Bulletin JSA – JUILLET – AOUT 2015

Bulletin rédigé par Maître Philippe BOUDIAS

SCP PHILIPPE & LOUIS BOUDIAS
3 Villa Victor Hugo
75116 PARIS


Editorial

LA REFORME A TOUT CRIN

« Ainsi, descendant de l’Olympe où siègent et pérorent les présentateurs-chroniqueurs-éditorialistes, flanqués d’une cohorte d’experts attitrés, une même rhétorique soutient les discours politiques dominants : l’invocation de l’urgence des « réformes » et de la « nécessité » du « dialogue ».
Henri Mater et Mathias Raymond — Médias et mobilisations sociales —page 14-2007

Qui ne le sent pas ? Le vent de la réforme infuse le droit du travail. Il mobilise le gouvernement, le législateur, la classe politique, tes commentateurs de toute sorte suggérant des analyses tout aussi profuses que péremptoires et ne cesse de faire couler beaucoup d’encre, trop sans doute et trop vite.

Bien évidemment, nul ne peut nier l’impérieuse nécessité de penser puis de procéder à des réformes tant les textes s’empilent, génèrent une forme d’intrication. Pour autant, l’emballement actuel, empreint de fébrilité, laisse redouter le pire si l’on veut appréhender et admettre, un tant soit peu, une certaine forme de complexité dont les quelques aspects suivants rendent compte :

(1) L’ambition de réformer le droit du travail ne saurait d’évidence, à elle seule, redynamiser un marché du travail atone qui ne cesse de se dégrader. Le débat social ne peut étouffer ni même servir à évincer les questions économiques fondamentales dont seule la résolution nous permettrait d’espérer retrouver un rayonnement et dont la prégnance est pourtant esquivée par nos politiques depuis maintenant plusieurs décennies.

Or tel est, semble-t-il, pourtant le cas. L’impuissance du politique dans le domaine de la redynamisation économique explique, d’évidence, son tropisme à agiter des réformes dans des domaines où il a encore prise.

(2) Le bilan des réformes déployées depuis plusieurs années au gré des majorités conduit à un constat cinglant permettant de qualifier ces réformes de labyrinthiques la complexité succédant à ta complexité. Le court-termisrne a, définitivement, vécu et produit des effets désastreux.

Une réforme se pense, se prépare par la désignation de ses objectifs, sa méthode et davantage encore la mesure de sa faisabilité.

(3) Le droit du travail est chargé d’histoire dont on ne peut s’acquitter d’un trait de plume. Il est, en outre, habité par une multiplicité de sources qu’elles soient légales, conventionnelles, contractuelles ou usuelles avec le principe d’application de la norme la plus favorable. La jurisprudence, également, imprime cette matière de son poids qu’il soit quasi normatif ou interprétatif. Comment réguler, refondre ou réordonnancer cette diversité des sources ? Cette question prédétermine l’axe des réformes.

(4) De la volonté de simplification au simplisme démagogique, il n’y a qu’un pas, Nous l’avons, semble t-il déjà franchi. Est-il sérieusement raisonnable et rai-sonné de prétendre faire muer un code du travail pléthorique en un code qui ne regrouperait que 50 principes fondamentaux et se résumerait à une simple « constitution » du travail (A Lyon Caen — R. Badinter le travail et la loi — ed. Fayard) ? Peut-on, de même, à l’instar de certains politiques, désigner le Code du travail actuel comme souffrant d’obésité pour préconiser une cure amaigrissante avec un objectif de limitation du Code à 150 pages sans plonger dans l’incommensurable absurdité ?

Ces messages, ces mots d’ordre relayés par des débats abscons où la prétention sert de paravent à l’incompétence ne peuvent constituer l’antichambre d’une reforme pensée. Tous ces éléments de langage réducteurs laissent, néanmoins, leur trace au détriment d’échanges argumentés et avisés (cf. P. Lokies professeur des universités : simplification du droit la grande mascarade — Semaine Sociale Lamy n° 1677 p 4).

(5) Les réformes voulues s’entendent t-elles de réformes parcellaires du droit du travail ou d’une refonte globale ? Si le législateur n’avait, jusqu’alors, envisagé, pragmatiquement, que des réformes pan par pan, il semble aujourd’hui ambitionner une refonte globale, Un tel objectif semble pourtant hors de portée et au demeurant la matière du droit du travail qui distingue par exemple relations individuelles et collectives semble dicter un principe de réforme sectoriel.

(6) Fort curieusement, le champ d’analyse de la réforme semble étrier certains acteurs et en préserver d’autres.

Comment s’expliquer l’urgence a réformer les conseils de Prud’hommes et le total mutisme vis-à-vis du fonctionnement des Cours d’appel au seul motif, inavoué, qu’elles sont régies par des magistrats rétifs à toute réforme et parfois dénués de toute auto-critique ?

De même, ne pourrait-on, à tout le moins, s’interroger sur le poids extrême de la jurisprudence normative de la chambre sociale de la Cour de cassation dont il résulte une insécurité juridique majeure du fait de sa rétroactivité ? Tel n’est pourtant pas le cas, silence le plus absolu.

(7) De nouveaux mythes, par ailleurs, aveuglent et parasitent le débat, Privilégier comme norme l’accord de branche ou d’entreprise semble apparaitre le nouveau paradigme. Il a, bien sûr, pour légitimité de rendre le pou-voir aux acteurs sociaux. Pour autant, ce principe peut-il être généralisé à l’ensemble du droit du travail sans risque de créer une hétérogénéité flagrante des statuts salariés selon les branches ou les entreprises ?

(8) La réforme envisagée ne peut, au surplus, prendre le risque d’être une fracture sociale et un point de clivage entre les entre-prises et les salariés sans quoi elle serait, inéluctablement, vouée à l’échec.

Le signal de la réforme est lancé :

– Jean Denis COMBEREXELLE a été investi d’une mission en vue de formuler des propositions pour élargir la place de l’accord collectif dans notre droit du travail et la construction des normes sociales qui devaient aboutir au début de l’automne.

– le sénat lors de la discussion de la loi Macron a voté avec l’avis favorable du gouvernement un amendement emportant création d’une «commission de réforme et de simplification du code du travail », prévoyant due ladite commission « a pour mission de proposer dans un délai d’un an un nouveau Code du travail simplifié en poursuivant les objectifs suivants » : (1) « accroître les possibilités de dérogations aux dispositions du code du travail par un accord collectif «; (2) • simplifier les règles d’exécution et de rupture du contrat, en rendant en particulier certains droits progressifs » ; (3) « instaurer le principe selon lequel, sauf exceptions, las dispositions d’un accord collectif sont applicables nonobstant les dispositions contraires d’un contrat de travail ».

Bon vent à ceux qui porteront la responsabilité de la réforme.

En espérant que celle-ci ne soit pas un simple syndrome réactionnel, une agitation de plus.

Actualités

DÉBAT DE CONSTITUTIONNALITÉ SUR LA BARBARISATION DES INDEMNITÉS DE LICENCIEMENT ISSUE DE LA LOI MACRON

La loi Macron qui sera soumise au Conseil Constitutionnel suscite un vif débat sur la conformité à la constitution du barème des dom-mages et intérêts à la suite d’un licenciement :

– Pascal LOKIEC s’est interrogé sur la constitutionnalité d’un tel barème, au regard non seulement du principe de réparation intégrale mais aussi de l’atteinte à l’économie générale des conventions.

– Denys ROBILIARD remarque que le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré le principe de réparation intégrale. Sa décision sur la faute inexcusable en témoigne (Déc. N°2010-8 OPC, 18 juin 2010). Au contraire, le Conseil constitutionnel laisse la place au législateur pour organiser les modalités de la réparation. S’agissant du principe de l’atteinte à l’économie générale des conventions, le député relève que les conditions de la rupture ne changent pas.

LE SUCCÈS DE LA RUPTURE CONVENTIONNELLE NE SE DÉMENT PAS

Elle vient de faire l’objet d’un bilan au titre des accords nationaux interprofessionnels des 11 janvier 20438 et 2013 et d’une étude de Camille SIGNORETTO dont il ressort que :

– 1.8 million de ruptures conventionnelles ont été signées depuis 2008, ce qui correspond à 300 000 par an et une moyenne mensuelle comprise entre 25 000 et 30 000 ruptures conventionnelles.

– le taux de refus est stable de-puis 2013, il est de 6 % et motivé pour les motifs suivants :
•dans 40 % des cas par une indemnité de rupture inférieure à l’indemnité minimum ;
•dans un peu plus de 25 % par le non-respect du délai de rétrac-tation de 15 jours
•dans 2 % des cas par le non-respect des règles d’a.ssistance
•dans 1 % des cas par le constat de l’absence de liberté de consentement ;
•dans un tiers des cas, le refus n’est pas précisé.

Jurisprudence

CESSION DE PME : PLUS D’ACTION EN NULLITÉ POSSIBLE POUR DÉFAUT D’INFORMATION DES SALARIÉS

Le 17 juillet 2015, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé contraires à la liberté d’entreprendre les dispositions de la loi n°2014-356 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (dite loi Hamon), qui sanctionnent par la nullité, la cession intervenue en méconnaissance de l’obligation d’information préalable des salariés (entreprises de moins de 250 salariés). L’abrogation des articles correspondants du Code de commerce a pris effet des la publication de la décision au Journal Officiel, soit le 19 juillet 2015.

La loi Macron, adoptée définitivement le 10 juillet dernier, a d’ores et déjà acté la suppression de la sanction de l’annulation de la cession, pour lui substituer une amende civile mais la disposition concernée n’entrera en vigueur qu’à une date fixée par décret, pris dans un délai de six mois suivant la publication de la loi (v. l’actualité n’16874 du 16 juillet 2015).

La décision du 17 juillet 2015 ne remet pas en cause l’obligation pesant sur le cédant d’une participation majoritaire dans une PME, d’informer individuellement chaque salarié de sa volonté de céder, afin de permettre au personnel de présenter une offre d’achat (C. com., art. L 23-10-1 et suivants). Le Conseil constitutionnel la considère, en effet, conforme à la fois à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.

CONGÉ MATERNITÉ SUIVI D’UN ARRÊT MALADIE : PAS DE REPORT DE LA PÉRIODE DE PROTECTION REL4TIVE

Pendant les quatre semaines suivant l’expiration de la période de suspension du contrat correspondant au congé de maternité, la salariée bénéficie d’une protection dite relative, interdisant à l’employeur de lui notifier un licenciement pour un motif autre qu’une faute grave ou une impossibilité de maintenir le contrat (C. trav. ; art. L 1225-4).

En 2014, la Cour de cassation a innové en prévoyant un report du point de départ de cette protection, lorsque le congé de maternité est immédiatement suivi de la prise de congés payés.

Il était alors permis de s’interroger sur la possibilité d’étendre ce principe de report à d’autres types d’absence survenant dès la fin du congé de maternité (arrêt maladie, congé parental notamment).

Dans un arrêt du 8 juillet 2015, la Cour de cassation ferme toutefois définitivement la voie à une telle extension de sa jurisprudence : contrairement aux congés payés, l’arrêt de travail pour maladie n’a pas pour effet de suspendre la période de protection de quatre semaines et d’en reporter le point de départ à la date de reprise effective du travail.

SEULE LA MAUVAISE FOI PERMET DE LEVER L’IMMUNITÉ DES SALARIÉS SE PLAIGNANT DE HARCÈLEMENT

Pour favoriser la lutte contre le harcèlement en entreprise, tout salarié « relatant » ou « témoignant » de tels agissements, est légalement protégé contre d’éventuelles mesures de rétorsion : il ne peut pas faire l’objet d’une sanction, d’un licenciement ou d’une quelconque mesure discriminatoire en lien avec ces accusations (C. trav., art. L 1152-2 et L 1152-3), à peine de nullité (C. trav. art. L 1152-3 et L 1153-4). Cette immunité ne cède qu’en cas de mauvaise foi, qu’il appartient à l’employeur d’établir. L’objet de cette prouve est alors strictement défini par la jurisprudence, puisqu’il s’agira de démontrer non pas que les accusations sont infondées et les faits non établis, mais que le salarié avait pleinement connaissance, au moment de la dénonciation, de leur caractère mensonger (Cass, Soc. 7 février 2012, n°10- 18.035).

Comme le font apparaître deux arrêts, rendus le 10 juin par la Cour de cassation, cette preuve est particulièrement délicate à rapporter, et le salarié – y compris s’il s’agit d’un apprenti ainsi que le relève l’une de ces décisions, conservera bien souvent le bénéfice de l’immunité de principe.

CDD DE REMPLACEMENT : LE TERME DU CONTRAT EN CAS DE REMPLACEMENT EN CASCADE » PRÉCISÉ

La technique du remplacement « en cascade » ou « par glissement » est admise par la jurisprudence sociale (Cass. Soc. 30 avril 2003, n°01 – 40.037). Elle consiste à muter temporairement, sur le poste du salarié absent, un autre salarié permanent de l’entreprise et à affecter le salarié en CDD sur les fonctions de ce dernier. Ce mode de gestion des absences donne toutefois lieu à plusieurs difficultés pratiques, notamment s’agissant de la mention du nom et de la qualification de la personne remplacée » qui doivent impérativement figurer au contrat sous peine de requalification en COI (C. trav. art. L 242-12). L’administration recommande de préciser, dans le contrat, qu’il s’agit d’un remplacement en cascade et d’indiquer alors le nom et la qualification du salarié réellement absent de l’entreprise (Cire, DRT n°92- 14 du 20 août 1992 ; § 38).

Une seconde difficulté est mise en lumière par une récente affaire tranchée par la Cour de cassation le 24 juin : celle du terme effectif du CDD lorsque celui-ci a été conclu sans terme précis comme le permet la loi (C. trav., art. L 1242-7).

Ce contrat prend-il fin exclusivement au retour du salarié absent de l’entreprise, ou au retour à son poste initial du salarié qui avait provisoirement récupéré ses fonctions par glissement ? Ces deux dates peuvent en effet ne pas coïncider lorsque ce dernier est amené à regagner prématurément son poste. La Haute juridiction se positionne, pour la première fois à notre connaissance, en faveur de la première alternative.

Bulletin rédigé par Maître Philippe BOLJDIAS Avocat au Barreau de PARIS
SCP PHILIPPE & LOUIS BOUDIAS 3 Villa Victor Hugo 75116 PARIS