Bulletin JSA – OCTOBRE 2014

Bulletin rédigé par Maîtres Jean-Philippe ECKERT et Maud GIORIA

SCP ECKERT & OHLMANN
3 Avenue de Lattre de Tassigny
57000 METZ


 

Éditorial

LE PROJET DE RÉFORME DE LA JUSTICE PRUD’HOMALE

Dans une communication au Conseil des ministres du 15 octobre 2014, Monsieur Emmanuel MACRON a déclaré qu’ « il est indispensable d’améliorer le fonctionnement de la justice prud’homale, […] qui souffre aujourd’hui de délais de jugement déraisonnables et d’un taux d’appel très excessif. Une concertation va être engagée immédiatement par les ministres concernés […] avec l’ensemble des parties prenantes. Cette concertation, éclairée en particulier par le récent rapport […] Lacabarats, portera sur l’ensemble de la procédure (conciliation,jugement, appel)».

Le lendemain, le ministère de l’Économie et le ministère des Finances ont diffusé une note suggérant des modifications organisationnelles ou procédurales destinées à améliorer le traitement des litiges individuels en droit du travail et à réduire les délais.

En particulier, il leur apparaît souhaitable de rendre plus effective la phase de conciliation et de développer les modes alternatifs de règlement amiable (arbitrage, médiation), qu’ils soient intégrés ou non à la voie judiciaire.

Pourrait également être expérimentée la mise en œuvre de l’échevinage, système prévoyant une composition mixte des juridictions (entre magistrats professionnels et non professionnels, ces derniers élus par leurs pairs).

L’échevinage est la règle, en matière civile, pour les Tribunaux des affaires de sécurité sociale, les Tribunaux du contentieux de l’incapacité et les Tribunaux paritaires des baux ruraux.

Il a existé en Alsace-Moselle jusqu’en 1982 dans les Conseils de Prud’hommes et y subsiste en matière commerciale.

Le rapport Lacabarats, sur lequel devrait s’appuyer la réforme de la justice prud’homale, formule pas moins de 45 propositions dont les plus importantes sont les suivantes :

– revoir la carte des juridictions prud’homales sur la base des bassins de population et d’emploi,
– rendre obligatoire pour les juges prud’homaux une formation initiale et continue, pour partie commune, sous l’égide de l’Ecole Nationale de la Magistrature, avec le concours de l’Ecole Nationale des Greffes,
– exiger du défendeur un effort de communication préalable à l’audience en cas de preuve partagée,
– transformer le bureau de conciliation en bureau de conciliation et d’orientation,
– permettre le renvoi immédiat au juge départiteur, sans passage par le bureau de jugement,
– instaurer une véritable mise en état,
– rendre obligatoire devant la Cour d’appel la représentation par avocat ou par défenseur syndical et adopter une procédure écrite dans les procédures d’appel.

Reste à savoir si, en l’état de ces nombreuses propositions non hiérarchisées, l’arbitrage se fera en faveur des mesures les plus urgentes et les plus efficaces attendues par l’ensemble des acteurs de la justice prud’homale.

L’essentiel de la question de l’efficacité ne relève-t-elle pas, aussi, des dotations financières imparties aux juridictions et à leurs greffes ?

Mais de cela il ne semble pas être question…

Actualité

DISPOSITIF DE PRÉVENTION DE LA PÉNIBILITÉ

Les modalités de mise en œuvre du nouveau dispositif de prévention de la pénibilité, instauré par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, viennent d’être précisées par six décrets datés du 9 octobre 2014 en vue de leur application à compter du 1er janvier 2015.

Ces textes :

– définissent l’exposition aux facteurs de risques professionnels :

Pour chaque travailleur exposé au-delà d’un certain seuil à un ou plusieurs risques professionnels, l’employeur doit consigner dans une fiche individuelle dite de « prévention de la pénibilité », la périodicité ainsi que les mesures de prévention prise pour réduire l’exposition à ces risques.

La liste des dix facteurs de risques professionnels est complétée par la détermination des seuils d’exposition, dont l’appréciation se fonde sur une moyenne calculée sur l’année, au-delà desquels l’établissement d’une fiche individuelle de prévention de la pénibilité est imposé.

Ces dispositions sont applicables à compter du 1er janvier 2015 pour ce qui concerne le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en équipes postées et le travail sous pression hyperbare et à compter du 1er janvier 2016 s’agissant des gestes et postures pénibles, exposition au bruit, agents chimiques dangereux, vibrations mécaniques et températures extrêmes.

L’attention des entreprises doit être attirée sur la fragilité juridique de cette entrée en vigueur différée au 1er janvier 2016 dans la mesure où le pouvoir réglementaire ne peut retenir une date différente de celle de la loi qui l’instaure au 1er janvier 2015.

– organisent l’information du salarié par l’employeur sur ces expositions :

Sont fixées la périodicité annuelle de l’établissement et de la remise de la fiche de prévention des expositions aux facteurs de risques professionnels et l’information de ces expositions par le document unique d’évaluation des risques professionnels.

– encadrent le fonctionnement du compte personnel de prévention de la pénibilité et le contrôle de l’employeur :

Ce compte permet de capitaliser, sous forme de points, les droits acquis par chaque travailleur exposé à des facteurs de pénibilité. Ces points sont convertis de la façon suivante :

• 1 point ouvre droit à 25h de prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation professionnelle continue en vue d’une reconversion permettant au salarié d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé à des facteurs de pénibilité,

• 10 points ouvrent droit à un complément de rémunération dont le montant correspond à la compensation pendant 3 mois d’une réduction du temps de travail égale à un mi-temps,

• 10 points ouvrent droit à un trimestre de majoration de durée d’assurance vieillesse (cette demande d’utilisation peut être formulée à partir de 55 ans).

En cas de désaccord sur le nombre de points acquis, le salarié doit au préalable porter sa réclamation devant l’employeur. En cas de rejet de sa demande, il pourra saisir la CARSAT puis éventuellement le TASS.

Le financement du compte personnel de prévention de la pénibilité repose sur les employeurs et la CARSAT ou la caisse de mutualité sociale agricole dispose d’un pouvoir d’investigation afin de contrôler l’effectivité ou l’ampleur de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ainsi que l’exhaustivité des données déclarées.

– portent sur les accords et plans d’action conclus en faveur de la prévention de la pénibilité :

Le décret n° 2014-1160 du 9 octobre 2014 abaisse le seuil impliquant l’obligation de négocier, initialement fixé dans la loi du 9 novembre 2010 à 50 %, à 25 % de salariés exposés, et modifie le contenu des accords et plans d’action conclus en faveur de la prévention de la pénibilité.

Il est à noter que Monsieur Pierre GATTAZ, Président du MEDEF, a récemment demandé la suppression pure et simple du dispositif pénibilité en indiquant qu’il était « extrêmement anxiogène pour les TPE et les PME » et qu’il viendrait « surenchérir le coût du travail à une époque où l’urgence est de le baisser ».

Jurisprudence

SUCCESSION DE CDD AVEC UN MÊME SALARIÉ SANS DÉLAI DE CARENCE

Le formalisme du CDD revêt un caractère strict, ainsi qu’en témoigne, une fois de plus, un arrêt rendu le 30 septembre 2014 par la Cour de cassation.

Cette affaire (N°13-18.162) concerne une succession de CDD avec un même salarié, sur un même poste de travail : un salarié est engagé en qualité de caissier, du 21 juin au 3 octobre 2010, dans le cadre d’un premier CDD motivé par un accroissement temporaire d’activité, puis d’une succession de contrats pour le remplacement de salariés absents entre le 25 octobre 2010 et le 27 mars 2011.

Il saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification.

Constatant que la société n’avait pas respecté le délai de carence « qu’elle était tenue d’appliquer » entre le terme du premier contrat motivé par un accroissement temporaire d’activité, « lequel ne rentre pas dans le champ d’application de l’article L. 1244-1 du Code du travail ni dans celui de l’article L. 1244-4 du même code », et la conclusion du deuxième contrat passé pour le remplacement d’un salarié absent, la cour d’appel de Montpellier a décidé que « ce deuxième contrat, conclu en méconnaissance des textes susvisés, était, en vertu de l’article L. 1245-1, réputé à durée indéterminée ».

Telle est également la position de la Haute juridiction, qui fait une application littérale des textes restreignant la possibilité de conclure des CDD successifs avec un même salarié : une succession de tels contrats, sans délai de carence, n’est licite, pour un même salarié et un même poste, que si chacun des contrats a été conclu pour l’un des motifs prévus limitativement par l’article L. 1244-4 du Code du travail.

Il convient également de rappeler que la possibilité qui est donnée à l’employeur de conclure avec le même salarié des CDD successifs pour remplacer un ou des salariés absents ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

LA RUPTURE CONVENTIONNELLE, EXCLUSIVE DE LA RUPTURE AMIABLE DU CDI

Dans un arrêt rendu le 15 octobre 2014, la Cour de cassation juge qu’il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1 et L. 1237-11 du Code du travail que « sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par le second, relatif à la rupture conventionnelle » (Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251).

La rupture amiable de l’article 1134 du Code civil ne demeure donc valable que dans les quelques cas autorisés par la loi (rupture du CDD ou du contrat d’apprentissage, départ négocié dans le cadre d’un PSE ou d’un accord collectif de GPEC).

A défaut, la rupture s’analysera en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

DES INFORMATIONS COLLECTÉES PAR UN SYSTÈME DE TRAITEMENT AUTOMATISÉ DES DONNÉES

Constituent un moyen de preuve illicite les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles avant sa déclaration à la CNIL.

C’est le principe posé par la Haute juridiction dans une décision du 8 octobre 2014 (Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-14.991).

La Cour de cassation a depuis longtemps reconnu que les pouvoirs de direction et de gestion du chef d’entreprise l’autorisent à surveiller et à contrôler l’activité exercée par le salarié sur le lieu du travail.

Toutefois, si le système de surveillance comporte l’enregistrement de données personnelles, les salariés et le comité d’entreprise doivent être informés de sa mise en place, et, en principe, une déclaration doit être effectuée auprès de la CNIL.

La Cour avait déjà décidé qu’un système de badges de contrôle des entrées et sorties du personnel, non déclaré à la CNIL, était inopposable à un salarié qui ne pouvait être licencié pour avoir refusé de s’y soumettre (Cass. soc., 6 avr. 2004, n° 01-45.227) ou encore qu’était illicite le recours à un système de surveillance des salariés pour d’autres finalités que celles qui avaient été déclarées auprès de la CNIL et portées à la connaissance des salariés (Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18.036).

Au cas d’espèce, une salariée avait été licenciée pour cause réelle et sérieuse en raison d’une utilisation excessive de la messagerie professionnelle à des fins personnelles.

Un dispositif de contrôle individuel de l’importance et des flux des messageries électroniques avait révélé que l’intéressée avait envoyé et/ou reçu au cours des deux derniers mois plus de 1 200 messages à caractère personnel.

Si le dispositif avait bien été porté préalablement à la connaissance du comité d’entreprise et des salariés, en revanche, la déclaration à la CNIL était intervenue tardivement, après la constatation des faits reprochés à la salariée.

Le caractère inédit de la décision du 8 octobre 2014 tient au fait que l’on était en présence, non d’une absence totale de déclaration, mais d’une déclaration tardive, postérieure aux faits constatés, alors que le procédé n’était ni déloyal, ni clandestin puisque l’intéressée avait eu personnellement connaissance de sa mise en œuvre, ni attentatoire à la vie privée puisqu’il n’autorisait que le contrôle des flux de messageries et non celui du contenu des messages.

Pour autant, la Cour de cassation fait de la déclaration à la CNIL une formalité substantielle dont l’inobservation est lourde de conséquences pour l’employeur.
Bulletin rédigé par Mes Jean-Philippe ECKERT et Maud GIORIA, Avocats
SCP ECKERT & OHLMANN – 3 avenue de Lattre de Tassigny 57000 METZ