemple pour une aide à domicile qui travaille habituellement chez plusieurs clients selon un ordre différent chaque jour ?
Même s’il est possible que la France ne modifie pas tout de suite sa législation, car elle n’y est pas obligée, une harmonisation apparaît inévitable pour ne pas rendre le Code du travail encore plus illisible.
ATTESTATION PÔLE EMPLOI
La Cour de cassation se montre de plus en plus sévère à propos de la remise de ce document. On sait déjà qu’elle exige une remise immédiate de celui-ci lors de la fin du contrat de travail et que tout délai de remise à un salarié se traduit par l’allocation de dommages intérêts à ce dernier.
La Cour persévère en ce sens dans un arrêt du 24 juin 2015 (Cass. soc. N° 14-13.829) en cas d’erreur sur le motif exact de la rupture du contrat de travail.
En l’occurrence, l’employeur avait mentionné « démission » au lieu de « prise d’acte ».
La Chambre sociale considère qu’il y a nécessairement, du seul fait de l’erreur de motif, un préjudice, peu important que le salarié n’ait pas besoin d’allocations de chômage (il a retrouvé un emploi par exemple) ou n’ait pas droit à ces prestations (il s’est expatrié aussitôt son contrat rompu par exemple)…
Attention donc à la rédaction de ce document le plus souvent établi dans la précipitation.
L’employeur, lui, n’a pas le droit d’être illisible.
Bulletin rédigé par Philippe RAINEIX, avocat spécialiste du droit du travail, du droit de la sécurité sociale et de la protection sociale,
SELARL ACDP, 11 boulevard Voltaire, 19100 BRIVE