Bulletin JSA – JUIN 2015

Bulletin rédigé par Maître Jean-Christophe SCHWACH

Cabinet LEXOCIA
5 rue de Berne
67300 SCHILTIGHEIM


Editorial

LE PLAFONNEMENT DES INDEMNITÉS POUR LICENCIEMENT SANS CAUSE RÉELLE ET SÉRIEUSE

La loi pour la croissance et l’activité dite « Loi MACRON » a été adoptée le vendredi 10 juillet dernier.

Ce texte qui sera soumis au contrôle du Conseil Constitutionnel institue, notamment, un barème pour les indemnités versées dans le cadre des licenciements reconnus sans cause réelle et sérieuse par le Conseil de Prud’hommes.

L’idée est d’encadrer les dommages et intérêts qu’un employeur pourrait être amené à verser lors d’un litige prud’homal et de lui donner plus de visibilité dans un contentieux à l’issue souvent incertaine.

Le gouvernement part du postulat que les chefs d’entreprise seraient plus enclins à embaucher en connaissant à l’avance le risque qu’ils encourent si les juges devaient requalifier la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En d’autres termes, le risque prud’homal ne doit plus être un frein à l’embauche.

Le projet de loi avait été accueilli de manière plutôt négative et les premières réactions des syndicats et des conseillers prud’homaux ont été particulièrement hostiles.

Il est vrai que le texte prévoit des planchers et des plafonds en fonction des effectifs de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié qui ne sont guère favorables pour les salariés des petites entreprises ou pour ceux qui ont moins de 2 ans d’ancienneté.

Certains conseillers prud’homaux ont manifesté devant les juridictions en soutenant que les montants dérisoires accordés vont décourager les salariés qui ne saisiront plus le Conseil de Prud’hommes.

Un deuxième argument était mis en avant : s’il n’y a plus de risque pour l’employeur à licencier, le rôle protecteur du droit du travail était totalement mis à mal.

Ces positions, sans doute excessives, ont néanmoins le mérite de souligner que ce nouveau barème va modifier le rôle des conseillers prud’homaux qui ne pourront plus prendre en compte les critères habituels pour l’évaluation du préjudice subi par le salarié.

Il faut rappeler que, jusqu’à présent, la sanction de l’absence de cause réelle et sérieuse variait déjà selon la taille de l’entreprise et l’ancienneté du salarié mais le juge avait plus de liberté pour fixer les dommages et intérêts qui n’étaient pas encadrés.

Le Code du Travail prévoyait que pour les salariés ayant au moins 2 ans d’ancienneté dans une entreprise de 11 salariés et plus, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse était au minimum égale à 6 mois de salaire, les juges allant très souvent au-delà de ce montant en estimant que le préjudice excédait ce minimum.

Pour les salariés ayant moins de 2 ans d’ancienneté et / ou les salariés d’une entreprise de moins de 11 salariés, aucun montant minimal ou maximal n’est fixé et le juge a une grande liberté pour déterminer l’indemnité en fonction du préjudice.

La loi MACRON met fin à cet aléa avec l’encadrement des indemnités selon le barème suivant :

  • Indemnité (en mois de salaire pour un salarié d’une entreprise d’au moins 20 salariés :

– Moins de 2 ans d’ancienneté : Maximum 3 mois
– De 2 ans à moins de 10 ans d’ancienneté : Minimum 2 mois  – Maximum 6 mois
– A partir de 10 ans d’ancienneté : Minimum 2 mois – Maximum 6 mois

  • Indemnité (en mois de salaire) pour un salarié d’une entreprise de 20 à 299 salariés :

– Moins de 2 ans d’ancienneté : Maximum 4 mois
– De 2 ans à moins de 10 ans d’ancienneté : Minimum 4 mois – Maximum 10 mois
– A partir de 10 ans d’ancienneté : Minimum 4 mois – Maximum 20 mois

  • Indemnité (en mois de salaire) pour un salarié d’une entreprise d’au moins 300 salariés :

– Moins de 2 ans d’ancienneté : Maximum 4 mois
– De 2 ans à moins de 10 ans d’ancienneté : Minimum 6 mois – Maximum 12 mois
– A partir de 10 ans d’ancienneté : Minimum 6 mois – Maximum 27 mois

Il convient de préciser que ces fourchettes s’appliqueront également :

• en cas de résiliation judiciaire du contrat,
• lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat.

Face à ce barème, le juge ne retrouvera sa pleine liberté (avec la possibilité de dépasser les plafonds) que s’il estime qu’une faute grave de l’employeur est caractérisée par :

• des faits de harcèlement moral ou sexuel,
• un licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle homme – femme ou de corruption,
• la violation du droit de grève, du statut protecteur des représentants du personnel, du statut lié à la maternité ou à la paternité, des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, d’inaptitude,
• une atteinte à une liberté fondamentale.

Cette disposition de la loi va sans doute conduire à une nouvelle forme de contentieux dans la mesure où le salarié licencié va tenter de rattacher la rupture à un fait de harcèlement ou de discrimination pour sortir du barème d’indemnisation.

On peut également penser que les avocats et défenseurs syndicaux vont faire preuve d’imagination pour solliciter la réparation de préjudices distincts (préjudice moral, perte d’une chance …) donnant ainsi une nouvelle orientation aux contentieux prud’homaux.

En encadrant les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la loi MACRON va donner des garanties et des repères sur le risque encouru mais elle va également pousser les salariés et leurs conseils à aller sur d’autres terrains pour contourner ces limites.

Seule la pratique de ce nouveau dispositif permettra de mettre en lumière ses aspects négatifs et d’apprécier son véritable impact sur la courbe des embauches.

Lors d’une rupture, il s’agit toujours en définitive d’une question de gestion du risque et, plus précisément, d’évaluer l’indemnité à verser en cas de condamnation devant le Conseil de Prud’hommes.

Les minima et les maxima seraient désormais fixés par la loi, ce qui devrait rassurer les employeurs et les encourager à recruter plus facilement.

Encadrer les indemnités de rupture pour développer l’emploi quel paradoxe !

Soyons optimiste et écartons la thèse de ceux qui estiment que cette réforme incitera davantage les employeurs à licencier qu’à embaucher.

Jurisprudence

La clause de non concurrence

Jurisprudence : La renonciation à la clause de non concurrence en cas de dispense de préavis, Cass. Soc. 21 janvier 2015, n° 13-24471.

L’employeur qui dispense le salarié de l’exécution de son préavis doit s’il entend renoncer à la clause de non-concurrence de faire au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise nonobstant toute stipulation contraire.

Il convient donc d’être particulièrement vigilent sur la date de renonciation à la clause de non concurrence, dès lors, que la rupture intervient sans préavis ou avec dispense de préavis.

Renonciation à la clause de non-concurrence en cours d’exécution du contrat de travail Cass. Soc. 11 mars 2015, n° 13-22257.

L’employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à la clause de non-concurrence au cours de l’exécution du contrat de travail.

Dans cette affaire, la clause était rédigée ainsi : « L’interdiction de concurrence peut-être levée ou réduite par l’entreprise par lettre RAR au plus tard dans les 8 jours suivants la notification de la rupture du contrat de travail ».

Pour la Cour de Cassation, cette clause fixe un délai de renonciation à compter de la rupture du contrat alors que la renonciation par l’employeur est intervenue au cours de l’exécution dudit contrat.

Dès lors, la Cour Suprême estime que la contrepartie à la clause de non-concurrence reste due.

Modulation de la contrepartie pécuniaire selon le mode de rupture, Cass. Soc. 9 avril 2015, n° 13-25847

La clause qui minore la contrepartie financière de la clause de non-concurrence dans le cadre d’un mode déterminé de rupture du contrat de travail est réputée non écrite.

Dans le cas d’espèce, la contrepartie était fixée à 25 % de la rémunération mensuelle en cas de licenciement et à 10 % en cas de démission.

La Cour de Cassation a censuré cette disposition contractuelle.

La clause de non concurrence reste valable mais la minoration n’est pas applicable.

Les congés payés

Le sort des congés annuels non pris au-delà de la durée minimale de 4 semaines, Cass. Soc. 12 mai 2015, n°13-20349

La Cour de Cassation considère que les congés non pris en plus des congés payés annuels d’une durée minimale de 4 semaines ne peuvent donner lieu à une indemnisation que si le salarié rapporte la preuve qu’il n’a pu les prendre du fait de l’employeur.

A défaut, l’employeur peut faire application de la règle : congés pas pris, congés perdus.

Cette disposition doit être appliquée avec précaution au regard de la position beaucoup moins restrictive prise par la CJCE.

La durée du travail

Départ du salarié et paiement des jours de RTT, Cass. Soc. 18 mars 2015, n° 13-13369

Sauf dispositions conventionnelles contraires, un salarié qui quitte l’entreprise ne peut revendiquer le paiement d’une indemnité compensant les jours de RTT non pris sauf à prouver que c’est l’employeur qui l’empêchait de les prendre.

Il convient de rappeler que les jours de RTT doivent être pris, même si la loi ne l’a pas précisé, au cours d’une période de 12 mois consécutifs.

Dans cette affaire, le salarié a voulu faire une assimilation entre les jours de RTT et les congés payés.

Il a donc demandé à pouvoir bénéficier d’une indemnité compensatrice des jours de RTT non pris au même titre que l’indemnité compensatrice de congés payés pour les congés non pris.

Pour la Cour de Cassation, les jours de RTT ne peuvent être assimilés à des congés.

Dans ces conditions, le salarié ne peut revendiquer le paiement d’une indemnité compensant les jours de RTT non pris.

Le port du voile

La Chambre Sociale a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne sur une nouvelle affaire concernant le port du voile.

Dans cette affaire, une salariée engagée en qualité d’Ingénieur et mise à disposition par la Société de Conseil auprès d’une entreprise cliente.

Cette entreprise demande à l’employeur que la salariée intervenant ne porte plus le voile lors de ses prochaines interventions.

Suite à son refus de retirer son voile, la salariée est licenciée pour faute.

Pour la Cour d’Appel de PARIS, ce licenciement n’est pas discriminatoire et reposait sur une cause réelle et sérieuse.

La Cour d’Appel considère que le but recherché par une entreprise commerciale est de réaliser son objet social en fournissant à ses clients des produits, des prestations ou des services lui donnant satisfaction.

Pour ce faire, elle doit tenir compte de la diversité des clients et de leur conviction.

Elle est donc naturellement amenée à imposer au salarié qu’elle envoie au contact de la clientèle une obligation de discrétion qui respecte les obligations de chacun.

Pour la Cour d’Appel, la restriction était bien donc justifiée par rapport à la nature de la tâche et proportionnée au but recherché.

La salariée s’est pourvue en cassation.

La Cour de Cassation a décidé de transmettre une question préjudicielle à la CJUE, à savoir :

« Est-ce que constitue une négligence professionnelle essentielle et déterminante en raison de la nature de l’activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d’un client d’une société de conseil informatique de ne plus avoir les prestations informatiques de cette société assurées par une salariée ingénieur d’études portant un voile islamique ? ».

La Cour de Cassation se remet donc à l’appréciation de la Cour de Justice de l’Union Européenne pour trancher cette question.

La durée du travail

Forfait illicite : la condamnation pour travail dissimulé n’est pas automatique, Cas. Soc. 16 juin 2015, n° 14-16953

La Cour de Cassation a rappelé que l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé ne peut être accordée que si le caractère intentionnel de la dissimulation est démontré.

Il était question dans cette affaire d’un salarié bénéficiant d’un forfait annuel en heures par application d’un accord collectif qui a été jugé illicite.

Le salarié a saisi la Cour d’Appel de PARIS pour contester la validité de la convention de forfait afin d’obtenir un rappel d’heures supplémentaires ainsi que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

La Cour d’Appel de PARIS a fait droit aux demandes du salarié.

La Cour de Cassation a censuré la décision concernant la condamnation pour travail dissimulé en affirmant que le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite.

La Cour de Cassation exige des juges du fond qu’ils caractérisent à cette fin la volonté délibérée de l’employeur de dissimuler les heures de travail réellement effectuées.

La géolocalisation

Dans une délibération du 4 juin 2015, la CNIL pose une interdiction globale de géolocalisation hors du temps de travail.

Notamment lors des trajets domicile-travail ou des pauses.

L’objectif de la CNIL est de limiter les risques d’abus dans l’utilisation de la géolocalisation.

La CNIL a prévu des cas de recours limités.

Ainsi, le recours à la géolocalisation peut désormais être justifié par le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule.

Ce nouveau cas s’applique sous réserve de ne pas collecter de données de localisation en dehors du temps de travail du conducteur.

La CNIL apporte également d’autres précisions :

– La géolocalisation peut servir à justifier de la réalisation d’une prestation auprès d’un client ou d’un donneur d’ordre.

– En matière de sûreté ou de sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou du véhicule dont il a la charge, la CNIL ajoute expressément la lutte contre le vol du véhicule.

– Concernant le suivi du temps de travail, il est possible seulement, à titre accessoire, lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d’autres moyens. La CNIL ajoute une réserve, cela ne doit pas conduire à collecter des données de localisation en-dehors du temps de travail des salariés concernés.

Ainsi, la CNIL prévoit une interdiction globale de collecter des données hors du temps de travail.
Bulletin rédigé par Maître Jean-Christophe SCHWACH Cabinet LEXOCIA
5 rue de Berne – 67300 SCHILTIGHEIM