Bulletin JSA – NOVEMBRE 2014

Bulletin rédigé par Maître ROGGERINI

Avocat
56 Bd Gustave Flaubert
63010 CLERMONT FERRAND CEDEX 1


Éditorial

TRAVAILLEURS DÉTACHÉS : UNE LOI POUR METTRE FIN AUX ABUS !

Régulièrement, la presse s’est fait l’écho des dérives constatées dans l’emploi, sur le territoire national, de travailleurs étrangers dits « détachés ». Ce phénomène n’est pas récent, mais il est en constante augmentation et beaucoup dénoncent aujourd’hui les « distorsions de concurrence » qui en découlent.

Si la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est le principe fondateur de l’Union Européenne, très vite, les craintes d’une concurrence déloyale « à bas coût » au détriment de l’emploi, en provenance d’États membres, se sont manifestées.

Pour les apaiser, suite à l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, la directive du 16/12/96, fut adoptée avec pour objectif de concilier ce principe de la liberté de circulation et le respect des droits fondamentaux des salariés.

Lorsqu’une entreprise d’un État membre détache temporairement, dans un autre pays, un de ses salariés, cette directive l’oblige à garantir au travailleur détaché l’application « d’un noyau dur » de règles impératives de droit du travail du pays d’accueil relatives notamment à la durée du travail, aux congés payés, aux salaires minima, aux conditions de travail des femmes et des enfants, ainsi que des mesures visant à la santé, à l’hygiène et à la sécurité au travail.

En revanche, en matière de protection sociale, les salariés détachés restent liés au système de protection sociale de leur pays d’origine. Ces travailleurs et leurs employeurs paient donc toutes leurs contributions sociales dans ce pays.

Dans un contexte d’élargissement de l’Union Européenne, de crise économique et financière en Europe et d’augmentation du chômage, les écarts du coût du travail rendent donc particulièrement attractif le recours à des travailleurs détachés. En conséquence, le phénomène s’est amplifié et les cas révélés de fraude ont souvent été instrumentalisés à des fins politiques.

C’est dans ce contexte que le Parlement européen, le 16 avril 2014, adoptait une nouvelle directive aux fins « de renforcer le texte et de mieux faire la différence entre les réelles situations de détachement et les tentatives visant à contourner la loi ».

Le texte donne également aux États membres davantage de marge de manœuvre dans la mise en œuvre des contrôles. (Directive 2014/67/UE du 15/05/2014).

Anticipant la transposition en droit interne de cette directive, la France a voté le 10/07/2014, la loi N° 2014-790 visant à renforcer les contrôles et les sanctions contre les entreprises qui recourent de manière abusive aux travailleurs détachés.

En premier lieu, le texte instaure le principe d’une obligation renforcée de vigilance, à la charge de l’entreprise donneur d’ordre ou maitre d’ouvrage. Ce dernier est en effet dorénavant tenu de vérifier, auprès de l’employeur étranger, qu’il s’est bien conformé à ses nouvelles obligations de déclaration auprès de l’inspection du travail et de désignation d’un représentant sur le territoire national.

A défaut, et si le prestataire de services n’a pas rempli l’une de ces obligations, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage est passible d’une amende administrative.

L’entreprise qui accueille des salariés détachés sera d’ailleurs tenue d’annexer les déclarations de détachement à son registre unique du personnel.

Deuxième nouveauté : le texte instaure une solidarité financière du donneur d’ordre ou maitre d’ouvrage avec le prestataire.

L’obligation de vigilance et d’injonction, à la charge du donneur d’ordre ou maître d’ouvrage, porte en effet également sur le respect des droits fondamentaux du salarié détaché en matière, par exemple, de durée du travail, congés payés, jours fériés, santé et sécurité, non-discrimination… Ainsi, en cas d’irrégularité, il appartient au donneur d’ordre ou maitre d’ouvrage d’enjoindre le sous-traitant, par écrit, à faire cesser l’infraction et, à défaut de régularisation, de saisir l’Inspection du travail.

Les manquements à ce devoir d’injonction et d’information sont passibles de sanctions qui seront fixées par le décret d’application à paraitre. De plus, dans une telle situation, le donneur d’ordre ou maitre d’ouvrage sera tenu solidairement responsable du paiement des rémunérations, indemnités et charges dues.

La loi s’attache également à ce que le salarié détaché bénéficie de conditions d’hébergement qui ne soient pas « incompatibles avec la condition humaine. » Il fait peser la même obligation d’injonction et d’information en la matière, auprès du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre, qui, en cas de manquement, devra prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés.

Le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage voit également sa responsabilité pénale accrue. Elle pourra dorénavant être engagée, en cas d’infraction du sous-traitant, en tant que complice ou co-auteur.

Les sanctions pénales applicables sont d’ailleurs accrues (aussi bien pour les personnes physiques que les personnes morales).

L’article 8 de la loi prévoit en particulier la création d’une nouvelle peine complémentaire, en cas de délit de travail dissimulé, d’emploi d’étrangers sans titre de travail, de marchandage ou de prêt de main-d’œuvre illicite. En application de ce texte, le juge pourra ordonner, pour une durée maximale de 2 ans, l’inscription sur une « liste noire » publiée sur un site Internet dédié du ministère du Travail, des entreprises et prestataires condamnés.

La juridiction pourra également prononcer contre les personnes morales, une peine d’interdiction de percevoir toute aide publique attribuée par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements, ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public, pour une durée fixée par le jugement correctionnel dans la limite de 5 ans (Code pénal, art. 131-39 12° nouveau).

L’objectif annoncé de cette loi est de mieux encadrer et mieux contrôler le recours aux salariés détachés. On peut toutefois s’interroger sur les capacités de l’Inspection du travail à assurer les contrôles nécessaires et à déjouer les systèmes sophistiqués mis en place par les fraudeurs. L’annonce du ministre du travail François Rabsamen d’affecter 175 agents à cette mission n’est pas de nature à rassurer.

Bien plus, au-delà des cas de fraude, le maintien du régime social du pays d’origine reste en soit un réel avantage pour les entreprises issues de pays où le coût du travail est relativement bas. L’écart constaté entre les taux de cotisations patronales visant un salarié français et celles concernant un salarié détaché permet en effet à lui seul, un gain de compétitivité significatif.

Sans une harmonisation sociale entre les différents pays membres, aujourd’hui illusoire, le détachement devrait encore longtemps rester synonyme d’optimisation sociale, voire de dumping social.

Actualité

CESSION D’ENTREPRISE : DROIT D’INFORMATION DES SALARIÉS

Le décret précisant les modalités d’application du droit d’information préalable des salariés, en cas de cession d’entreprise, a été publié. Ce nouveau droit, issu de la loi Économie sociale et solidaire, votée cet été, est entré en vigueur le 1er novembre 2014.

Le chef d’entreprise, occupant moins de 250 salariés, qui envisage la cession du fonds de commerce ou de la majorité des parts sociales, actions ou valeurs mobilières de son entreprise, a dorénavant l’obligation d’informer, chacun des membres de son personnel, du projet de cession du fonds ou des titres :

– au plus tard lors de la consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, sur le projet, dans les entreprises de 50 à 249 salariés. En l’absence de représentants du personnel constaté par PV de carence, les salariés doivent être informés au plus tard 2 mois avant la cession,

– au plus tard 2 mois avant sa réalisation, dans les entreprises de moins de 50 salariés. La cession peut toutefois intervenir avant l’expiration de ce délai, si chaque salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre de reprise.

Le délai de 2 mois s’apprécie par rapport à la date du transfert de propriété.

En conséquence, pour toute cession conclue après le 1er novembre, le droit d’information des salariés s’applique et le chef d’entreprise peut donc être en infraction avec le texte s’il n’a pas pris soin d’anticiper ses obligations.

La question est d’importance, dans la mesure où le défaut d’information autorise tout salarié à demander l’annulation de la cession.

Le décret prévoit simplement qu’une cession intervenant à l’issue d’une négociation «exclusive contractuelle », c’est-à-dire qui a été décidée et organisée dans le cadre d’un contrat conclu avant le 1er novembre 2014, échappe à cette exigence d’information préalable.

Selon les termes du décret, l’information peut être réalisée par tous moyens :

• Au cours d’une réunion d’information des salariés, à l’issue de laquelle ces derniers signent le registre de présence;

• Par un affichage : la date de réception de l’information est celle apposée par le salarié sur un registre, accompagnée de sa signature attestant qu’il a pris connaissance de cet affichage;

• Par courrier électronique, à la condition que la date de réception puisse être certifiée ;

• Par remise en main propre, contre émargement ou récépissé, d’un document écrit mentionnant les informations requises ;

• Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la date de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire ;

• Par acte extrajudiciaire ;

• Par tout autre moyen de nature à rendre certaine la date de réception.

La loi prévoit également l’obligation pour l’employeur, en dehors de tout projet de cession, d’informer ses salariés au moins une fois tous les 3 ans sur les conditions juridiques de la reprise d’une entreprise par ses salariés, ses avantages et ses difficultés, ainsi que sur les dispositifs d’aide éventuels dont ils peuvent bénéficier.

Les organisations patronales restent mobilisées contre ce texte, et les difficultés pratiques de sa mise en œuvre dans les PME devraient être à l’ordre du jour de la semaine d’action, qu’elles envisagent début décembre.

Jurisprudence

LE RECOURS AU TRAVAIL DE NUIT DOIT RESTER EXCEPTIONNEL

Après avoir considéré que le recours au travail nocturne n’était pas « inhérent à l’activité » du parfumeur et que le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal au sein d’une entreprise », la Cour de cassation retient que le fait pour un employeur de recourir au travail de nuit en violation des dispositions légales constitue un trouble manifestement illicite.

Elle approuve la décision de la Cour d’appel, qui avait ordonné sous astreinte à la société SEPHORA de cesser d’employer les salariés entre 21 heures et 6 heures du matin. Cass. Soc.24 septembre 2014, n° 13- 24.851 FS-PB.

Quelques jours auparavant, dans un arrêt de rejet de la Chambre criminelle rendu le 02/09/2014, la Cour de cassation rappelle que la mise en place du travail de nuit obéit à une réglementation stricte, et que l’activité de commerce alimentaire n’exige pas, pour l’accomplir, de recourir au travail de nuit.

Elle en conclut que la société exploitant un supermarché qui avait fait exécuter par deux salariés une partie de leur travail au-delà de 21 heures, doit être condamnée pour contravention de mise en place illégale de travail de nuit. Cass. Crim. 2 septembre 2014 n°13-83.30.
Bulletin rédigé par Me ROGGERINI, Avocat
56 Bd Gustave Flaubert 63010 Clermont-Ferrand cedex 1