Bulletin JSA – Mai – Juin 2013
Bulletin rédigé par
Nathalie LENFANT
Avocat associé
RAVEL ASSOCIES
4 rue de l’Arcade
75008 PARIS
1. EDITOTIAL
INTERROGATIONS D’UN AVOCAT EN DROIT SOCIAL SUR LE « VÉRITABLE » RÔLE DE LA CHAMBRE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION NOTAMMENT À L’OCCASION DE SA JURISPRUDENCE SUR LE FORFAIT ANNUEL EN JOURS …
Chacun aura constaté la voie empruntée depuis quelques années déjà par la Cour de cassation : « créateur de droits nouveaux », « redresseur de torts », prétendus « torts » pourtant généralement issus de la représentation nationale ; voie d’autant plus empruntée depuis la montée en puissance de « l’Autre Cour », le Conseil constitutionnel avec la création de la fameuse QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité).
Le forfait annuel en jours n’est encore qu’une illustration de plus. Depuis le tsunami du 29 juin 2011, qui a déjà laminé le forfait annuel en jours de plusieurs conventions collectives (Chimie, Commerce de gros, Aide à domicile en milieu rural, Habillement et récemment Bureaux d’études (Cass. Soc. 24 avril 2013, n° 11-28398 : Les dispositions conventionnelles « ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié »)), chacune des branches professionnelles craint pour la validité de son forfait et pour son opposabilité aux salariés des entreprises relevant de son champ d’application. L’enjeu est grand : rappel de salaire pour heures supplémentaires, dommages et intérêts pour travail dissimulé, prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’entreprise, demande de résiliation judiciaire, etc.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a-t-elle mesuré les impacts de cette jurisprudence, de surcroît, rétroactive ? qu’elle justifie par un droit à la santé et un droit au repos, droits qui sont au nombre des exigences constitutionnelles et européennes, certes ! Sous prétexte d’une relation de travail nécessairement déséquilibrée, et de vouloir, dés lors, contrebalancer le pouvoir « diabolisé » de l’employeur, les juges ne sortent-ils pas de leur rôle ? Passons !
Mais la règle du jeu est-elle pour autant aujourd’hui claire ? Malheureusement, non. Et cela contrevient à sa mission républicaine de donner à la loi son sens, son efficacité et ce sans jamais empiéter sur les prérogatives du législateur. En affirmant que les accords de branche ou d’entreprise relatifs au forfait annuel en jours doivent aujourd’hui contenir « des stipulations assurant la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaire », la Cour de cassation ne s’arroge-t-elle pas, au mépris des textes (ici L.3121-39 du Code du travail) voire de nos principes républicains, un pouvoir normatif qui ne lui appartient pas ? Un pouvoir, de surcroit, teinté d’arbitraire par méconnaissance de la réalité économique, de la dimension organisationnelle du travail, voire de la capacité (et du devoir – L.4122-1 du code du travail) de chaque salarié de prendre soin de sa santé et de sa sécurité ?
En lisant l’article de Bernard Boubli, Conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation, publié dans la revue Lamy social, une vague d’espoir m’a envahie. Article destiné aux juristes mais aussi à ses pairs, le Conseiller Boubli pose une des vraies questions : «En quoi la liberté d’organisation du temps de travail est-elle un risque pour la santé ? ». Il poursuit : « Les universitaires, les magistrats sans bureau fixe, qui en font usage sont-ils systématiquement exposés ? » « La situation des salariés en forfaits jours devrait être familière aux universitaires et aux magistrats car elle est voisine de leur statut. L’agent reste maître de son temps, dans la mesure du plafond que lui assigne l’accord et dans le respect du repos quotidien, du repos hebdomadaire et des conditions dans lesquelles les congés sont pris dans l’entreprise. Dans ce cadre, il consacre le temps qu’il estime utile aux tâches qui lui sont confiées à condition toutefois de se soumettre aux contraintes collectives qu’impliquent ses attributions. ».
Espoir peut être ! Et si, pour faire comprendre les contraintes et les organisations de nos entreprises aux magistrats, nous ne devions pas, finalement, à l’instar du Conseiller Boubli, leur parler d’eux mêmes pour aboutir à nos fins?
2. ACTUALITES
La consécration d’un droit d’alerte en matière sanitaire et environnemental par la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des « lanceurs d’alerte » (Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013, JO 17 avril, p. 6465).
La loi pose comme préalable que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement.
L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit s’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse ».
Le législateur a ensuite fixé les conditions d’exercice de ce nouveau droit d’alerte et la protection attachée aux « lanceurs d’alerte » (articles L. 4133-1 à L. 4133-5 Code du travail)
Qui peut donner l’alerte ?
Le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement (art. L. 4133-1 Code du travail).
Le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe un risque grave pour la santé publique ou l’environnement en alerte immédiatement l’employeur (art L. 4133-2 Code du travail).
Comment se matérialise l’alerte ?
L’alerte est consignée par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire. Le décret n’est pas paru à ce jour.
Quelles sont les conséquences de l’alerte ?
L’employeur informe le travailleur qui lui a transmis l’alerte de la suite qu’il réserve à celle-ci (art. L. 4133-1 Code du travail).
L’employeur examine la situation conjointement avec le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui lui a transmis l’alerte et l’informe de la suite qu’il réserve à celle-ci. (art L. 4133-2 Code du travail).
En cas de divergence avec l’employeur sur le bien-fondé d’une alerte transmise en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2 Code du travail ou en l’absence de suite dans un délai d’un mois, le travailleur ou le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut saisir le représentant de l’Etat dans le département.
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est informé des alertes transmises à l’employeur en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2 Code du travail, de leurs suites ainsi que des saisines éventuelles du représentant de l’Etat dans le département en application de l’article L. 4133-3 Code du travail.
Quelle protection pour les « lanceurs d’alerte » ?
Le travailleur qui lance une alerte bénéficie de la protection prévue à l’article L. 1351-1 du Code de la santé publique, à savoir : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, ni être sanctionnée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de traitement, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l’environnement dont elle aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.».
En cas de litige relatif à l’application de cet article, dès lors que la personne établit des faits qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l’environnement, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Ainsi, le législateur a choisi d’offrir aux « lanceurs d’alerte » la même protection que celle accordée aux salariés qui dénoncent des faits de harcèlement moral ou sexuel, avec la même sanction (nullité de la mesure) et un aménagement de la charge de la preuve.
Toute personne physique ou morale qui lance une alerte de mauvaise foi ou avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits rendus publics ou diffusés est punie des peines prévues au premier alinéa de l’article 226-10 du Code pénal (dénonciation calomnieuse).
Tout employeur saisi d’une alerte en matière de santé publique ou d’environnement qui n’a pas respecté les obligations lui incombant en application des articles L. 4133-1 et L. 4133-2 du Code du travail perd le bénéfice des dispositions du 4° de l’article 1386-11 du Code civil. L’article 1386-11 précité est relatif à la responsabilité du fait des produits défectueux et dispose dans son alinéa 4 que le responsable peut être exonéré de sa responsabilité s’il démontre que «l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ».
De nouvelles obligations pour l’employeur
L’employeur organise et dispense également une information aux travailleurs sur les risques que peuvent faire peser sur la santé publique ou l’environnement les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement ainsi que sur les mesures prises pour y remédier (article L. 4141-1 Code du travail modifié).
Le CHSCT est réuni en cas d’événement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement (article L. 4614-10 Code du travail modifié).
3.JURISPRUDENCE
Un délégué syndical élu sur la liste d’un syndicat peut ensuite être désigné par un autre syndicat.
En l’espèce, un salarié avait été élu membre du comité d’entreprise et délégué du personnel puis désigné délégué syndical au sein d’un établissement de l’entreprise sous l’étiquette syndicale CNT. Par la suite, il avait été désigné délégué syndical CFTC au sein de cet établissement. Le salarié a alors démissionné de son mandat de délégué syndical CNT mais a conservé ceux d’élu au comité d’entreprise et de délégué du personnel. L’employeur avait sollicité l’annulation de la désignation de ce salarié en qualité de délégué syndical par le syndicat CFTC aux motifs notamment que cette désignation créait un conflit d’intérêts
La Cour de cassation a suivi les juges du fond en estimant que « dès lors qu’un salarié remplit les conditions prévues par la loi pour être désigné délégué syndical, il n’appartient qu’au syndicat désignataire d’apprécier s’il est en mesure de remplir sa mission, peu important que ce salarié ait précédemment exercé des fonctions de représentant d’un autre syndicat ou qu’il ait été élu lors des dernières élections sur des listes présentées par un autre syndicat» (Cass. Soc. 17 avril 2013, n° 12-22.699).
Appréciation de l’audience des syndicats catégoriels. La Cour de cassation précise que si les statuts d’un syndicat lui permettent de présenter des candidats dans tous les collèges électoraux, son audience doit être appréciée tous collèges confondus et ce même s’il n’a présenté des candidats que dans le second collège (Cass. Soc. 27 mars 2013, n° 12-27733 FS-PB).
Les limites de la liberté des parties quant à la rédaction du protocole préélectoral. La Cour de cassation précise qu’un protocole préélectoral ne peut pas exclure de l’éligibilité au CE et de la possibilité d’y être désigné représentant syndical des salariés qui remplissent les conditions légales pour en être membres (Cass. Soc. 20 mars 2013, n° 12-11702).
Précisions sur le CHSCT
La nullité du scrutin est encourue dès lors que l’employeur ou ses représentants sont présents lors des opérations de dépouillement de l’élection des membres du CHSCT. En l’absence de textes en la matière, la Cour de cassation précise que la présence de l’employeur ou de ses représentants lors des opérations de dépouillement constitue une irrégularité entraînant nécessairement la nullité du scrutin. En l’espèce, un représentant de l’employeur avait signé le procès-verbal des résultats en qualité de « Président » tandis qu’un autre représentant de l’employeur avait participé aux opérations de dépouillement (Cass. Soc. 17 avril 2013, n°12-21.876).
Faute de dispositions conventionnelles contraires, le collège désignatif du CHSCT est constitué de tous les membres élus du comité d’établissement et de tous les délégués du personnel élus dans le périmètre de ce comité (Cass. Soc. 17 avril 2013, n° 12-19825).
Il appartient au collège désignatif de fixer lui-même le mode de scrutin à adopter pour la désignation des membres de la délégation du personnel au CHSCT et notamment le vote par correspondance (Cass. Soc. 17 avril 2013, n° 12-25249).
Quand doit-on envoyer la demande d’autorisation de licenciement ?
La Cour de cassation précise que l’employeur doit solliciter l’autorisation de procéder au licenciement auprès de l’inspecteur du travail dès lors que le salarié bénéficie d’une protection à la date d’envoi de la convocation à entretien préalable, peu important que l’envoi de la lettre de licenciement intervienne après l’expiration de la période de protection (Cass. Soc. 26 mars 2013, n° 11-27964 FS-PB).
La Cour de cassation dit non aux « ranking par quotas ».
La Haute Cour a estimé pour la première fois que le système d’évaluation appelée «ranking par quotas » consistant à demander aux évaluateurs de respecter un pourcentage prédéterminé de salariés à affecter à chaque catégorie en fonction de leurs performances professionnelles était illicite (Cass. Soc. 27 mars 2013, n° 11-26539).
Précisions sur le contrat de travail
La CJUE s’oppose à ce que les contrats de travail transfrontaliers soient rédigés exclusivement dans une langue. Appelée à se prononcer sur la validité d’une réglementation qui imposait à tout employeur ayant son siège d’exploitation sur un territoire de rédiger les contrats de travail à caractère transfrontalier exclusivement dans la langue officielle de ce territoire, la Cour rappelle qu’une telle rédaction est contraire à l’article 45 du Traité européen et au principe de libre circulation des travailleurs. Elle considère qu’une telle rédaction entraine la nullité du contrat, laquelle peut être relevée d’office par le juge (CJUE, grande chambre, 16 avril 2013, n° C‑202/11).
La Cour de cassation réaffirme la licéité des clauses de changement de direction. Les parties peuvent valablement prévoir une clause dans le contrat de travail selon laquelle le salarié peut rompre le contrat de travail en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d’actionnariat entraînant une modification importante de l’équipe de direction, à la condition que cette clause soit justifiée par les fonctions du salarié au sein de l’entreprise et qu’elle ne fasse pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l’une ou l’autre des parties (Cass. Soc. 10 avril 2013, n° 11-25.841).
Le principe d’égalité de traitement ne fait pas obstacle au bénéfice d’avantages individuels acquis aux salariés nouvellement embauchés. L’employeur peut, sans méconnaître le principe d’égalité de traitement et en vertu d’un engagement unilatéral, faire bénéficier aux nouveaux salariés d’avantages individuels acquis résultant de la dénonciation d’un accord collectif intervenue avant leur embauche (Cass. Soc. 24 avril 2013, n° 12-10197 12-10220).
Bulletin rédigé par Maître Nathalie LENFANT, Avocat associé
RAVEL ASSOCIES, 4 rue de l’Arcade – 75008 PARIS