Bulletin JSA – Octobre 2013

Bulletin rédigé par Maîtres Pascale ROUVILLE et Mélanie THOMAS-COTTEAUX et Yoann GONTIER
EPONA CONSEIL
19 rue Alfred Kastler
76130 MONT ST AIGNAN


Éditorial

L’INÉVITABLE PRISE EN COMPTE DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX

Si jusque-là, le signe RPS a été plutôt utilisé pour appréhender des situations dramatiques de suicides ou tentatives de suicide au travail,es juridictions s’en emparent désormais pour statuer sur des situations beaucoup plus communes du quotidien des entreprises. Ainsi, dans le cadre de son obligation de santé et sécurité (qui, rappelons-le constitue une obligation de résultat à la charge de l’employeur),l’entreprise doit désormais s’assurer que le salarié ne subit pas des conditions de travail génératrices de stress.

Ce qui relevait avant des conditions estimées normales par l’employeur (notamment conflits entre collègues, tensions en cas de surcharge de travail, …) doit désormais être revisité à la lueur de décisions récentes qui ne permettent plus à l’employeur de se dédouaner des conséquences de ces situations de stress.

C’est ainsi que la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 octobre 2012, a requalifié la prise d’acte de rupture de son contrat de travail d’une salariée en licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur, informé d’un conflit entre elle et sa supérieure hiérarchique (sans grief particulier de part et d’autre), n’avait pas pris les mesures appropriées pour apporter des solutions à cette situation conflictuelle (Cass. soc. 17 octobre 2012, n°11-18.208).

En l’espèce, l’Inspection du travail avait sollicité que soit mise en œuvre une médiation que l’entreprise n’avait pas initiée.

La Haute Juridiction a estimé qu’il s’agissait là d’un manquement suffisamment grave pour requalifier la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, désormais, l’employeur ne peut plus ignorer les conflits entre salariés et se doit de mettre en œuvre les dispositifs appropriés pour les résoudre.

Un arrêt du 13 mars 2013 de cette même juridiction, aborde un autre aspect des RPS : l’épuisement professionnel.

Une salariée nouvellement embauchée est licenciée dix mois plus tard, pour absences prolongées et répétées, perturbant l’organisation et le bon fonctionnement de l’entreprise.

La salariée a contesté son licenciement, mettant en exergue une situation de stress permanent et prolongé, avec la fixation d’objectifs importants, ainsi qu’un manque de stabilité du personnel notamment du fait de l’embauche de stagiaires.

La salariée n’avait informé ni son employeur, ni la médecine du travail, de la situation de surcharge de travail et de stress qu’elle rencontrait.

La Cour de cassation va casser l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon qui avait débouté la salariée, au motif que la dégradation de son état de santé due à un épuisement professionnel était « susceptible de caractériser un lien entre la maladie de la salariée et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ». (Cass. soc. 13 mars 2013, n°11-22.082).

Il convient de rappeler que la maladie ne peut faire l’objet de discrimination et que toute rupture du contrat de travail y faisant référence, se voit sanctionner, en,cas de condamnation, par la nullité de la rupture intervenue.

De façon beaucoup plus dramatique, la Cour de cassation vient de statuer sur la responsabilité d’une entreprise en matière de faute inexcusable relative à un salarié dont le suicide avait été provoqué par un stress important dû :

– à une inadéquation entre les connaissances requises du salarié et les fonctions occupées,
– en l’absence de formation par l’équipe en place,
– et malgré un changement de poste à terme avec des conditions de travail moins stressantes,
– mais sans toutefois contrôler les horaires de ce salarié.

La Cour de cassation a jugé en l’occurrence que l’employeur n’avait pas pris les mesures suffisantes pour préserver la santé du salarié et valide la faute inexcusable à l’encontre de l’entreprise (Cass. soc. 19 septembre 2013 n°12-22.156).

Les partenaires sociaux, conscients des enjeux notamment en termes de risques financiers et d’efficacité au travail, ont conclu le 19 juin 2013, un accord national interprofessionnel portant sur l’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle. Au-delà de la déclaration d’intention des organisations patronales et salariées, il en ressort quelques mesures concrètes.

Ainsi, le thème de la qualité de vie au travail devra désormais être abordé de façon transversale dans le cadre du regroupement des différentes négociations obligatoires, et intégrera notamment la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, sujet de plus en plus prégnant dans notre droit social.

Au-delà des RPS, un nouveau sigle apparaît : QVT (qualité de vie au travail), dont il faudra également tenir compte pour l’avenir…

Actualité

PAS DE CIGARETTE ÉLECTRONIQUE SUR LE LIEU DE TRAVAIL

Faute de disposer d’études scientifiques concordantes sur les risques liés à l’utilisation de la cigarette électronique, l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), préconise à l’employeur d’en interdire l’usage sur le lieu de travail, au titre de son obligation de sécurité de résultat, au moyen du règlement intérieur de l’entreprise.

L’interdiction de « vapoter » sur le lieu de travail pourrait également être imposée par voie de note de service pour les entreprises de moins de 20 salariés, non soumises à l’obligation d’établir un règlement intérieur.

L’absence d’études avérées sur l’éventuelle toxicité de ce nouveau produit, notamment vis-à-vis des « non-vapoteurs », devrait, en effet, conduire l’employeur à la prudence.

Rappelons que la Cour de cassation a, dans un arrêt de 2005, validé la prise d’acte d’un salarié de la rupture de son contrat de travail aux torts et griefs de l’employeur, pour cause de tabagisme passif (Cass. soc. 29 juin 2005, Société ACME Protection/Lefebvre).

LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE :

Points de contrôle de la Direccte dans le cadre de l’homologation du document unilatéral

La loi du 14 juin 2013 a réformé en profondeur la procédure de licenciement économique d’au moins 10 salariés dans les entreprises de plus de 50 salariés.

La DIRECCTE est désormais chargée de valider l’accord collectif ou d’homologuer le document unilatéral établi par l’employeur, qui fixe le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Lorsqu’un accord collectif valant PSE est conclu, l’Administration exerce un contrôle restreint.

En revanche, à défaut d’accord collectif ou en cas d’accord ne portant pas sur l’ensemble des points devant y figurer, l’autorité administrative effectue un contrôle plus poussé du document unilatéral établi par l’employeur.

A cet égard, la DIRECCTE vérifie notamment que les efforts préalables de formation et d’adaptation, ont bien été respectés.

En effet, l’article L. 6321-1 du Code du travail prévoit dans les entreprises et les Groupes d’entreprises employant au moins 50 salariés, l’organisation, dans l’année qui suit le 45ème anniversaire, d’un entretien professionnel au cours duquel l’employeur informe le salarié, notamment sur ses droits en matière d’accès à un bilan d’étape professionnelle, à un bilan de compétences ou à une action de professionnalisation.

Cette disposition a été reprise dans de nombreux accords de branche, mais également dans des plans d’action ou accords relatifs à l’emploi des seniors, dont certains sont encore en vigueur.

Il convient donc de veiller à ce que de tels entretiens de 2nde partie de carrière soient bien organisés.

A défaut, l’employeur risque de se voir opposer par la DIRECCTE, un refus d’homologation de son document unilatéral.

Jurisprudence

FAUTE D’OBJECTIFS FIXÉS AU SALARIÉ POUR SA RÉMUNÉRATION VARIABLE, CELLE-CI EST DUE EN TOTALITÉ

Confirmation de jurisprudence : faute pour l’employeur de préciser au salarié les objectifs à réaliser ainsi que les conditions de calcul vérifiables, servant de base au calcul de sa rémunération variable, cette rémunération doit être payée intégralement (Cass. soc. 10 juillet 2013,n° 12-17.921).

IMPOSSIBILITÉ DE RENONCER PAR AVANCE À CONTESTER UNE RUPTURE CONVENTIONNELLE HOMOLOGUÉE

Par un arrêt du 26 juin 2013, la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur l’impossibilité pour les parties de renoncer, dans la convention de rupture conventionnelle, à toute contestation relative à cette rupture. (Cass. soc. 26 juin 2013 n° 12 – 15 208, Rizzo/Sté Impérial Palace).

La convention de rupture conventionnelle comportait une clause ainsi rédigée : « les parties renoncent irrévocablement à toutes autres actions ou prétentions de quelques natures que ce soit qui résulterait de l’exécution ou de la cessation du contrat de travail ».

La Cour de cassation a jugé que cette clause devait être réputée non écrite (ce qui permet au salarié, malgré la signature de cette convention, de saisir le Conseil de Prud’hommes de demandes relatives à l’exécution ou la rupture du contrat) mais ne remettait néanmoins pas en cause la validité de la rupture du contrat de travail, la convention de rupture restant pour le surplus valable.

La Cour de cassation a rappelé dans ce même arrêt que l’existence d’un litige antérieur entre l’employeur et le salarié ne remet pas en cause automatiquement la validité de la rupture conventionnelle (déjà en ce sens Cass. soc. 23 mai 2013 n°12-13865).

Le contrôle du juge porte néanmoins sur le consentement du salarié qui doit être libre et non vicié.

LES TESTS SALIVAIRES DOIVENT ÊTRE PRÉVUS PAR LE RÈGLEMENT INTÉRIEUR

Pour la première fois à notre connaissance, une juridiction valide la possibilité pour l’employeur de dépister la consommation de drogues par ses salariés, mais l’encadre de façon stricte.

Ainsi, dans un jugement du 20 septembre 2013, le Conseil de Prud’hommes de Grenoble a jugé que l’employeur ne peut pas avoir valablement recours à un test salivaire, dès lors que cette possibilité n’est pas prévue par le règlement intérieur de l’entreprise (obligatoire dans les entreprises d’au moins 20 salariés).

Un salarié est surpris par son supérieur hiérarchique en train de fumer ce qu’il suppose être du cannabis. Il lui est alors proposé, ce que le salarié a accepté, de réaliser un test salivaire, lequel s’est avéré positif.

Sur la base de ce seul élément, l’employeur licencie l’intéressé pour faute grave.

Le Conseil de Prud’hommes juge que « si l’employeur peut utiliser le test salivaire pour détecter l’usage de produits stupéfiants, c’est à condition que cette possibilité figure au règlement intérieur, que le salarié ait été informé de ce dépistage [et] qu’il s’adresse aux salariés dont l’usage de la drogue présente un risque pour sa propre sécurité ou la sécurité d’autres salariés, [de sorte que le test salivaire] ne peut donc [pas] être généralisé» (CPH Grenoble, 20 septembre 2013, Délégués du personnel CGT/ SAS STMicroelectronics Crolles).

Ce faisant, la juridiction prud’homale transpose la jurisprudence, désormais bien établie, de la Cour de cassation en matière d’éthylotest.

Ainsi, le recours à ce mode de contrôle n’est autorisé que dans les conditions suivantes :

– être expressément prévu par le règlement intérieur de l’entreprise (dès lors bien évidemment que la société est soumise à une telle obligation),
– être limité aux salariés dont la consommation d’alcool (ou de produits stupéfiants par analogie) présente des risques pour sa propre sécurité ou pour celle de son entourage,
– le salarié doit être informé de sa possibilité de refuser de se soumettre au contrôle,
– et de demander une contre-expertise,
– et la personne qui effectue le contrôle doit se conformer scrupuleusement aux modalités définies dans le règlement intérieur.

A défaut, la preuve obtenue au moyen du contrôle effectué, est irrecevable et le licenciement prononcé sur ce seul fondement, est privé de cause réelle et sérieuse.

Bien que la Cour de cassation ne se soit, pour l’heure, pas prononcée sur ce point, il apparaît opportun pour les employeurs de tenir compte de cette décision et de mettre à jour leur règlement intérieur.

SUR L’UTILISATION PAR UN SALARIÉ DU MATÉRIEL INFORMATIQUE MIS À SA DISPOSITION PAR L’ENTREPRISE

L’outil informatique mis à disposition des salariés par l’employeur est présumé être utilisé à des fins professionnelles.

Cette présomption a pour conséquence que l’employeur peut consulter librement :

– les connexions Internet durant le temps de travail ;
– le fichier informatique contenu sur une clé usb connectée à l’ordinateur du salarié (Cass. soc 1 février 2013, n°11-28649) ;
– les courriels ou fichiers non identifiés comme personnels.

En effet, de jurisprudence constante, les courriers adressés par un salarié à l’aide d’outils informatiques mis à disposition par l’employeur ainsi que les fichiers enregistrés sur le disque dur de son ordinateur de travail, sont présumés avoir un caractère professionnel et peuvent donc être consultés par l’employeur hors la présence du salarié (Cass. soc. 9 juillet 2008, n°06-45800), et éventuellement constatés par huissier de justice.

Néanmoins, le salarié dispose d’une liberté lui permettant d’utiliser de manière raisonnable l’ordinateur à titre personnel.

Ainsi, dès lors qu’un fichier est intitulé «personnel», l’employeur ne peut en prendre connaissance en dehors de la présence du salarié.

Les juges acceptent donc l’utilisation de ces modes de preuve pour sanctionner les salariés.

En effet, si un fait relevant strictement de la vie privée d’un salarié, ne peut par principe être considéré comme fautif, un tel fait peut néanmoins justifier :

– un licenciement non disciplinaire s’il cause un trouble caractérisé dans l’entreprise,
– un licenciement disciplinaire lorsque ce fait se rattache à la vie professionnelle du salarié.

Deux décisions récentes viennent illustrer ces principes.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé le 19 juin 2013 que le mail transféré de la messagerie personnelle du salarié sur l’ordinateur de travail est présumé professionnel. (Cass.soc 19 juin 2013, n°12-12.138, Sté Young et rubicam/X)

L’employeur peut donc contrôler hors la présence du salarié, les courriers et fichiers transférés sur l’ordinateur de travail du salarié depuis sa messagerie personnelle et non expressément identifiés comme personnels.

Le lieu de stockage prime donc sur l’origine du fichier.

La Cour d’Appel de Pau a quant-à elle considéré comme justifié le licenciement pour faute d’une salariée en raison de ses connections quasi quotidiennes, à plusieurs reprises dans la journée et durant les heures de travail, sur des sites internet extra-professionnels (FACEBOOK, HOTMAIL …) et ce, au détriment de la qualité de son travail. (CA PAU, 13 juin 2013 n°11-02759, Sté BPS Pays Basque/C.)

A noter que la salariée contestait être l’auteur des connexions et faisait valoir que d’autres salariés avaient pu se connecter depuis son ordinateur.

Argument non retenu par les juges qui rappellent que la connexion à FACEBOOK et au compte de messagerie personnelle de la salariée nécessite un mot de passe qu’elle pouvait seule utiliser.
Bulletin rédigé par Pascale ROUVILLE et Mélanie THOMAS-COTTEAUX, Avocats et Yoann GONTIER, Juriste
ÉPONA CONSEIL – 19, rue Alfred Kastler 76130 Mont-St-Aignan