Bulletin JSA – JUILLET – AOUT 2014

Bulletin rédigé par Maître Jean-Michel CHARBIT

JURIPOLE
Avocat
7 avenue d’Assas
34000 MONTPELLIER


 

Éditorial

LOI SUR LA PRISE D’ACTE : UNE LOI PRISE A LA VA-VITE ?

Une loi du 1er juillet 2014 (n°2014-743) vient d’être adoptée afin d’accélérer la procédure devant le Conseil de prud’hommes concernant les litiges relatifs aux prises d’acte par les salariés de la rupture de leur contrat de travail aux torts de leur employeur.

Cette intervention du législateur s’explique probablement par le fait que la prise d’acte par un salarié n’ouvre pas droit à indemnisation chômage tant que la juridiction prud’homale n’a pas statué et jugé que celle-ci devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Désormais, ces demandes devront être examinées dans un délai d’un mois suivant la saisine par le Bureau de jugement sans phase de conciliation préalable. (article L. 1451-1 du Code du travail)

Ce texte, qui prévoit donc une procédure accélérée analogue à celle des demandes de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (article L. 1245-2 du Code du travail), pose plusieurs questions.

En premier lieu, comme a pu montrer la pratique en matière de demande requalification des contrats à durée déterminée, ces délais procéduraux ne sont guère réalisables puisque que cela implique que soient accomplies dans le délai d’un mois l’échange des conclusions et des pièces entre les parties, une audience devant le Bureau de jugement et une décision rendue !!

S’il ne peut être reproché au législateur de vouloir accélérer les procédures prud’homales, souvent très longues, il semble que cela relève davantage d’une organisation interne des Conseil de prud’hommes ou par des moyens supplémentaires, mais non pas du législateur, sauf pour celui-ci à adopter des lois réalisables ou en réformant en profondeur la procédure prud’homale.

En second lieu, cette loi pose justement la question de la réduction du périmètre de la phase obligatoire de conciliation, déjà amputée dans quelques domaines.

Il sera rappelé que, outre les demandes de requalification en contrat à durée indéterminée, ne sont également pas soumises au préalable de la conciliation :
– les contestations portant sur le relevé de créances en matière de redressement ou de liquidation judiciaires (article L. 621-128 du Code de commerce),
– les procédures devant la formation de référé ou devant le bureau de jugement statuant en la forme des référés,
– les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail, si elles sont formulées postérieurement à la conciliation ainsi que les demandes reconventionnelles ou en compensation (article R. 1452-7 du Code du travail),
– les demandes réintroduites après une déclaration de caducité de la citation (article R.1454-21 du Code du travail).

Il sera également ajouté qu’échappent à la conciliation :
-toutes autres demandes associées à une demande de requalification, même si elles ne présentent aucun lien (travail dissimulé, heures supplémentaires…), ce qui ne sera pas forcément le cas dans le cadre d’une prise d’acte puisque, par définition, toute demande d’un salarié vient d’un manquement allégué de l’employeur, lequel sera en principe invoqué à l’appui de la prise d’acte,
-les demandes de requalification des conventions de stage en contrat de travail, qui obéissent, depuis une loi du 26 juin 2014, à la même procédure que les demandes de requalification des contrats à durée déterminée et, donc, des prises d’acte.

Cette nouvelle loi sur les prises d’acte marque ainsi une réduction du périmètre de la conciliation. Signifie-t-elle que le législateur entend aller à l’avenir dans ce sens pour généraliser cette suppression de la conciliation ?

En troisième lieu, la question peut se poser de la transposition de cette procédure accélérée aux demandes de résiliation judiciaire, la loi étant muette sur ce point.

Contrairement à la prise d’acte, le contrat n’est en effet pas rompu. Une procédure accélérée permettrait de régler rapidement une relation contractuelle devenue difficile. Le salarié se place très souvent en arrêt maladie ou ne vient plus travailler. L’employeur conserve un salarié avec un risque d’avoir à payer des rappels de salaire jusqu’au prononcé du jugement, s’il omet de le licencier si le salarié ne vient plus travailler sans justifications.

Il semble que les demandes de résiliation judiciaire seraient donc davantage propices à la mise en place d’une procédure accélérée, à supposer que cela soit réalisable.

En définitive, cette loi pose davantage de questions qu’elle n’en règle, ce qui est pourtant l’objectif d’une loi…

Actualité

RUPTURE DE LA PÉRIODE D’ESSAI : PRÉCISIONS SUR NON-RESPECT DU DÉLAI DE PRÉVENANCE

Depuis la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, l’employeur qui souhaite mettre un terme à la période d’essai doit respecter les délais de prévenance suivants :
• 24 heures en deçà de huit jours de présence effective,
• 48 heures entre huit jours et un mois de présence,
• deux semaines entre un mois et trois mois de présence,
• un mois après trois mois de présence. (article L. 1221-25 du Code du travail)

Si le texte précise que le délai de prévenance de l’employeur ne doit pas avoir pour effet de prolonger la période d’essai, renouvellement inclus, au-delà des durées maximales des périodes d’essai prévues par le Code du travail ou les conventions collectives, la loi du 25 juin 2008 n’avait pas prévu de sanction en cas de violation de ce délai de prévenance.

Deux courants de jurisprudence sont apparus :
• considérer que cette violation ouvre droit à une indemnité compensatrice de préavis, soumise aux charges sociales et ouvrant droit à congés (CA Amiens, 5e ch., sect. soc., cabinet B, 13 oct. 2010, n°10/00613),
• considérer que cette violation justifie l’attribution de dommages-intérêts correspondant à la partie non respectée du délai. (CA Bordeaux, ch.soc., sect. B, 21 oct. 2010,n°09/06360)

L’ordonnance n°2014-699 du 26 juin 2014 est venue trancher cette question en disposant que le non-respect de ce délai ouvrait droit pour le salarié à une indemnité compensatrice égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçues s’il avait accompli son travail pendant ce délai, indemnité compensatrice de congés comprise (art. L. 1221-25 complété).

RENFORCEMENT DES DROITS DES STAGIAIRES

Les parlementaires ont adopté le 26 juin 2014 une loi encadrant les stages et améliorant les droits des stagiaires.

Les parlementaires ont adopté le 26 juin 2014 une loi encadrant les stages et améliorant les droits des stagiaires.

Parmi les mesures :
• Le renforcement des mesures pédagogiques avec la désignation d’un référent dans l’entreprise d’accueil et au sein de l’établissement de formation,
• La limitation des recours aux stages pour les entreprises : limitation du nombre de stagiaires et limitation des stagiaires par référent, limitations qui seront précisées par décret à venir, durée effective maximale de 6 mois (sans dérogation possible mais avec une période transitoire de 2 ans), suppression du registre des conventions de stage et inclusion dans une partie spécifique du registre unique du personnel,
• Des nouveaux droits pour les stagiaires :
– accès au restaurant d’entreprise,
– bénéfice des titres restaurant accordés aux salariés,
– gratification obligatoire (pour les stages supérieurs à 2 mois) égale à 15% du plafond horaire de la sécurité sociale (à partir du 1er septembre 2015), contre 12,5% actuellement,
soit pour 2014 : 523,26 euros par mois,
– prise en charge des frais de transports dans les mêmes conditions que pour les salariés,
– création de congés : en cas de grossesse, de maternité, de paternité ou d’adoption dans les mêmes conditions que pour les salariés,
– possibilité de validation de la formation en cas d’interruption du stage pour maladie, accident, grossesse, maternité, adoption, paternité ou rupture à l’initiative de l’entreprise,
– application des durées maximales quotidiennes, hebdomadaires et de présence de nuit ainsi que des repos quotidiens, hebdomadaires et jours fériés applicables aux salariés,
• Soumission au contrôle de l’Inspection du travail (pouvoir d’information du stagiaire, des représentants du personnel ou de l’établissement de formation et pouvoir d’amende administrative),
• Contentieux : la procédure accélérée en requalification en contrat de travail devant le Conseil de prud’hommes ainsi que la possibilité d’appeler en cause l’entreprise ainsi que sa condamnation en cas de faute inexcusable de l’établissement de formation.

Jurisprudence

PRISE D’ACTE ET RÉSILIATION JUDICIAIRE : LA COUR DE CASSATION MAINTIENT SON CHANGEMENT DE CAP

Après les arrêts rendus le 26 mars 2014, dans lesquels la Cour de cassation estimait que le ou les manquements de l’employeur devaient non seulement être suffisamment graves mais également et désormais empêcher la poursuite du contrat de travail (Soc., 26 mars 2014, n°12-23.634 ; Soc., 12-21.372 et 12-35.040), la Cour de cassation a maintenu, en matière de modification de la structure de la rémunération, son cap en confirmant ce second critère, proche de celui retenu pour la faute grave, en ne s’attachant donc plus à la nature même du manquement. (Cass. soc., 2 avr. 2014, n° 13-11.187)

Récemment, la Cour de cassation a estimé, dans deux affaires dans lesquelles les salariés avaient demandé la résiliation judiciaire de leur contrat en raison d’une modification de leur rémunération, qu’une telle modification du contrat ne peut justifier la résiliation du contrat aux torts de l’employeur que si cette modification a une influence défavorable sur la rémunération ou si elle concerne une partie importante de cette dernière.

Ces décisions, transposables à la prise d’acte, confirment l’infléchissement de la jurisprudence de la Cour de cassation qui ne considère plus systématiquement qu’une modification du contrat imposée par l’employeur constitue un manquement à ses obligations justifiant la résiliation du contrat à ses torts ou une prise d’acte. (Cass. soc., 12 juin 2014, n° 13-11.448, n° 1173 FS – P + B. – Cass. soc., 12 juin 2014, n° 12-29.063, n° 1167 FS – P + B)

AFFAIRE BABY LOUP : LE VOILE EST LEVÉ

Suite et fin de l’affaire très médiatique de la crèche Baby Loup concernant une salariée refusant d’enlever son voile islamique intégral et licenciée pour faute grave au nom de la neutralité religieuse du personnel de la crèche figurant dans le règlement intérieur.

La Cour de cassation avait dans un premier temps annulé le licenciement (Soc., 19 mars 2013, n°11-28.845) en rappelant que le principe de laïcité était applicable uniquement aux salariés des employeurs de droit privé gérant un service public, ce qui n’était pas le cas d’une crèche.

Lors du renvoi devant la Cour d’appel de Paris, cette dernière a estimé que l’Association est une entreprise de conviction, qui pouvait donc prévoir une neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches emportant l’interdiction de tout signe ostentatoire de religion. La formulation de l’obligation de neutralité dans le règlement intérieur étant suffisamment précise, elle a considéré le licenciement pour faute grave justifié. (CA Paris, 27 nov. 2013, n°13/02981).

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en estimant justifié le licenciement pour faute grave considérant que, même si l’Association n’est pas une entreprise de conviction, la limitation à la liberté religieuse prévue dans le règlement intérieur, qui doit être appréciée concrètement au vu des conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, était suffisamment précise (Cass.ass. plén., 25 juin 2014,n°13-28.369).

Si le litige est terminé au niveau national, la salariée pourrait porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Bulletin rédigé par Maître Jean-Michel CHARBIT, Avocat
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