Bulletin JSA – MARS 2015
Bulletin rédigé par Maître LEDERMANN
AFC LEDERMANN
50 rue de Lalande
33000 BORDEAUX
Éditorial
LA SITUATION FINANCIÈRE DU SALARIE PENDANT LA PROCÉDURE DE RECLASSEMENT
I – La situation du salarié dans le mois qui suit la deuxième visite constatant son inaptitude physique.
Deux situations sont à distinguer :
– Si l’inaptitude du salarié est non professionnelle
Durant le mois imparti pour effectuer la recherche de reclassement, le salarié ne perçoit pas son salaire si son inaptitude est d’origine non professionnelle. (Cass.soc 10 novembre 1998 n°96-44067).
Dés lors, plusieurs situations sont envisageables pour permettre au salarié de percevoir un « revenu de remplacement » :
– L’entreprise dispose d’un compte épargne temps, permettant ainsi au salarié d’être indemnisé sur cette période s’il a acquis des droits suffisants. Il est ainsi conseillé aux employeurs de vérifier les termes de leur accord d’entreprise éventuel si une telle hypothèse est envisagée, l’employeur peut dans ce cas proposer au salarié d’être indemnisé dans le cadre de ce dispositif.
– L’employeur propose au salarié de prendre des congés payés pour percevoir un revenu de remplacement sur cette période. En revanche, il est fortement déconseillé d’imposer la prise de congés payés.
– Le salarié retourne voir son médecin et se voit prescrire un nouvel arrêt maladie.
Attention, il est important d’avoir à l’esprit que cela ne suspend pas, pour autant, la procédure de recherche de reclassement, qui court à compter de la deuxième visite médicale confirmant l’inaptitude définitive.
– Si l’inaptitude est professionnelle
Dans pareil cas, le salarié bénéficie de l’indemnité temporaire d’inaptitude (ITI) (L 433-1 alinéa 5 du Code de la sécurité sociale).
Cette indemnité sera versée par l’organisme de sécurité sociale.
Le formalisme de cette procédure est précisé dans l’article D 433-3 du Code de la sécurité sociale. Le salarié concerné doit adresser sans délai un formulaire de demande à la CPAM dans lequel le médecin du travail fait état d’un lien possible entre l’inaptitude et l’accident de travail. Un volet de ce formulaire est adressé par le salarié à l’employeur. Le salarié conserve le dernier volet.
Dans les huit jours suivant la date de reclassement ou de licenciement, l’employeur transmet à la CPAM le volet reçu par le salarié.
II – La situation du salarié, un mois après la seconde visite médicale constatant l’inaptitude définitive.
A l’expiration du délai d’un mois imparti à l’employeur pour effectuer une recherche de reclassement, si le salarié n’est ni licencié ni reclassé, l’employeur est dans l’obligation de reprendre le paiement du salaire.
Le paiement de ce salaire doit correspondre « à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. » Articles L 1226-4 et L 1226-11 du Code du travail.
La jurisprudence est formelle, il n’est pas possible de substituer cette reprise de salaire en imposant au salarié la prise de congés payés (Cass.soc. 3 juillet 2013 n°11-23.687).
Cette obligation de reprise de paiement de salaire incombant à l’employeur ne doit pas être assimilée à une sanction pour défaut de reclassement. Contrairement à ce que disent certains commentateurs…
Il convient d’envisager cette exigence comme une obligation de solidarité vis-à-vis du salarié inapte. En effet, n’oublions pas que le salarié accuse une perte de rémunération sur un minimum de quinze jours, période comprise entre les deux visites médicales.
Par ailleurs, une réponse ministérielle récente (QE n°8825, JOANQ 30-10-2012 p.6086, réponse publ. 22-01-2013 p.874, 14ème législature) invite fortement les employeurs à respecter un délai de 2 mois avant d’envisager toute action de reclassement ou de licenciement à l‘égard du salarié inapte.
Depuis le Décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012 relatif à l’organisation de la médecine du travail, la contestation de la décision du médecin du travail est limitée à deux mois à compter de l’avis d’inaptitude.
L’annulation de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail priverait le licenciement prononcé de sa cause réelle et sérieuse.
Il en résulte que par précaution, les entreprises laissent s’écouler un délai de deux mois avant toute décision.
La reprise du paiement du salaire est donc inévitable si l’on tient compte de cette position prudentielle.
III – Situation du salarié après un mois à compter de la deuxième visite médicale constatant l’inaptitude définitive, qui est à nouveau en arrêt maladie
Au moment de la reprise du paiement du salaire, il n’est pas rare que le salarié concerné soit en arrêt maladie et perçoive en conséquence des indemnités journalières de sécurité sociale.
Se pose alors la problématique du cumul de ces indemnités journalières de sécurité sociale avec la reprise du paiement des salaires.
Deux situations sont à envisager :
• Le salarié perçoit directement les indemnités journalières :
Dans ce cas-ci, selon une jurisprudence constante, l’employeur ne peut déduire du montant des salaires versés les prestations de sécurité sociales et de prévoyance perçues par le salarié lorsque celui-ci est aussi en période de maintien de salaire du fait de l’inaptitude. (Cass.soc., 19 mai 1998, n°95- 45.637 ; Cass.soc.,16 février 2005, n°02-43.792 ; Cass.soc.,9 janv.2008, n°06-41174).
La CPAM disposerait d’une action directe vis-à-vis du salarié quand à une demande de remboursement des indemnités journalières, si elle a connaissance que le salarié dispose d’un revenu de remplacement constitué par le maintien intégral de salaire indépendant de toute activité professionnelle.
Il pourrait être judicieux que l’employeur adresse dans ce cas un courrier à la CPAM pour l’informer que le salarié perçoit un revenu de remplacement, indépendant d’une reprise d’activité professionnelle, pour inviter ainsi à la CPAM à se positionner.
A défaut, le salarié aurait clairement un intérêt financier à se voir prolonger un nouvel arrêt maladie, même si l’octroi d’une telle prolongation dépend de l’appréciation du médecin traitant. Un médecin traitant a-t-il nécessité de prescrire un arrêt de travail à un salarié dont le contrat est déjà suspendu et pour lequel le salarié perçoit déjà un revenu de remplacement ?
• l’employeur est subrogé de plein droit à l’assuré dans les droits de celui-ci aux indemnités journalières qui lui sont dues en vertu de l’article R323-11 du Code de la sécurité sociale :
Il faut davantage s’attarder sur ce cas précis.
La Cour d’appel de Douai avait tenté de s’appuyer sur le principe de non cumul des salaires : « S’il est acquis en jurisprudence que l’employeur ne peut déduire le montant des prestations de sécurité sociale et de prévoyance déjà reçues par le salarié, ce dernier ne peut cumuler les indemnités journalières de sécurité sociale, qui sont un revenu de remplacement, avec le maintien de salaire. » Cour d’appel de Douai, 31 janvier 2012 n° de rôle 11/00686.
Néanmoins, la Cour de cassation a censuré cette position lors d’une décision du 18 décembre 2013. « La question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par l’organisme de sécurité sociale en raison de l’état de santé du salarié relevant des seuls rapports entre ces derniers ». Cass.soc., 18 décembre 2013 , 12-16460.
Cette décision, se ralliant à la position jurisprudentielle tenue dans le cas où c’est le salarié qui perçoit directement les prestations sociales, doit toutefois être nuancée.
En effet, il est regrettable que la chambre sociale ne se soit pas attardée sur ce point. Aucune référence n’est faite concernant la possibilité de cumuler des indemnités journalières avec un revenu de remplacement. Cette question est simplement renvoyée aux parties concernées à savoir, la caisse primaire d’assurance maladie et l’assuré.
Or, dans le cas de figure où c’est l’employeur qui est subrogé dans les droits du salarié, en cas de répétition de l’indu exercé par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, c’est à l’encontre de l’employeur que l’organisme pourra exercer cette action selon les règles applicables à l’action en répétition de l’indu mais également de la jurisprudence.
« L’action en répétition de l’indu pouvant s’exercer soit contre celui qui a reçu le paiement soit contre celui pour le compte duquel il a été reçu, la caisse devait s’adresser directement à l’employeur et non à la salariée qui n’avait reçu aucun versement direct de la caisse d’assurance maladie » (Cass.soc 19 juillet 2001, n°00-14.390).
Cette possibilité de cumul, ouverte par la jurisprudence, « en l’absence de disposition expresse prévoyant la déductibilité des prestations sociales » (Cass.soc. 22 octobre 1996 n°94-43691), va à l’encontre de la circulaire ministérielle n°93-11 du 17 mars 1993. Cette circulaire rappelle le principe selon lequel le salarié ne peut percevoir une rémunération plus élevée que celle habituellement versée.
Aucune décision de justice n’a été rendue devant les juridictions de sécurité sociale pour savoir si un salarié avait le droit de cumuler des indemnités journalières avec un revenu de remplacement.
C’est sur le plan du droit de la sécurité sociale, qu’il est nécessaire d’obtenir une prise de position.
Le salarié tant qu’il est à nouveau en arrêt maladie pourrait donc bénéficier de ressources nettement supérieures à celles qu’il percevrait s’il travaillait. Cette situation peut perdurer plusieurs mois.
Nécessairement, cela n’incite pas le salarié à reprendre une activité ou encore à se positionner sur un reclassement éventuel.
A cette fin, il est conseillé aux employeurs se trouvant dans cette hypothèse d’informer la caisse primaire d’assurance maladie afin qu’elle se positionne.
Actualité
Par une décision du 3 mars 2015, la Cour de cassation vient circonscrire l’étendue de la réparation du préjudice d’anxiété aux seuls travailleurs de l’amiante ayant appartenu à une entreprise inscrite dans un arrêté ministériel ouvrant droit au dispositif de préretraite amiante.
« Attendu que pour condamner l’employeur à payer au salarié une certaine somme en réparation de son préjudice d’anxiété, l’arrêt retient que peu importe que les deux sociétés en cause ne soient pas mentionnées à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dès lors que le salarié a été directement exposé à l’amiante du mois de février 1970 au mois d’avril 1979, sans que la preuve ne soit rapportée, par l’employeur, que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour protéger de manière collective et individuelle, le personnel exposé aux poussières d’amiante, dans le respect des dispositions de l’article 4 du décret du 17 août 1977 ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la réparation du préjudice d’anxiété n’est admise, pour les salariés exposés à l’amiante, qu’au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l’arrêté ministériel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; » Cass.soc 3 mars 2015 n°13-26175.
Une telle approche du préjudice d’anxiété est contestable à partir du moment où des salariés peuvent se prévaloir d’une exposition à l’amiante sans moyen de protection adéquat, et reviendrait à créer une inégalité face à l’obligation générale de sécurité.
Pourtant, l’égalité est un des trois principes figurant dans la devise de la République Française. Le principe d’égalité est d’ailleurs constitutionnellement reconnu car présent dans notre bloc de constitutionnalité (Pour exemple : article 1er de la DDHC de 1789, article 6 de la DDHC ou encore article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958).
En effet, le salarié invoquant un préjudice d’anxiété peut très bien prouver l’existence de son préjudice et en demander la réparation sur d’autres fondements tels que l’obligation générale de sécurité incombant à l’employeur (article L 4121- 1 du Code du travail ), textes existants aussi pour les fonctionnaires, et plus généralement dans le cadre de la Directive Européenne 89/391 du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesure visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail).
La notion d’anxiété est susceptible d’exister pour des maladies supposant des périodes d’exposition longues… (selon les tableaux de maladies professionnelles), à la différence d’un préjudice moral simple. Il est à noter à ce titre qu’un jugement du conseil de prud’hommes a accordé la réparation d’un préjudice d’anxiété dans le cadre d’une exposition à des produits nocifs (CPH de Longwy 6/02/15 n° 13/00174).
Il est donc important de rester vigilant à l’évolution de la jurisprudence en la matière.
Jurisprudence
PRÉCISIONS DE L’ÉTENDUE DE L’OBLIGATION DE RECLASSEMENT EN MATIÈRE D’INAPTITUDE
Au cours de l’année 2014, la Cour de cassation a eu plusieurs fois l’occasion d’affiner sa position quant aux obligations de reclassement incombant à l’employeur. Plus particulièrement concernant les modalités de recherche ainsi que la preuve d’une recherche effective.
Premier apport, la chambre sociale rappelle clairement que le simple fait d’avoir recherché un autre poste disponible n’est pas suffisant. En l’espèce ; l’employeur démontrait bien ne pas avoir de poste disponible en adéquation avec les préconisations du médecin du travail.
Néanmoins, la Cour de cassation note « qu’aucune démarche quant à la recherche de mesures telles que transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail n’avait été faite ». La recherche de reclassement effectuée par l’employeur était donc incomplète tant que la recherche d’aménagement ou de transformation de poste n’avait pas été effectuée. (Cass.soc 19 mars 2014 n°12-29167).
C’est également à l’employeur de justifier du périmètre de reclassement et en conséquence de son impossibilité de reclasser dans le cadre de l’étendue de ce périmètre. C’est la précision de l’arrêt du 28 mai 2014. En l’espèce, l’employeur ne fournissait pas d’éléments attestant de l’étendue du périmètre dans lequel pouvait s’effectuer la recherche de reclassement.
C’est ce que déplore la Cour d’appel, suivie par la Cour de cassation : « l’employeur ne produisait pas d’organigramme permettant de vérifier la composition exacte du groupe auquel il appartenait, (…) ».
L’importance de la justification de la recherche de reclassement est une nouvelle fois ici soulignée. (Cass.soc 28 mai 2014 n°13-14189).
Bulletin rédigé par Maître LEDERMANN, AFC Ledermann
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