Bulletin JSA – DECEMBRE 2014

Bulletin rédigé par Maître GAUTHERAT

22 avenue de l’Observatoire
75014 PARIS


Éditorial

COMMENT LES IMPRÉCISIONS DES DISPOSITIONS D’UN ACCORD COLLECTIF PEUVENT CONDUIRE LA COUR DE CASSATION À LE « RÉÉCRIRE »

Première étape d’une nouvelle version de la convention collective.

Des dispositions de la convention collective des personnels des organismes de sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à 1993, prévoyaient en son article 32 l’octroi d’échelons d’avancement à la suite de la réussite à l’examen de cours de cadres.

Ces échelons étaient lus par les partenaires sociaux comme étant une prime d’attente qui devait être supprimée lors de la promotion du salarié.

En effet, l’article 32 prévoyait que ces échelons étaient dus à raison de 4 % à compter du premier jour du mois suivant la réussite à l’examen, mais qu’ils étaient dus une seconde fois lorsque la promotion n’intervenait pas dans le délai de deux ans suivant la réussite à l’examen.

Pour les salariés qui avaient déjà atteint le seuil maximal d’échelons, en l’espèce 40 %, lors de la réussite à l’examen, l’article 32 du texte prévoyait l’octroi d’une prime expressément qualifiée de « provisoire ».

L’article 33 de la convention collective prévoyait que ces primes étaient supprimées lors de la promotion.

Ainsi, lors de cet événement, tous les salariés promus se voyaient attribuer le coefficient correspondant à leur nouvel emploi et conservaient unique-ment les échelons liés à leur ancienneté.

Des salariés ont saisi les juridictions aux fins de s’entendre juger que ces échelons devaient être pérennes malgré leur promotion. Ils avançaient que ces échelons étaient une récompense liée à la réussite à l’examen.

Les demandes de rappel de salaire et de reconstitution de carrière ont été accueillies diversement par les juridictions de fond.

La Cour de cassation a tranché ces différends par un arrêt en date du 25 mai 2011 en retenant que les dispositions conventionnelles étaient claires et que les échelons devaient en conséquence bien être supprimés à l’occasion de la promotion (Cass. soc., 25 mai 2011, N° 09-66660).

Deuxième étape d’une nouvelle version de la convention collective.

Les partenaires sociaux ont négocié en 1992 un nouvel accord portant une nouvelle classification des emplois, entré en vigueur le 1er janvier 1993.

Ce texte prévoyait que, lorsque le salarié a atteint le seuil d’avancement de 24 % dans son emploi, sa progression au sein de cet emploi ne pouvait intervenir qu’en fonction de son ancienneté (échelons conventionnels).

L’article 32 prévoyait toujours que :

– les échelons versés à la suite de la réussite à l’examen s’élevaient à 4 % (deux fois 2 %) ;
– le salarié qui n’avait pas été promu dans les deux ans suivant la réussite à l’examen bénéficiait une nouvelle fois de ces échelons de 4 % (deux fois 2 %) ;
– le salarié qui avait déjà atteint le seuil maximal d’échelons, soit toujours de 40 %, lors de la réussite à l’examen bénéficiait d’une prime, expressément aussi qualifiée de « provisoire ».

L’article 33 prévoyait la suppression des « échelons conventionnels supplémentaires » en cas de promotion.

On aurait ainsi pu penser que les salariés qui relevaient de cette nouvelle rédaction et qui avaient, eux aussi, saisi les juridictions se verraient appliquer la même solution que celle qui avait été décidée le 25 mai 2011.

Tel n’a pas été le cas en définitive puisque, après avoir dit, aux termes d’un arrêt en date du 2 mars 2010 (Cass soc., 2 mars 2010, pourvoi A 08-41.524), que la lecture du nouvel accord devait être identique à celle donnée initialement pour l’accord, la Cour de cassation a modifié sa position.

Elle a en effet estimé que, le nouveau texte conventionnel ne qualifiant pas expressément les échelons liés à la réussite à l’examen visés à l’article 32 d’« échelons conventionnels supplémentaires » et l’article 33 prévoyant que seuls « les échelons conventionnels supplémentaires » devaient être supprimés lors de la promotion, il en résultait que les échelons visés à l’article 32 devaient être conservés malgré la promotion (Cass soc., 7 décembre 2010, n °09-40.261, A 09-40.263 et n °2389, et 27 mars 2013, n °12-13651).

Troisième étape : la finalisation de la nouvelle lecture de la convention collective.

Après ces arrêts, la Cour de cassation a été amenée à statuer à nouveau sur ces mêmes articles 32 et 33 dans leur version antérieure au protocole du 14 mai 1992, entré en vigueur le 1er janvier 1993.

Elle n’a pas procédé à une nouvelle analyse des textes, qui n’aurait pu qu’aboutir à une décision identique à celle qu’elle avait retenue le 25 mai 2011.

Elle a, par contre, utilisé son pouvoir de contrôle des textes conventionnels au regard du principe « travail égal salaire égal ».

Elle en a conclu, selon un arrêt en date du 24 septembre 2014 (Cass soc., pourvois nos S 13-10.233 et T 13-10.234, arrêt n° 1642), comme elle l’avait déjà dit à plusieurs reprises, qu’« au regard du respect de ce principe la seule circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de rémunération entre eux ; et rappelé qu’il appartient à l’employeur de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence ».

En conséquence de cette décision, les salariés relevant des dispositions conventionnelles parfaitement claires et qui emportaient leur débouté peuvent prétendre à un rappel de salaire comme les salariés relevant des dispositions conventionnelles issues de la nouvelle version des dispositions des articles 32 et 33.

On ne peut, au regard de cet exemple, que rappeler qu’aussi difficiles que soient les négociations des accords collectifs il n’est pas possible de laisser subsister la moindre ambiguïté dans la rédaction du texte qui sera signé par les partenaires sociaux.

A défaut, ils resteront à la merci de la lecture que fera la Cour de cassation de leur accord et ne seront pas à l’abri de surprises dont les conséquences financières peuvent être à l’origine de la disparition pure et simple de l’entreprise.

Actualité

La circulaire Nor Jusd 1425137 C du 22 octobre 2014 (BOMJ n° 2014 du 31 octobre 2014) explicite l’obligation du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage d’exercer un contrôle accru sur les conditions d’emploi des salariés détachés de son sous-traitant fixée par la loi contre le dumping social n° 2014-790 du 10 juillet 2014 publiée au JO du 11 juillet 2014.

En effet, deux obligations cumulatives pèsent sur le sous-traitant :

1/ L’entreprise doit adresser une déclaration préalable à l’inspection du travail où débute la prestation ; cette déclaration doit être annexée au registre unique du personnel de l’entreprise qui accueille les détachés et doit être tenue à la disposition des délégués du personnel.

2/ L’employeur est aussi tenu de désigner un représentant de l’entreprise en France, chargé d’assurer la liaison avec l’administration du travail.

Et si, en cas de manquement à l’une de ces deux obligations, est infligée une amende administrative d’un maximum de 2 000 euros par salarié détaché. Cette peine est doublée en cas de récidive en cas de récidive dans un délai d’un an. Le montant total de l’amende ne peut toutefois pas être supérieur à 10 000 €.,

Le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage doit de son côté :

1/ Vérifier que son sous-traitant s’est bien acquitté de ses deux nouvelles obligations.

En cas de manquement à cette obligation de vigilance, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage peut faire l’objet d’une amende administrative d’au maximum 2 000 € par salarié détaché, dans une limite totale de 10 000 €.

2/ Enjoindre son sous-traitant de faire cesser sans délai les pratiques suivantes :

• hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, (article L4231-1 du code du travail) ;
• non-respect du droit du travail, notamment les dispositions relatives à la durée du travail, ou/et du non-paiement partiel ou total du salaire minimum légal ou conventionnel (article L 3245-2 du code du travail).

Le défaut de vigilance du respect du droit du travail sera puni par une sanction prévue par décret en Conseil d’État.

Celui du non-paiement du salaire emportera la condamnation solidaire avec le sous-traitant du paiement des rémunérations, indemnités et charges dues.

Alors que seule l’infraction d’emploi d’étranger sans titre (article L8256-2 du code du travail) était susceptible d’être aggravée par la circonstance du recours à la bande organisée, cette circonstance peut désormais être prise en compte en cas d’infractions relatives au travail dissimulé :

• au fait de recourir sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé ;
• au prêt de main-d’œuvre illicite ;
• au délit de marchandage. (articles L8211-1 1 à 3 du code du travail).

Les peines seront désormais de dix ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

La loi inscrit ces délits commis en bande organisée à l’article 706-73 du code de procédure pénale, rendant ainsi possible la saisine d’une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) dans les affaires qui sont ou apparaissent d’une grande complexité, et la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête.

Désormais il est possible de recourir aux mesures suivantes :

• l’extension de compétence aux fins de surveillance (article 706-80 du code de procédure pénale) ;
• l’infiltration (articles 706-81 à 706-87 du code de procédure pénale) ;
• les interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications au stade de l’enquête (article 706-95 du code de procédure pénale) ;
• la captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou d’images dans un lieu privé (articles 706-96 à 706-102 du code de procédure pénale) ;
• la captation, conservation et transmission de données informatiques (articles 706-102-1 à 706-102-9 du code de procédure pénale) ;
• les saisies conservatoires (article 706-103 du code de procédure pénale) ;
• les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de nuit (articles 706-89 à 706-94 du code de procédure pénale).

Jurisprudence

PÉRIODE D’ESSAI ET DÉLAI DE PRÉVENANCE

La poursuite de la relation de travail au-delà de période d’essai en raison de l’existence du délai de prévenance exécuté en partie après le terme de l’essai emporte la requalification de la rupture du contrat en un licenciement sans cause.

L’article L. 1221-25 du code du travail dispose que l’employeur qui décide de ne pas poursuivre le contrat de travail au-delà de la période d’essai doit prévenir le salarié en respectant un délai de prévenance, dont la durée augmente en fonction de la présence du salarié dans l’entreprise.

Que se passe-t-il lorsque l’employeur notifie la fin du contrat tardivement et indique à son salarié que, compte tenu du délai de prévenance de 15 jours, en l’espèce, le contrat prendra fin à une date postérieure à la fin de la période d’essai ?

Doit-on considérer comme l’avait fait la cour d’appel que la notification de la rupture du contrat ayant été effectuée pendant la période d’essai, peu importe que la fin du contrat se situe à une date postérieure à la fin de la période d’essai ? Ou doit-on considérer que la période d’essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance et qu’en conséquence la poursuite de la relation de travail au-delà du terme de l’essai emporte que le contrat est devenu définitif et ne peut être rompu que par le biais d’un licenciement ?

C’est cette dernière solution qui a été retenue par la Cour de cassation aux termes de l’arrêt qu’elle a rendu le 5 novembre 2014. L’arrêt indique en effet, qu’« en cas de rupture pendant la période d’essai, le contrat prend fin au terme du délai de prévenance s’il est exécuté et au plus tard à l’expiration de la période d’essai » et que la poursuite de la relation de travail au-delà du terme de l’essai donne donc naissance à « un nouveau contrat de travail à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur que par un licenciement » (Cass soc., 5 novembre 2014, pourvoi n° G 13-18.114).

LES ARRÊTS DU TROISIÈME TRIMESTRE 2014EN MATIÈRE D’INAPTITUDE

L’obligation de consulter les délégués du personnel en cas d’inaptitude résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

L’article L. 1226-10 alinéa 2 du code du travail prévoit que la proposition de reclassement à laquelle est tenu l’employeur doit être précédée de la consultation des délégués du personnel.

La Cour précise que cette consultation est obligatoire même si l’inaptitude ne résulte que partiellement d’une origine professionnelle (arrêt du 15 octobre 2014, n° 13-17.460) et que sa mise en œuvre ne s’impose que dès lors que l’employeur avait connaissance du caractère professionnel de l’accident, connaissance qui n’est pas établie par le seul fait que la Caisse primaire ait reconnu avant le licenciement l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie (Cass soc ., 23 septembre 2014, n° 13-12.228).

Le défaut de consultation est sanctionné par l’octroi d’une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 mois de salaire (Cass soc., 15 octobre 2014, n°13-16.958). C’est cette même indemnité qui reste due si en sus de l’absence de consultation l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement (Cass soc., 15 octobre 2014, n° 13-16.958).

L’absence de deuxième visite médicale en cas d’hospitalisation du salarié après la première visite médicale.

La cour suprême juge que,compte tenu de l’impossibilité d’effectuer la seconde visite médicale, l’employeur ne peut se voir reprocher une violation des dispositions de l’article R. 4624-31 du code du travail et déboute le salarié de sa demande de dommages et intérêts (Cass soc., 23 septembre 2014, n° 13-14.657).

L’indemnité de licenciement due au salarié est toujours l’indemnité conventionnelle de licenciement même si la convention collective ne prévoit que le règlement de l’indemnité légale de licenciement.

La Cour de cassation retient, en effet, que la clause de la convention collective est nulle en raison de son caractère discriminatoire puisque cette différence de traitement est fondée sur l’état de santé du salarié (Cass soc., 8 octobre 2014, n° 13-11.789).

L’effectivité de la recherche de reclassement

La Cour de cassation estime que l’employeur prouve bien qu’il a rempli son obligation de reclassement lorsque toutes les entreprises du groupe lui ont répondu qu’elles ne pouvaient accueillir le salarié (Cass soc., 23 septembre 2014, n° 13-12.663).

Par contre, tel n’est pas le cas lorsque les courriers adressés aux autres entreprises du groupe l’ont été quelques jours à peine avant le licenciement. Ainsi, une entreprise ne peut pas licencier un salarié pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement le 29 septembre, alors que ces courriers n’ont été adressés que le 22 septembre (Cass soc., 21octobre 2014, n° 13-16.029).

Bulletin rédigé par Me Dominique GAUTHERAT, Avocat
22 avenue de l’Observatoire 75014 Paris