Bulletin JSA – MAI 2015

Bulletin rédigé par Maître François-Xavier GALLET

Cabinet GALLET
34 Passage du Belvédère
86000 POITIERS


Éditorial

COMPTE PÉNIBILITÉ

Vers un « choc de simplification » ?

Le gouvernement avait promis aux entreprises un choc de simplification.

Les entreprises ont scruté l’horizon et ont vu venir un festival d’obligations nouvelles : la généralisation de la prévoyance et des complémentaires santé (loi du 14 juin 2013), l’obligation de tenir des entretiens individuels réguliers avec les salariés (loi du 5 mars 2014), la modification des droits à la formation avec la suppression du DIF et la création du compte personnel de formation (loi du 5 mars 2014), l’obligation d’informer les salariés en cas de cession d’entreprise (loi du 31 juillet 2014), et, pour couronner le tout, la mise en application à partir du 1er janvier 2015 du compte personnel de prévention de la pénibilité (loi du 20 janvier 2014).

Entrée en vigueur le 1er janvier 2015, avec quatre premiers facteurs de pénibilité (travail de nuit, travaille en équipes successives alternantes, travail répétitif, activités en milieu hyperbare), cette dernière mesure devait être complétée par six nouveaux facteurs à prendre en compte au 1er janvier 2016.

La mise en œuvre des fiches individuelles de prévention des expositions a suscité l’inquiétude légitime des chefs d’entreprise, d’autant plus que les moyens de mise en œuvre et de communication ne sont pas définis et sont soumis à la modification des logiciels de paye prenant en compte ces éléments pour leur transmission.

À défaut de pouvoir dire que le rouleau compresseur de la simplification s’est mis en marche, les entreprises peuvent espérer que le frein à la complexification commence enfin à être (timidement) utilisé.

En effet, il vient d’être décidé de repousser au 1er juillet 2016 l’entrée en vigueur des six facteurs de pénibilité restants et la possibilité, lorsqu’il existe des référentiels de branches identifiant les postes, les métiers ou les situations de travail exposés aux facteurs de pénibilité, l’employeur pourra les appliquer pour évaluer l’exposition de ses salariés.

Il n’aura, dans ce cas-là, plus de mesures individuelles à mettre en œuvre pour ces facteurs.

L’établissement et la transmission des fiches individuelles ne reposeront alors plus sur l’employeur, mais sur la caisse de retraite qui sera chargée d’informer les salariés sur leur exposition et sur les points dont ils bénéficient à ce titre.

Il ne reste plus à espérer que les branches professionnelles identifient ces postes, métiers ou situations de travail exposés aux facteurs de pénibilité, pour simplifier la tâche des employeurs.

Mais, quoiqu’il en soit, une hirondelle n’a jamais fait le printemps.

Actualités

ASSISTANCE LORS DE L’ENTRETIEN PRÉALABLE

L’interprétation extensive des juridictions administratives
Le Code du Travail prévoit en son article L. 1232-4 la possibilité pour le salarié d’être assisté durant l’entretien préalable au licenciement par un salarié membre de l’entreprise et, « lorsqu’il n’y a pas d’institution représentative du personnel dans l’entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative ».

Les articles L. 1232-7 et suivants du Code du Travail déterminent le statut du conseiller du salarié.

Le rôle du conseiller du salarié est de permettre aux salariés de bénéficier du concours d’une personne réputée dégagée de toute pression envisageable de la part de l’employeur.

Les salariés titulaires d’un mandat de représentation du personnel sont bénéficiaires d’un statut très protecteur contre le licenciement et par conséquent, l’absence de salarié bénéficiant de cette protection est ainsi compensée, de par la volonté du législateur, par cette intervention externe.

Pour l’administration, le champ d’application des dispositions relatives au conseiller du salarié visent en premier lieu l’assistance du salarié qui est employé dans une entreprise dépourvue d’institution représentative du personnel.

Il y a donc lieu de considérer qu’une entreprise est dépourvue d’institution représentative du personnel lorsqu’il n’existe dans cette entreprise ni comité d’entreprise, ni délégué syndical, ni délégué du personnel, ni CHSCT (Circulaire DRT 16 du 5 septembre 1991, BOMT n° 91/24, page 91).

L’interprétation de ce texte a donné lieu à quelques décisions de jurisprudence mais, à notre connaissance, la Cour de Cassation n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la situation très particulière du salarié dont le licenciement est envisagé et qui se trouve être l’unique représentant du personnel de l’entreprise.

Par définition, une telle situation ne peut concerner que des petites entreprises dans lesquelles une seule personne a la qualité de délégué du personnel.

La lecture littérale du Code du Travail laisse à penser que, compte tenu de l’existence d’un représentant du personnel, celui-ci ne peut se faire assister que par un salarié de l’entreprise.

Cependant, la juridiction administrative a eu une interprétation différente.

Ainsi, dans une décision du 9 décembre 2013, la Cour Administrative d’Appel de Paris a considéré, au visa de l’article 1232-4 du Code du Travail que « lorsque le salarié concerné est le seul représentant du personnel dans l’entreprise, sa situation doit être assimilée à celle dans laquelle se trouve tout salarié dont l’entreprise est dépourvue d’institution représentative du personnel ; que dans cette hypothèse, l’omission, dans la lettre de convocation adressée par l’employeur, de l’indication de la faculté de se faire assister par un conseiller du salarié entache d’illégalité la décision administrative autorisant le licenciement du salarié » (Cour Administrative d’Appel de Paris, 8ème Chambre, 9 décembre 2013, n° 13PA01670, 13PA01791) ; (Voir également Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, 15 mars 2011, Institution Guyanaise de Retraite Complémentaire, n° 10BX01418).

Le texte ne prévoit pas cette situation et, d’un point de vue formel, la décision peut paraître contraire à la lettre, les institutions  représentatives du personnel existant.

Toutefois, l’esprit de la loi est la possibilité pour un salarié dont le licenciement est envisagé de se faire assister durant l’entretien préalable par une personne pouvant bénéficier soit d’une protection contre licenciement au titre d’un mandat de représentation du personnel dans l’entreprise, soit, à défaut, par un conseiller extérieur. La juridiction administrative tire logiquement les conclusions du fait que, en dehors du salarié dont le licenciement est envisagé, aucune autre personne de l’entreprise ne peut bénéficier d’une protection contre le licenciement et peut donc être soumise à des pressions de son employeur.

Même si la situation peut paraître exceptionnelle, il est indispensable, tout particulièrement dans les microentreprises, d’être vigilant sur cette question lorsque la situation se produit pour éviter une annulation de l’autorisation administrative de licenciement par le Ministre ou par le Tribunal Administratif si l’Inspecteur du Travail n’a pas soulevé cette question, et éviter ainsi ce motif de refus d’autorisation de licenciement ou son annulation.

Par ailleurs, nous pouvons aussi nous poser la question de la limite de cette analyse.

En effet, si lors d’une procédure de licenciement, l’unique représentant du personnel est absent (période de congés par exemple, immobilisation, ou encore déplacement éloigné,…), la juridiction ne sera-t-elle pas tentée, sur la base du même raisonnement, de considérer que les règles d’assistance n’ont pas été respectées si la possibilité d’une assistance extérieure n’a pas été proposée.

INAPTITUDE À TOUT POSTE DANS L’ENTREPRISE ET OBLIGATION DE RECLASSEMENT

Vers la fin de l’hypocrisie ?

L’obligation pour l’employeur de rechercher un emploi de reclassement est étendue puisqu’elle vise toutes les inaptitudes, qu’elles soient temporaires ou définitives, partielles ou totales (Cass. Soc., 22 mai 1995, no 93-44-721).

De même, et contre toute logique, lorsque l’avis d’inaptitude vise tout emploi dans l’entreprise, l’employeur n’est pas pour autant libéré de son obligation de reclassement vis-à-vis du salarié. La Cour de cassation affirmait jusqu’à présent très clairement ce principe (Cass. Soc., 23 octobre 2001, no 99-40.126 ; Cass. Soc., 19 mai 2004, no 02-45.166 ; Cass. Soc., 26 octobre 2010, no 09-42.284).

Selon la logique de la Cour de cassation, lorsque le médecin émet un avis d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise, cela ne signifie pas que le salarié soit dans l’impossibilité d’exercer un emploi ou une activité quelconque, mais simplement que le médecin du travail juge qu’il ne peut exercer, sans danger pour sa santé, aucun des emplois existant à ce moment donné dans l’entreprise.

Cependant, cet avis médical doit permettre à l’employeur de rechercher un emploi de reclassement, en sollicitant, en complément de l’avis d’inaptitude, les conclusions écrites du médecin du travail et ses indications sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des taches existantes dans l’entreprise avec mise en œuvre de mesures comme la mutation, la transformation de poste de travail ou l’aménagement du temps de travail, malgré l’avis d’inaptitude à tout emploi (articles L1226-2 et 10 du code du travail). En aucun cas, l’avis ne doit être considéré comme une preuve de l’impossibilité de reclassement. (Cass. Soc., 28 mars 2006, no 04-41.266 ; Cass. Soc., 26 octobre 2010, no 09-42.284).

En conséquence, lorsque l’avis du médecin a conclu à l’inaptitude du salarié à tout emploi dans l’entreprise et à l’impossibilité de son reclassement dans celle-ci, l’employeur qui a licencié le salarié doit prouver qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de le reclasser (Cass. Soc., 7 juillet 2004, no 02-43.350).

Il semblerait que la Cour de cassation ait désormais une approche un peu plus pragmatique de la situation de l’employeur et de l’inutilité de ce qu’il faut bien appeler « la mascarade de la procédure de reclassement ».

Dans une décision récente, la Cour a jugé : « attendu que, sans dispenser, au vu de l’avis d’inaptitude avec danger immédiat du 24 janvier 2011, l’employeur de son obligation de recherche de reclassement, la cour d’appel, qui a relevé que celui-ci avait le 26 janvier suivant, interrogé le médecin du travail sur le reclassement éventuel de la salariée notamment en termes d’organisation du travail, d’aménagement de poste et de changement d’affectation, en envisageant par ailleurs un poste précis susceptible d’être proposé, a constaté que ce médecin avait répondu le 3 février 2011 en excluant tout poste dans l’entreprise et tout travail, a pu en déduire que cet employeur était dans l’impossibilité de reclasser effectivement la salariée » (Cass. Soc. 25 mars 2015, n° 13-20.506 – Union locale CGT de Chatou).

Certes, il s’agit d’une première décision et d’un arrêt de rejet, mais il n’en demeure pas moins que lorsque le médecin du travail confirme à l’employeur qui sollicite ses conclusions écrites sur les possibilités de reclassement, que le salarié ne peut occuper aucun des emplois de l’entreprise, l’employeur se trouve dégagé de toute obligation de recherche de reclassement dans l’entreprise.

Bulletin rédigé par Maitre François-Xavier GALLET, Cabinet GALLET
34, Passage du Belvédère- 86000 POITIERS