Bulletin JSA – Décembre 2013
Bulletin rédigé par Maître Patrick CHAVET
AVOXA
Département Droit Social
5 allée Ermengarde d’Anjou
CS 40824
35108 RENNES CEDEX 3
Éditorial
SANTÉ AU TRAVAIL : ET SI L’ESSENTIEL ÉTAIT AILLEURS ?
A une époque où beaucoup d’entreprises s’indignent de ce que les Services de Santé au Travail-SST sont trop souvent incapables de répondre à leurs obligations, le Conseil d’Etat en rajoute en prononçant l’annulation partielle du décret simple n° 2012-137 du 30 janvier 2012, pris en application de la loi du 20 juillet 2011 portant réforme de l’organisation de la médecine du travail- CE 17 juillet 2013 n°358109 JO 24 juillet 2013.
Suivant l’article L 4624-4 du Code du travail (issu de la loi du 20 juillet 2011) : «— des décrets en Conseil d’État précisent les modalités d’action des personnels concourant aux services de santé au travail —».
Dans sa décision du 17 juillet 2013, le Conseil d’Etat juge que les articles du décret du 30 janvier 2012 relatifs :
• à l’établissement par le médecin du travail d’une fiche d’entreprise ou d’établissement,
• au rapport annuel d’activité du médecin du travail,
• au dossier médical en santé au travail,
ont pour objet de préciser les modalités d’action des personnels concourant aux services de santé au travail. Par conséquent, ces modalités d’action auraient du être prises par décret en Conseil d’État et non par décret simple.
Jusqu’à la publication d’un nouveau décret pris en Conseil d’Etat, il ne peut donc être exigé du médecin du travail d’établir ou de mettre à jour les fiches d’entreprise, les dossiers médicaux et les rapports annuels d’activité.
La CFE-CGC n’est pas en reste, qui s’est fendue d’un recours gracieux contre l’arrêté du 20 juin 2013 fixant le nouveau modèle de la fiche d’aptitude.
Critique n° 1 : la fiche d’aptitude liste les origines de la visite de reprise. Cette mention laisse croire que c’est le médecin du travail qui doit déterminer si l’inaptitude est d’origine professionnelle ou non.
Réponse du Directeur Général du Travail-DGT : seule l’origine de la visite de reprise est renseignée et non celle de l’inaptitude. La décision reconnaissant ou non le caractère professionnel de la maladie ou de l’accident continue de relever de la Cpam.
Critique n° 2 : la 2ème visite de reprise est sous la rubrique «visite à la demande du médecin du travail», or c’est à l’employeur de convoquer le salarié à la 2ème visite.
Réponse du DGT : si l’employeur est responsable de l’organisation effective de la 2ème visite de reprise, celle-ci est déclenchée par la mention «à revoir dans 15 jours» portée par le médecin du travail sur la fiche émise à l’issue du 1er examen médical. C’est donc bien le médecin du travail qui apprécie l’opportunité d’un 2nd examen.
Critique n° 3 : le cas de l’inaptitude avec réserves ou restrictions n’est pas envisagé clairement.
Réponse du DGT : la réglementation ne prévoit que deux cas, l’aptitude ou l’inaptitude.
Les réserves et/ou demandes d’aménagement de poste doivent être portées soit dans les conclusions, soit dans l’espace réservé à l’aptitude.
L’essentiel est bien ailleurs, dans la recherche de solutions permettant aux SST de remplir leurs obligations légales.
En autorisant les DIRECCTE à décerner aux SST des agréments «aménagés» et adaptés à leurs moyens (par exemple, accepter d’organiser des visites d’embauche uniquement si la période d’essai est concluante), le législateur trouve certes une parade mais qui place nécessairement les entreprises dans des zones d’inconfort et de risques. En effet, autant les SSTsont soumis à des obligations de moyens, autant les entreprises sont tenues à une obligation de sécurité de résultat.
Face à cette situation, nombre d’entreprises réfléchissent à internaliser leur Service de Santé au Travail.
Les Services de Santé Autonomes ont peut-être de beaux jours devant eux.
Actualité
CHSCT : ÉVOQUER UN RISQUE GÉNÉRAL DE STRESS N’EST PAS SUFFISANT POUR JUSTIFIER LE RECOURS À UN EXPERT
Trois CHSCT de la Société Snecma ont désigné un expert, au titre du risque grave, pour «rechercher les facteurs de risques et analyser les accidents et les conditions de travail des situations et accidents liés au stress et/ou aux situations stressantes, et aider le CHSCT à avancer des propositions de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail».
Pour annuler les délibérations désignant l’expert, la Cour d’appel a relevé que les CHSCT, qui s’étaient fondés sur le risque grave pour actionner l’expertise, faisaient état du risque général de stress lié aux diverses réorganisations mises en œuvre dans l’entreprise, mais ne justifiaient pas d’éléments objectifs susceptibles de caractériser un risque avéré.
Après avoir rappelé que le risque grave, visé par l’article L. 4614-12, alinéa 2 du Code du travail, s’entend d’un risque identifié et actuel, la Cour de cassation valide la motivation retenue par la Cour d’appel.
Le recours à un expert pour risque grave par le CHSCT est soumis à l’existence d’un risque identifié et actuel. Ne faire état que d’un risque général de stress suite à diverses réorganisations de l’entreprise ne suffit pas. Il en résulte que le CHSCT ne doit pas se borner à faire état d’un risque général. Il ne doit pas se contenter d’affirmations générales sans apporter de faits précis, circonstanciés et vérifiés.
Il appartient au CHSCT de constater et de définir les risques avérés dans le périmètre de l’établissement et avant de diligenter un expert en raison de ces risques.
Cass. soc. 14 nov. 2013, n°12-15.206 F-D
NULLITÉ DU LICENCIEMENT PRONONCÉ EN RAISON D’UNE ATTESTATION DÉLIVRÉE AU BÉNÉFICE D’UN COLLÈGUE
Aux termes de l’attendu de principe au visa des articles 6 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : «en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur».
En l’espèce, l’employeur reprochait au salarié licencié pour faute grave d’avoir établi une fausse attestation en faveur d’un salarié engagé dans un litige contre l’entreprise, et d’en avoir parlé à ses collègues de travail. S’appuyant sur la liberté d’expression, le salarié demandait l’annulation de son licenciement.
La Cour d’appel avait validé le licenciement, considérant que le salarié avait «été licencié pour avoir rédigé une fausse attestation et informé ses collègues de travail de son intention de témoigner en faveur d’un autre salarié, en donnant ainsi une publicité à son opposition envers sa direction, de sorte que le licenciement ne reposant pas sur une atteinte à sa liberté de témoigner, il n’y avait pas lieu de l’annuler».
La Cour de cassation rappelle que la liberté de témoigner est une liberté fondamentale, garantie d’une bonne justice. Seule la mauvaise foi du salarié pourrait légitimer le licenciement de l’auteur d’une telle attestation.
Cet arrêt constitue une nouvelle illustration de la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle un licenciement portant atteinte à une liberté fondamentale peut, même en l’absence de texte, être annulé, le salarié pouvant, de ce fait, demander à être réintégré dans l’entreprise.
Cass. soc. 29 oct. 2013, n°12-22.447 FS-P+B
ALTERCATION ENTRE SALARIÉS AVEC UN CUTTER ET OBLIGATION DE SÉCURITÉ
En application de l’article L.4122-1 du Code du travail : « […] il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et
selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail».
La Cour de cassation a été amenée à considérer qu’au cours d’une altercation, le fait pour un salarié de pointer un cutter, lame sortie, en direction d’un autre salarié caractérise un manquement à l’obligation de sécurité justifiant son licenciement.
Cet arrêt rappelle que si l’employeur est tenu à obligation de sécurité, le salarié également. Son comportement ne doit pas être susceptible de mettre en danger ses collègues de travail.
En l’espèce, le salarié arguait que son comportement trouvait sa cause dans un prétendu harcèlement dont il se disait victime de la part de son employeur, ainsi que du stress et du climat relationnel dégradé qu’il subissait, argument qui n’a pas été retenu par la Cour de cassation.
Cependant, la gravité de la faute commise par le salarié aurait pu être atténuée en raison d’un non respect par l’employeur de sa propre obligation de sécurité.
Cass. soc. 30 oct. 2013, n°12-20.190
SALARIÉ LICENCIÉ APRÈS AVOIR DÉVOILÉ SON HOMOSEXUALITÉ = PRÉSOMPTION DE DISCRIMINATION
Un salarié soutenait que son supérieur hiérarchique, un mois après avoir appris son homosexualité, lui avait retiré un dossier contrairement à la volonté du client concerné et que, deux semaines après ce retrait, il l’avait convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave.
Pour la Cour de cassation, ces éléments sont suffisants pour laisser supposer l’existence d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle du salarié, quand bien même le salarié ne rapportait aucun propos, mesure ou décision la laissant supposer.
Au visa des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle que «lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination».
Conformément au mécanisme de la charge de la preuve en matière de discrimination, dès lors que les éléments de faits apportés par une victime présument de l’existence d’une discrimination, il incombe alors à l’employeur de prouver que ses décisions – en l’espèce, le retrait de dossier et le licenciement – étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Il appartiendra à la Cour d’appel de renvoi d’appliquer ce mécanisme et donc à l’employeur de prouver que le licenciement n’était pas fondé sur l’orientation sexuelle du salarié. A défaut, la rupture du contrat sera nulle et l’intéressé pourra obtenir sa réintégration dans l’entreprise et les salaires dont il a été privé depuis son éviction.
Cass. soc. 6 novembre 2013 n°12-22.270 F-D
Bulletin rédigé par Patrick CHAVET, Avocat à la Cour et les membres du Pôle Droit Social d’AVOXA
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