Bulletin JSA – Février 2014

Bulletin rédigé par Maître Yves BOULES
Cabinet SOCIAL-JURISTE
22 Place Bellecour
69002 LYON

ÉDITORIAL

PROTOCOLE DE RUPTURE CONVENTIONNELLE:VERS UNE SÉCURISATION ACCRUE

D’aucuns pouvaient être réservés quant au bien-fondé de la mise en place de ce mode de rupture d’un troisième type, eu égard au contexte particulièrement difficile de l’emploi en France, le commun accord des parties pour se séparer suffisant à faire figurer le salarié au rang des chômeurs indemnisés.

A ce jour, sauf improbable retour législatif, la source n’est pas prête de se tarir.

En effet, à l’étude de quatre arrêts récents de la Cour de cassation, il apparaît plus que compromis pour un salarié de remettre en cause la validité de la rupture conventionnelle à laquelle il a consenti.

Dans un passé pas si lointain,la doctrine et les juridictions du fond étaient divisées lorsqu’était constaté, au moment de la conclusion du PRC (Protocole de Rupture Conventionnelle), un différend entre les parties au contrat de travail.

La référence était la position de la Cour de cassation retenue dans le cadre de l’ancienne rupture amiable (article 1134 du Code civil), ayant jugé qu’un accord de résiliation amiable conclu avec un salarié quelques jours après son entretien préalable au licenciement, dans un contexte conflictuel, ne pouvait être valable.

Transposée purement et simplement, cette jurisprudence aurait mis en péril le dispositif de la rupture conventionnelle homologuée qui, dans la plupart des cas, intervient alors que les parties ne parviennent plus à s’accorder sur la poursuite des relatons contractuelles, en raison de difficultés persistantes dans l’exécution du contrat.

Pour autant, certaines Cours d’appel (Montpellier, Aix en Provence ou Pau) ont rappelé qu’aucune disposition, ni même les débats parlementaires, précédant la promulgation de la loi du 25 juin 2008, n’interdisaient le recours à la rupture conventionnelle en cas de litige opposant les parties antérieurement à la signature.

Dans le même temps, les Cours d’appel d’Agen ou de Rennes exigeaient au contraire que le consentement du salarié soit donné en dehors de l’existence de tout conflit préexistant.

Il y a quelques mois déjà, la Cour de cassation a pris position sur cette question pour affirmer que l’existence, au moment de la conclusion du PRC, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affectait pas la validité de la convention de rupture, en application de l’1237-11 du Code du travail (Cassation sociale 23 mai 2013 n512-13.865).

Ce premier pas d’importance vient d’être suivi d’autres en-jambées significatives selon trois arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 29 janvier 2013.

Trois salariés avaient tenté de tirer parti de [‘inobservation par l’employeur de diverses formalités pour remettre en cause la rupture conventionnelle homologuée.

– Dans le premier cas d’espèce, les dispositions du Code du travail sur le PRC prévoient qu’au cours du ou des entretiens de négociations préalables, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller extérieur inscrit sur une liste dressée par l’autorité administrative en l’absence de représentant du personnel au sein de la société.

Le salarié prétendait que, faute d’avoir été préalablement informé par l’employeur sur la possibilité de ces assistances, la convention devait être annulée.

Dans ce premier arrêt, la Cour de cassation n’entend pas attacher à cette formalité les effets escomptés par le demandeur.

Elle a précisé que ce défaut d’informations sur une possibilité d’assistance ne viciait pas le consentement et ne pouvait donc entraîner la nullité de la convention de rupture.

– La deuxième espèce était de même nature, le salarié reprochant à son employeur de ne pas l’avoir informé de la possibilité qu’il avait de prendre contact avec Pôle-Emploi afin d’envisager la suite de son parcours professionnel.

Pour la Cour de cassation, il ne s’agit aucunement d’une formalité substantielle dont le non-respect pourrait entraîner un vice de consentement susceptible d’affecter la validité de la convention de rupture homologuée.

Ces deux décisions sont logiques puisque ni la loi ni les textes d’application n’imposent de formalisme particulier aux entretiens préparatoires, aucune disposition ne fixe les modalités d’une éventuelle convention et donc de son contenu, pas plus que la date, l’heure et le lieu de l’entretien.

Faute d’un formalisme quelconque, le salarié sera de toute façon bien en peine de démontrer que son employeur ne lui a pas délivré les informations nécessaires.

– La troisième espèce portait sur une mauvaise appréciation dans le protocole de la date d’expiration du délai de rétractation.

Même si celui-ci était trop court, l’employeur avait adressé la demande d’homologation dans un délai supérieur au délai de rétractation légal.

En conséquence, l’erreur de plume n’avait pas eu pour effet de vicier le consentement, ou de priver le salarié de la possibilité d’exercer son droit à rétractation, et la convention est validée. (Cassation sociale 29.01.2014, numéros 12-27.594, 12-25.951 et 12- 24.539)

Cette sécurisation accrue est appréciable, permettant de s’écarter quelque peu du principe de précaution, caractéristique pourtant élémentaire du devoir de conseil. En effet, en pratique, pourquoi faire compliqué si l’on peut faire simple ?

Même si la Cour de cassation apporte de nouveaux éclairages intéressants, pourquoi convoquer formellement lorsque ce n’est pas nécessaire ? Pourquoi, sauf circonstances exceptionnelles qui le mériteraient, établir des protocoles annexes au FAC dont le contenu peut être piégeux ? Puisque l’administration a eu le bon goût d’établir un imprimé type CERFA, seul document à transmettre aux fins d’homologation, il convient de se limiter à cette formalité, en le remplissant de façon extrêmement précise, y compris en faisant état d’un ou plusieurs entretiens, quand bien même ceux-ci ne seraient pas assortis de convocations écrites.

Actualités

MESURES DE SIMPLIFICATION

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 annonce quelques mesures de simplification. Gageons que le chef d’entreprise ne subira pas le « choc » annoncé, qu’aurait pu lui procurer, un dépouillement du Code du travail!

Parmi celles-ci :

– La déclaration sociale nominative (DSN) qui vise à remplacer les déclarations sociales issues de la paie par une déclaration unique et qui doit être généralisée au 1er janvier 2016. Seront concernées les entreprises dont le montant annuel de cotisations sociales dépasse un plafond qui devrait être fixé à 50.000 euros.

– Le seuil en dessous duquel la déclaration préalable à l’embauche (DPAE) doit être réalisée par voie électronique sera abaissé, sachant que jusqu’à ce jour la voie dématérialisée n’existait que pour les entreprises ayant effectué plus de 500 DPAE au cours de l’année civile ; ce seuil devra être ramené à 50.

– Enfin les cotisations et contributions sociales versées par les employeurs auprès des URSSAF doivent être déclarées et acquittées par voie dématérialisée lorsque le montant des cotisations de l’employeur redevable dépasse 50.000 euros au cours de l’année civile précédente. Ce seul devrait être abaissé par voie réglementaire à 35.000 euros à compter du 1er janvier 2014, et 20.000 euros à compter du 1er janvier 2015.

Pour que cette simplification soit réellement effective, l’absence de déclaration dématérialisée sera naturellement sanctionnée.

Jurisprudence

LE MÉDECIN DU TRAVAIL : JURISTE MALGRÉ LUI

En complément d’un éditorial récent où il est question de l’indignation légitime pour bon nombre de chefs d’entreprises face aux carences des SST (Services de Santé du Travail), trop souvent incapables de répondre à leurs obligations, et ne permettant pas en conséquence à l’employeur de respecter les siennes, la Cour de cassation confirme une jurisprudence jusque-là embryonnaire, jugeant les SST responsables, condamnations à l’appui.

Il est rappelé en effet qu’au titre de son obligation de sécurité de résultat, l’employeur est garant de la réalisation effective des visites médicales obligatoires à différents stades de la relation contractuelle avec son salarié (embauche, suivi médical, visite de reprise, etc…).

Ainsi, lorsque le plus souvent faute d’effectif suffisant (excuse avancée), la médecine du travail n’est pas à même de fixer un rendez-vous obligatoire dans des délais qui le sont tout autant, les juges du fond et la Cour de cassation retiennent désormais pour caractériser Je préjudice de l’entreprise, qu’en cas d’absence de suivi médical obligatoire, l’employeur qui n’est pas en mesure de satisfaire aux exigences que lui impose le Code du travail, est potentiellement passible d’une condamnation pénale.

De même, l’employeur peut être dans l’impossibilité de mettre en oeuvre de façon effective son obligation de sécurité de résultat du fait d’une carence par la SST dans l’exercice de sa mission (action de prévention notamment, faute d’information déterminante en provenance du SST).

Bref, l’employeur condamné subit nécessairement un préjudice, dont il peut obtenir désormais réparation.

La Cour de cassation, dans un arrêt de la première Chambre civile du 19 décembre 2013, a certes limité les dommages et intérêts au montant de la cotisation annuelle due par l’entreprise adhérente. (Cassation sociale 19.12.2013, n° 12- 25.056 FS-PBI)

Mais, toute entreprise peut obtenir un montant plus élevé en cas de démonstration d’un préjudice significatif.

Ainsi, en 2012, la Chambre sociale de la Cour de cassation a retenu la responsabilité du SST et l’a condamné au montant des dommages et intérêts que l’employeur avait dû verser pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison du non-respect du délai légal de 15 jours devant séparer les deux examens nécessaires au constat de l’inaptitude du salarié.

A quand une jurisprudence, de même nature face aux nombreuses rédactions maladroites, approximatives, et souvent peu significatives des médecins du travail sur les constats d’inaptitude délivrés ?

UNE MISE À PIED CONSERVATOIRE PEUT EN CACHER UNE AUTRE

La mise à pied conservatoire n’est pas une sanction, mais une mesure provisoire comme son nom l’indique prise par l’employeur dans l’attente de celle-ci, le plus souvent dans la perspective d’un licenciement pour faute grave.

Ceci permet, lorsque le comportement du salarié ou la situation créée est si grave, d’écarter celui-ci de l’entreprise pendant le temps nécessaire et indispensable à la conduite de la procédure (envoi de la convocation, entretien préalable et délai de réflexion avant notification de la rupture).

Ce n’est que lorsque l’essai est transformé, c’est-à-dire que le licenciement, après délai de réflexion légal, intervient bien pour faute grave, que le non-paiement du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire est justifié.

En revanche, si le licenciement intervient seulement pour une cause dite réelle et sérieuse, par opposition à la faute grave, l’employeur doit impérativement verser le salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire.

Si tel n’est pas le cas, de nombreuses décisions passées ont pu conduire à juste titre à condamner l’employeur au paiement de cette somme. Mais en réalité au vu d’un arrêt récent de la Cour de cassation du 18 décembre 2013, les conséquences sont désormais toutes autres et beaucoup plus lourdes : là Cour de cassation précise que la mise à pied non rémunérée et non suivie par un licenciement pour faute grave ou lourde, s’analyse nécessairement en une sanction disciplinaire, et ne peut donc plus être qualifiée de mise à pied conservatoire.

Par voie de conséquence, le licenciement consécutif à cette mise à pied doit être jugé sans cause réelle et sérieuse, faute pour l’employeur, dont le pouvoir disciplinaire a été épuisé du fait de la mise à pied, de pouvoir sanctionner le salarié deux fois pour les mêmes faits. (Cassation sociale 18 décembre 2013 n° 12-18.548 F-D)
Bulletin rédigé par Maître Yves BOULEZ, Avocat en droit social, Cabinet SOCIAL JURISTE
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