Bulletin JSA – Novembre 2013

Bulletin rédigé par Maître Fabrice VIDEAU

VOCA CONSEIL
8, rue Alfred Kastler
UNICITE
14000 CAEN


EDITORIAL

BABY LOUP : LEVONS LE VOILE

Décembre 2008, au retour d’un congé parental, la directrice adjointe d’une crèche « BABY LOUP » refuse d’enlever son voile islamique intégral dans des conditions houleuses.

Elle sera licenciée au nom de la « neutralité philosophique, politique et confessionnelle » de la crèche, principe figurant dans le règlement intérieur opposable aux salariés de l’association.

19 mars 2013 : Après avoir été validé en première instance et en appel, le licenciement est annulé par la Cour de Cassation (Cass. soc. 19 mars 2013, n°11-28845 à mettre en parallèle avec un autre arrêt du même jour n°12-11690).

Au visa de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Haute Cour rappelle que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et répondre à une exigence professionnelle essentielle, déterminante et proportionnée au but recherché.

Selon la Cour, les principes de neutralité sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris ceux assurés par des organismes de droit privé.

Mais tel n’est pas le cas d’une crèche privée, en dépit de sa mission d’intérêt général.

17 octobre 2013 : sur renvoi de la Cour de Cassation, la Cour d’Appel de Paris hérite du litige.

L’enjeu est de taille : celui de pouvoir appliquer le principe de laïcité au sein d’organismes de droit privé, dont les entreprises.

A sujet exceptionnel, audience exceptionnelle : l’audience est dirigée par le Premier Président de la Cour d’Appel, en présence du Procureur Général, lequel requiert pour la validation du licenciement et donc contre la décision rendue par la Cour de Cassation.

La décision du 27 novembre 2013 est attendue avec impatience.

Si elle est ressaisie, ce qui est fort probable, la Cour de Cassation statuera alors en Assemblée Plénière (les plus hauts magistrats des 6 chambres), pour rendre une décision de principe qui fera date.

La difficulté de ce dossier, au-delà de l’enjeu philosophique, politique et sociétal de ces décisions, vient du fait qu’il repose sur un débat juridique biaisé.

En, effet, la lettre de licenciement pour faute grave litigieuse est, pour l’essentiel fondée sur le fait que la salariée avait contrevenu aux dispositions du règlement intérieur de l’association en portant un voile islamique.

Pour valider le licenciement, la Cour d’Appel de Paris doit donc valider le règlement intérieur de l’association.

Or, celui-ci pose comme postulat général que la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité prônés par l’association.

A l’aune des libertés fondamentales (dont la religion) sacralisées par le droit européen et le Code du travail (notamment les articles L1121-1 et L1132-1), il est de principe constant que nul ne peut apporter de restriction aux libertés individuelles et collectives, qui ne soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché.

C’est ce principe qu’a rappelé la Cour de Cassation en mars 2013, réservant toutefois l’hypothèse des employeurs (publics ou privés) en charge d’un service public.

Sur la base de ces principes, il est à ce jour juridiquement acquis qu’un règlement intérieur ne peut comporter d’interdiction générale et absolue à une liberté fondamentale, y compris celui d’une crèche animée par un louable souci de totale neutralité pour le bien-être des enfants qu’elle prend en charge.

L’arrêt de la Cour de Cassation crée néanmoins une situation troublante, puisqu’une telle interdiction, fondée sur le principe de laïcité, serait admise et justifiée dans l’enceinte d’une crèche municipale…

A moins que ses parents fassent expressément le choix d’une prise en charge par un organisme confessionnel, il est difficile d’accepter que l’intérêt supérieur de l’enfant, principe fondamental également consacré en droit européen, soit à géométrie variable, et subisse l’aléa de la nature de l’institution qui le prend en charge.

En statuant sur ce principe d’intérêt supérieur de l’enfant, ou en qualifiant de mission de service public l’activité de prise en charge d’enfants en bas-âge, les magistrats ont la possibilité d’apporter une réponse circonstanciée au dossier « Baby Loup ».

Il n’est toutefois pas évident qu’une réponse soit donnée aux autres entreprises, où la question du port de signes religieux distinctifs reste très sensible.

ACTUALITÉS

INAPTITUDE : NOUVELLES PRÉCISIONS

CDD

Depuis mai 2011, il est possible de rompre de manière anticipée un CDD pour cause d’inaptitude médicale et impossibilité de reclassement.

La Cour de cassation précise que cette procédure est exemptée d’entretien préalable. Mais attention, les recherches de reclassement s’appliquent !
Avis Cour de cassation 21 octobre 2013, n°15013

CHSCT

Lors d’une procédure de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle, la consultation des délégués du personnel est obligatoire.

Mais faut-il pour autant consulter également le CHSCT ?

Non, répond la Cour de cassation car aucun texte n’impose une telle consultation.
Cass. Soc. 9 octobre 2013, n°12-20690

Attention toutefois à l’article L4612-11 du Code du travail qui impose de consulter le CHSCT sur les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise, ou le maintien au travail des accidentés du travail, notamment sur l’aménagement des postes de travail.

DIF

Le licenciement pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude constatée par le médecin du travail est notifié sans préavis. Malgré cette situation, la Cour de Cassation précise que l’employeur doit informer dans la lettre de licenciement le salarié de la possibilité de demander pendant un délai équivalent au préavis que le salarié « aurait effectué s’il avait été apte », à bénéficier d’une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l’expérience ou de formation en mobilisant son droit à DIF.
Cass. Soc. 25 septembre 2013 n 12-20310

ANNUALISATION ET ACCORD DU SALARIE : AVANT 2012 LE RISQUE PERDURE

2010 : la Cour de cassation décide que « l’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié ».
Cass soc 28 septembre 2010, n 08-43161

Tollé chez les employeurs et réaction législative le 22 mars 2012 pour sécuriser rétroactivement les dispositifs d’annualisation : Selon le nouvel article L3122-6 du Code du travail, « la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail. »

Confrontée à l’application de ce nouveau texte, la Cour de cassation résiste :

L’article L3122-6 « n’a ni caractère interprétatif, ni effet rétroactif ».

Il n’est donc « applicable qu’aux décisions de mise en œuvre effective de la modulation du temps de travail prises après publication de ladite loi ».
Cass. Soc. 25 septembre 2013 n°12-17776

FORCE PROBANTE DU MAIL DANS LE CADRE D’UN CONTENTIEUX PRUD’HOMAL

Le code civil prévoit un régime particulier encadrant la validité et l’authenticité des courriers électroniques.

Les articles 1316-1 et 1316-4 du code civil imposent ainsi que le courriel soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité.  Celui-ci doit également comporter une signature électronique résultant d’un procédé d’identification fiable …

La Cour de Cassation, dans une décision du 25 septembre 2013 vient de préciser que ces dispositions ne sont pas applicables dans le cadre d’un contentieux prud’homal.

Il est en effet constant qu’en matière prud’homale, la preuve est libre. Elle peut donc être rapportée par tous moyens. Dès lors, les courriels versés aux débats n’ont pas besoin d’être authentifiés.

Ces courriels doivent néanmoins être fiables.

Pragmatique, la Cour de Cassation a déjà rappelé qu’il est possible de « modifier un mail existant ou de créer de toute pièce un mail anti daté » (Cass. Soc. 22 mars 2011 n°09-43307).

Au juge de faire preuve d’esprit critique, et d’écarter les courriels dont l’authenticité n’est pas établie.
Cass. Soc. 25 septembre 2013, n°11-25884

QUAND LA DATE DE CONNAISSANCE DES FAITS S’IMPOSE TANT A L’EMPLOYEUR QU’AU SALARIE

En matière disciplinaire, l’employeur qui décide de ne sanctionner qu’une partie des fautes reprochées à un salarié ne peut ultérieurement s’appuyer sur des faits non sanctionnés pour le licencier.

En effet, selon les juges, en sanctionnant par une mise à pied qu’une partie des faits portée à sa connaissance, « l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait plus prononcer un licenciement pour sanctionner toute ou partie d’autres faits antérieurs à cette date dont il avait connaissance »
Cass. Soc. 25 septembre 2013 n°12-12976

Hasard du calendrier (?), la Cour de Cassation adopte un raisonnement similaire pour les prises d’actes de rupture.

Ainsi, un salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail ne peut pas invoquer un manquement de l’employeur dont il n’a eu connaissance qu’après la date à laquelle il a formalisé la rupture de son contrat de travail.
Cass. Soc. 9 octobre 2013 n°11-24457

Cette dernière décision n’allait pas de soi.

En effet, il est acquis que l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail au soutien de manquement reproché à son employeur rendant impossible la poursuite du contrat ne « fixe pas les limites du litige ».

Depuis 2005, la Cour de Cassation invite les juges du fond à examiner l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués dans le cadre du contentieux prud’homal, même s’ils n’ont pas été précisés dans la lettre de prise d’acte (Cass. Soc. 29 juin 2005 n° 03-42804).

De là à admettre l’ensemble des manquements de l’employeur, sans condition de date, il  n’y avait qu’un pas, que la Cour de Cassation a refusé de franchir.

En effet, selon la haute juridiction, lorsque les faits invoqués n’ont été connus du salarié que postérieurement à la prise d’acte, « ceux-ci ne peuvent être pris en considération pour justifier la rupture ».

Bulletin rédigé par Maître Fabrice VIDEAU, Avocat associé
VOCA CONSEIL, 8 rue Alfred Kastler – UNICITE – 14000 CAEN