Bulletin JSA – Avril 2014

Bulletin rédigé par Maître Philippe GROS et Sandrine FREYSSON et Anne-Gaëlle RUFFIER

Avocats au Barreau de LYON
Juriste CEFIDES
20 boulevard Eugène Deruelle
69003 LYON


Éditorial

LE GLISSEMENT ET L’OBLIGATION DE RECLASSEMENT VERS UNE OBLIGATION D’EMPLOI

La notion de reclassement apparaît dans le Code du travail notamment dans les articles relatifs au licenciement pour motif économique (article L12334) ainsi que dans ceux relatifs au licenciement pour inaptitude physique, qu’elle soit d’origine professionnelle (L1226-10) ou non (L1226-2).

La jurisprudence tisse une toile du reclassement de plus en plus étendue, sans pour autant donner beaucoup d’indices pratiques efficaces permettant de définir son périmètre.

En matière d’inaptitude physique suite à maladie professionnelle ou accident du travail, la Cour de cassation pose en règle depuis longtemps que :
« La recherche de possibilité de reclassement doit s’apprécier à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur concerné parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel » (Chambre sociale 24 octobre 1995, n°94-40.188 RJS 12.95 n°1240).

En matière d’inaptitude physique suite à maladie simple, la Cour de cassation, dès 1998, nous indique que la recherche de reclassement doit s’apprécier :
« À l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la mutation de tout ou partie du personnel » (Chambre sociale 19 mai 1998, RJS 1998.548, n° 846).

Il ne s’agit donc plus de la notion de groupe comme elle peut s’entendre en droit des sociétés. Il s’agit finalement d’un « lieu » indéfini, où la permutation du personnel est possible. C’est sur ce principe que la jurisprudence a été amenée à étendre l’obligation de reclassement à des entreprises sans lien juridique entres elles, par exemple celles relevant d’un réseau de franchise.

MAIS COMMENT DÉTERMINER CE LIEU DE PERMUTABILITÉ ?

Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, l’argument de l’indépendance juridique des parties invoqué par l’employeur ne permet pas, à lui seul, de faire échapper le franchisé à son obligation de reclassement dans le réseau (25 niai 2011, X cl Domael, pourvoi n°10-14897). Dans cette affaire il s’agissait d’un franchisé de la société Atac qui n’avait pas fait de recherche de reclassement au sein du réseau de franchise.

Dans un groupe, au sens du Code de commerce ou au sens des comités de groupe, nous pouvons aisément comprendre que cette obligation de reclassement s’examine au sein de l’ensemble des sociétés faisant partie de ce groupe, les sociétés étant liées capitalistiquement, ayant des dirigeants communs et certaines activités étant identiques.

Or pour les employeurs membres d’un réseau de distribution, certes les emplois sont souvent identiques, offrant en cela une certaine employabilité,mais ils sont majoritairement indépendants les uns des autres, dans leur gestion, dans leur fonctionnement, et dans leur prise de décision.

Les Cours d’appel après avoir un temps hésité abondent désormais dans ce sens, et vont loin dans cette acception du lieu du reclassement.

La Cour d’appel de Lyon a reproché à un franchisé Century 21 de ne pas avoir élargi le périmètre de reclassement aux autres membres du réseau de franchisés, sans fixer pour autant de limite spatiale (Cour d’appel de Lyon 5 juillet 2012 Maillard c/ Immobilière des Gaules RG F08103783).

La Cour d’appel de Nîmes a également reproché à un franchisé Casino d’avoir limité son périmètre de reclassement aux hypermarchés Géant casino de la région Languedoc Roussillon. (Chambre sociale 4 décembre 2011 Thiriot c/ Serca RG 11/01877), tout comme la Cour d’appel de Douai, qui considère : « Que les entreprises du groupement Intermarché sont liées par des intérêts communs relevant du sort de l’enseigne dont la bonne image rejaillit sur leur propre exploitation; elles entretiennent des relations étroites, notamment par l’intermédiaire de la société qui leur consent la franchise.
Leur communauté d’organisation, d’objectifs, d’approvisionnement, de politique commerciale assure entre ces différentes entités la permutabilité de leur personnel ».(Cour d’appel de Douai, 5 mars 2010, Forgez c/ SNC ITM alimentaire Nord, RG 11/03337).

Quant à la Cour d’appel de Toulouse, elle va jusqu’à affirmer, dans un arrêt du 5 août 2013 (Dinten c/ Christel RG 12/04546), que nous espérons purement topique, que « le groupe de reclassement peut être indépendant des relations capitalistiques existant entre certaines sociétés, et les possibilités de permutations peuvent résulter de simples relations de partenariat entre différentes entreprises.»

Cette même Cour avait pourtant affirmé quelques mois plus tôt que : « Les sociétés exploitant un magasin sous l’enseigne Leclerc constituaient des activités juridiquement et économiquement autonomes et qu’il n’y avait pas de permutation possible de personnel entre les différentes sociétés ».

QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CES ARRÊTS ?

Que, par définition, les parties liées par un réseau de distribution constituent automatiquement un « groupe de reclassement », peu important le lien juridique entre elles ou leur indépendance, ou que ce réseau peut constituer un groupe de reclassement dès lors que la permutabilité est possible, notamment par la proximité des lieux potentiels du reclassement ?

Si nous voulons réellement que le reclassement soit efficace, c’est cette deuxième branche de l’alternative qu’il conviendrait à notre sens de retenir, et de faire valoir, encore aujourd’hui, devant les juridictions.

Si la Cour de cassation semble avoir une position ferme et tranchée, nous pouvons regretter qu’elle abandonne tout travail de qualification de la permutation en posant comme principe qu’un réseau de franchises constitue inévitablement un groupe de reclassement.

Cette extension du périmètre signifie t-elle, sur le plan pratique, que l’employeur membre d’un réseau de distribution doit demander à l’ensemble des autres membres du réseau, si un poste est disponible et ce sur le territoire national ?

Comment va-t-il les connaître tous ?

Comment peut-il avoir connaissance de l’ensemble de ses partenaires?

Ces positions jurisprudentielles sont irréalistes.

A suivre la jurisprudence majoritaire, oublier un seul membre du réseau rendra le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Maintenir cette acception du périmètre de reclassement, c’est aller à la condamnation systématique de l’employeur, quoi qu’il fasse, ou quoi qu’Il ne fasse pas.

Et puis, il conviendrait également de ne pas oublier la situation du salarié. Certes, il n’est pas responsable de son inaptitude ou de la situation économique de l’entreprise, il la subit ; mais est-ce vraiment sérieux de proposer un poste de caissière ou de secrétaire à Marseille, Lille ou Brest, à un salarié habitant la Corrèze, surtout lorsqu’on connaît le peu d’appétit des salariés licenciés pour un travail hors de leur zone d’activité, souvent plus réduite que le bassin d’emploi ?

Rappelons-nous ce qui s’est passé pour les licenciements en matière économique, et où a conduit le «jusqu’auboutisme» de la Cour de cassation qui, avant la loi du 18 mai 2010, imposait aux employeurs de proposer à leurs salariés des postes exotiques dans les pays de l’Est, en Asie ou en Afrique, à des salaires totalement irréalistes, puisque ceux du pays d’accueil. Il a fallu que le législateur intervienne pour mettre fin à cette position maximaliste de la Cour de cassation qu’aucun fondement juridique ne lui autorisait : la loi du 18 mai 2010 a imposé le questionnement préalable des salariés. C’est l’objet de l’article L1233-4-1 du Code du travail. Monsieur Alain Lacabarats, Président de chambre à la Cour de cassation, écrit que : «Le législateur conserve cependant toujours le pouvoir de contredire la jurisprudence et d’adopter les dispositions qu’il estime indispensables à la réalisation des objectifs qu’il poursuit. » (Semaine sociale Lamy n°1598 du 23 septembre 2013).

N’est-il pas quelque peu étonnant que les acteurs du pouvoir judiciaire, après avoir pris quelques libertés avec des textes, demandent au législateur d’intervenir ?

Ne sommes-nous pas en train de nous rapprocher de cette situation avec cet élargissement du périmètre de reclassement au réseau de distribution ?

En sommes-nous encore à ce stade où la sacro-sainte obligation de reclassement prime sur tout, tellement irréaliste dans notre contexte, qu’elle équivaut à condamner d’avance l’entreprise dans ce type de licenciement, l’obligation de reclassement se muant finalement en obligation d’emploi ?

Actualité

RÉFORME DE LA PRÉVOYANCE . LES PROCHAINES ÉCHÉANCES

PRINCIPE : les cotisations patronales aux régimes de Prévoyance et Frais de Santé sont exonérées de charges sociales, dans la limite de plafonds, sous conditions de forme et de fond (L242- 1 Code de la sécurité sociale 6ème alinéa). Ces conditions seront examinées de façon stricte et exhaustive dans le cadre d’un contrôle URSSAF. L’enjeu est de taille, puisque l’absence ou le non-respect d’une seule de ces conditions peut conduire à réintégrer dans l’assiette des cotisations sociales l’intégralité des cotisations patronales versées au bénéfice de tout le personnel.

Rappels : conditions d’exonération.
Le régime de Prévoyance et/ ou Frais de Santé mis en place doit :
1.être collectif (voir Bulletin JSA avril 2012)
2.être obligatoire (voir Bulletin JSA avril 2012)
3. être mis en place selon un formalisme encadré (convention ou accord collectif, accord rallié, décision uni-latérale)
4.ne pas se substituer à un élément de rémunération
5.être géré par un organisme agréé (Institution de Prévoyance, Mutuelle, Entreprise d’assurance)
6.prévoir une participation effective et significative de l’employeur
7.Frais de santé : des contrats dits «responsables» proposés par votre assureur.

Nous avions déjà été amenés à commenter, dans le bulletin JSA d’avril 2012, les dispositions du décret du 9 janvier 2012 relatives au caractère collectif et obligatoire des régimes de Prévoyance complémentaire.

La Loi de sécurisation de, l’emploi du 14 juin 2013 a apporté de son côté quelques aménagements, selon un calendrier par étapes. La première échéance approche – à grands pas ….

Il ne nous a pas semblé inutile de rappeler ici les prochaines échéances en la matière :

1″ juin 2014 :
FRAIS DE SANTÉ : portabilité portée à 12 mois maximum (au lieu de 9) – financement mutualisé financé par les actifs)
CERTIFICAT DE TRAVAIL: doit mentionner impérativement le rappel de la portabilité de la Garantie FRAIS DE SANTÉ et les coordonnées de l’organisme assureur.

30 juin 2014 :
Mise en conformité des régimes de prévoyance au regard du décret du 9/112012: tous les régimes existant dans les entreprises devront répondre aux conditions légales et réglementaires, notamment au regard du caractère collectif et obligatoire du régime.

1er juillet 2014 (jusqu’au 31/12/2015) :
Dans les entreprises non couvertes par un accord de Branche le prévoyant, et n’ayant pas mis en place de régime Frais de Santé généralisé, début des négociations obligatoires pour la mise en place d’un tel régime.

1er juin 2015 :
PRÉVOYANCE : portabilité portée à 12 mois maximum (au lieu de 9) – financement mutualisé (=financé par les actifs)
CERTIFICAT DE TRAVAIL: doit mentionner impérativement le rappel de la portabilité des Garanties de PRÉVOYANCE et les cordonnées de l’organisme.

1er janvier 2016 :
GENERALISATION DE LA PRÉVOYANCE : ouverture des négociations de branche.

1er juin 2016 :
GENERALISATION DE LA GARANTIE FRAIS DE SANTÉ POUR TOUTES LES ENTREPRISES
Celles qui, à cette date, n’ont pas mis en place un régime obligatoire pour l’ensemble de leurs salariés, et qui ne sont couvertes ni par un accord de Branche, ni par un accord d’Entreprise, devront en tout état de cause le mettre en place, de manière unilatérale.
* L’employeur devra prendre en charge au moins 50% du financement de ces garanties *Avec un socle minimal de garanties, imposé par décret à paraître

Actualité législative

LA REFORME DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

(Loi n°2014-288 du 5/03/14)

Le Parlement a adopté le 27 février 2014 la loi sur la formation professionnelle. Cette loi a fait l’objet d’une parution au JO du 6 mars 2014.

Cette loi comporte plusieurs volets portant notamment sur le Compte Personnel de Formation (voir bulletin JSA de mars 2014), sur le dialogue social, sur la facilitation de l’accès à la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), sur l’apprentissage, mais aussi un volet sur la démocratie sociale (élections professionnelles, mandats syn-dicaux, représentation patronale, etc..).

Nous nous attarderons dans le présent bulletin sur deux points annexes d’application immédiate:
•La suspension temporaire de la durée minimum légale pour les temps partiels,
•Le contrat de génération.

1°) LE TEMPS PARTIEL

La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a imposé que les contrats de travail à temps partiel, conclus à compter du 1er janvier 2014, comportent une durée minimale hebdomadaire de travail de 24 heures. Cette même loi prévoyait toutefois qu’une convention ou un accord de branche étendu pouvait fixer une durée inférieure. De nombreuses branches professionnelles n’ayant pas encore abouti à un accord, le Gouvernement a entendu suspendre la date d’application de cette obligation.

La loi du 05/03/14 a ainsi suspendu, du 22/01/14 (date de dépôt du projet de loi) au 30/06/14, la mise en œuvre de cette obligation. Le temps partiel répond désormais à une réglementation à trois vitesses :

1/ Pour les contrats conclus avant le 1er janvier 2014, cette règle sera applicable au 01/01/16 (sauf demande du salarié et absence de refus de l’employeur motivé uniquement par des contraintes économiques ou sous réserve de certaines conventions collectives qui prévoyaient déjà une durée minimale de travail, telle la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire).

2/ Pour les contrats conclus entre le 01/01/14 et le 21/01/14 et à partir du 1er juillet 2014, la durée minimale de 24h s’applique (sauf accord de branche prévoyant une autre durée minimale ou demande du salarié motivée par des contraintes personnelles ou en raison d’un cumul d’emploi).

3/ Pour les contrats conclus entre le 22/01/14 et le 30/06/14, pas de durée minimale légale à respecter (sauf accord de branche prévoyant une durée minimale). Toutefois, ces contrats devront respecter la durée minimale légale dès le 01/07/14 (sauf accord de branche, prévoyant une durée minimale ou demande du salarié). La pression est désormais mise sur les branches professionnelles

2°) LE CONTRAT DE GÉNÉRATION

A compter du 7 mars 2014, le bénéfice de l’aide financière pour les entreprises de 50 à 300 salariés ou appartenant à un groupe de 50 à 300 salariés, n’est plus conditionné par l’obligation d’être couvert,par un accord ou un plan d’action d’entreprise ou par un accord de branche étendu sur le contrat de génération. Ces entreprises peuvent désormais bénéficier directement des aides financières (au même titre que les entreprises de moins de 50 salariés). Toutefois cette mesure, qui pouvait sembler généreuse, n’est pas sans contrepartie.

En effet, la loi du 05/03/14 durcit le dispositif en instaurant, pour ces mêmes entreprises, l’obligation d’être couvertes par un accord ou un plan d’action d’entreprise ou un accord de branche, qu’elles bénéficient ou non de l’aide financière. Ces entreprises subiront les pénalités applicables aux entreprises de plus de 300 salariés (pénalité pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale ou 10% de la réduction Fillon) si elles ne sont pas couvertes par un tel accord ou un tel plan d’ici le 31 mars 2015.
Bulletin rédigé par Philippe GROS et Sandrine FREYSSON, Avocats au Barreau de Lyon et Anne-Gaélle RUFFIER, Juriste CEFIDES
20 Boulevard Eugène Deruelle 69003 LYON