Les conditions des délégations de pouvoir entre URSSAF
« Les conditions des délégations de pouvoir entre URSSAF » Semaine sociale Lamy du 23 octobre 2006 n° 1279
Le dilemme de la prévoyance obligatoire
Louis et Philippe Boudias, Avocats au Barreau de Paris
SCP Simon Wurmser Schwach Boudias Frezard
La pratique de la prévoyance obligatoire et des relations triangulaires entre l’employeur, le salarié et l’assureur révèle des sources de difficultés dont l’acuité renvoie, inéluctablement, à des problématiques croisées, convainquant irréductiblement de l’antagonisme de logique existant entre la position « assurantielle » et le point de vue découlant du droit social.
1 L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE
Les régimes de prévoyance peuvent être à adhésion obligatoire ou facultative. Ils sont dit « à adhésion obligatoire » dès lors qu’ils émanent notamment d’une convention collective (cf. Lamy social, 2006, n° 3548 et suiv.). Deux conséquences découlent d’un régime de prévoyance dit « à adhésion obligatoire » :
- l’ensemble des salariés est tenu d’y adhérer ;
- chaque salarié supporte un précompte sur son bulletin de salaire au titre du financement de ce régime, l’employeur assumant, généralement, la majeure partie du coût, via les charges patronales.
La gestion de la couverture de tels régimes obligatoires est le plus souvent dévolue par l’entreprise à une compagnie d’assurance, dans le cadre de la mise en oeuvre de cette avancée sociale.
Une relation triangulaire
Il faut ici préciser que l’entreprise et l’assureur ont alors une position de cocontractants, alors que les salariés sont les bénéficiaires sans être eux-mêmes parties au contrat (cf. Liaisons sociales, déc. 2003, La prévoyance d’entreprise, p. 50 et suiv.). La preuve même que les salariés ne sont que les bénéficiaires désignés résulte, par exemple, du fait que ceux-ci doivent être destinataires d’une notice d’information.
L’article 12 de la loi Évin du 31 décembre 1989 prévoit, ainsi, que le souscripteur, autrement dit l’employeur, est tenu de remettre à l’adhérent, autrement dit le salarié, une notice d’information détaillée qui définit les garanties prévues par la convention ou le contrat et leurs modalités d’application.
Caractère collectif des contrats de groupe
Afin de bien être convaincu de l’extrême particularisme de ces contrats d’assurance encadrés par la loi Évin, il n’est pas indifférent de rappeler, ici, que le contrat d’assurance de prévoyance a pour objet de garantir les salariés bénéficiaires, sur un plan collectif et hors même toute individualisation ou particularisme.
Ainsi que le note Marion Del Sol, « la loi Evin du 31 décembre 1989 affirme le caractère collectif des contrats de groupe à adhésion obligatoire souscrits par les entreprises. Autrement dit, les offreurs ne disposent pas du droit d’opérer une sélection parmi les membres composant le groupe à assurer ; soit ils acceptent d’assurer tout le groupe soit ils renoncent au contrat […]. A eux de peser le plus précisément possible les risques portés par le groupe en tenant compte notamment de l’âge des salariés, de leur sexe, de leurs charges de famille, de leur activité professionnelle (appréciation préalable de sinistralité) » (JCPE, n° 10, 7 mars 2002, I-413, « L’entreprise mutualiste : un acteur banalisé sur le marché de la protection sociale complémentaire »).
Corrélativement, M. Guy Courtieux met en perspective le fait que la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 « a instauré pour ce qui concerne le régime de prévoyance des salariés, une véritable obligation d’assurer ; en ce que, à partir du moment où l’assureur a accepté de garantir un groupe, il ne lui est pas permis d’en exclure un membre. Il ne peut ni rejeter un postulant à l’adhésion au motif qu’il constitue un risque aggravant ni l’accepter moyennant le paiement d’une surprime. » (JCPE, n°25, 20 juin 2002, I-951).
Le même auteur souligne, avec justesse, l’extrême particularisme du contrat de prévoyance à l’égard duquel la loi Evin, en son article 2, « oblige l’assureur à prendre en charge les suites des états pathologiques survenus antérieurement à la souscription du contrat ou de la convention ou à l’adhésion à ceux-ci ».
Résiliation
Poursuivant la même visée de renfort de cette garantie sociale, la même loi Evin a prévu, dans son article 7, que la résiliation du contrat d’assurance de groupe de prévoyance ne constitue pas un motif de dédouanement de l’assureur lui permettant de ne pas continuer à verser les prestations.
De cet article 7 découle, a fortiori, le principe du maintien des garanties en cours de versement en direction du collaborateur dont le contrat de travail est rompu.
C’est dire l’extrême particularisme de ces contrats d’assurance prévoyance enserrés, de par la loi, dans des exigences sociales tout à fait princeps.
2 LE POINT DE VUE « ASSURANTIEL » ET LE POINT DE VUE EN DROIT SOCIAL
Très concrètement, nombre de conventions collectives prévoient des garanties claires qui octroient de faibles marges d’interprétation et induisent presque un systématisme d’indemnisation dès lors que la sécurité sociale verse des indemnités journalières.
Les garanties des conventions collectives
En matière d’incapacité de travail, les conventions collectives prévoient, souvent, que les indemnités sont dues « tant que l’assuré bénéficie des indemnités journalières de sécurité sociale ». On voit encore apparaître l’expression suivante : « l’assureur complète les indemnités journalières de sécurité sociale ». Pareils libellés induisent, en eux-mêmes, une forme d’automaticité à l’indemnisation complémentaire.
En tout état de cause, les conventions collectives ne prévoient généralement, hors les conditions nécessaires à faire émerger le droit à indemnisation par le régime de prévoyance, aucune restriction particulière au versement des compléments aux indemnités journalières.
L’imperium du contrat d’assurance
Or, à l’inverse, les contrats d’assurance souscrits par les entreprises au titre des régimes de prévoyance obligatoires découlant des conventions collectives aménagent la possibilité pour l’assureur de faire passer au salarié une visite devant le médecin expert désigné par la compagnie. On peut, ainsi, par exemple, voir fleurir dans les contrats d’assurance, des expressions de type « en cas d’incapacité reconnue par l’assureur, celui-ci garantit le versement d’indemnités journalières complétant les prestations servies par la sécurité sociale ».
Là où les partenaires sociaux, dans le libellé de la convention collective, ont fait de l’indemnisation de la sécurité sociale la condition fondamentale et unique du versement du complément journalier au titre de la prévoyance, le contrat conclu avec l’assurance en fait une condition nécessaire mais non exclusive au versement de la garantie.
Ainsi, il est absolument commun de voir les compagnies d’assurance cesser d’indemniser, après un certain nombre de mois, un salarié dont l’arrêt maladie se prolonge, motif étant pris du fait qu’après visite devant le médecin expert de la compagnie, cette autorité médicale a, par exemple, conclu à l’état consolidé de la maladie de l’intéressé.
Postérieurement à cette visite médicale et aux conclusions en découlant — et à condition, naturellement, que la contre-expertise proposée ne démente pas les conclusions du premier médecin expert —, les assurances cessent définitivement de verser aux salariés les indemnités complémentaires. Les salariés qui continuent à faire l’objet d’arrêt maladie de par leur médecin traitant et à les transmettre à l’assurance ne sont, dès lors, plus indemnisés.
Pareil descriptif qui est topique des problématiques que les praticiens constatent journellement pose nombre de questions quant à la légitimité de telles postures en regard du droit social et interpellent sur la compatibilité des règles du droit social avec celles relevant du droit des assurances.
Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit nullement d’un propos critique envers les assurances mais, plus simplement, de l’énoncé d’une situation très classique, presque banale, qui semble, au surplus, ne pas avoir alimenté le contentieux et dont, pourtant, la multiplicité des acteurs s’y agrégeant, la nature même des enjeux et la transversalité des domaines juridiques empruntés qui nous font cheminer du droit social au droit des assurances, nécessitent que le juriste travailliste s’efforce de poser quelques jalons pour une tentative de résolution.
3 L’UTILE PRÉÉMINENCE DES RÈGLES EMPRUNTÉES AU DROIT SOCIAL
La prééminence des règles empruntées au droit social se justifie, en l’occurrence de trois façons :
- d’abord, et comme nous l’avons vu, par l’extrême particularisme de ce type de contrat, particularisme exacerbé par l’ensemble des garanties découlant de la loi Évin ;
- ensuite, par l’article 1158 du Code civil qui érige en principe que la règle d’interprétation est choisie en fonction de la matière qui sied au contrat. Or, la madère objet du contrat relève incontestablement du domaine social. M. Sargos, président de la chambre sociale de la Cour de cassation, ne nous rappelle-t-il pas que « la clarté et la précision sont des facteurs qui sont favorables à la prévisibilité de ses engagements par l’assureur qui doit garder à l’esprit cette norme d’interprétation téléologique que nous évoquions au début de cet exposé : l’indéniable finalité protectrice des assurés de la loi Evin conduira inévitablement les Tribunaux à une interprétation qui leur sera favorable » (JCP, n°47, 21 nov. 2001, 1-363, « Le droit au maintien des prestations et des garanties de l’assurance de prévoyance collective ») ;
- enfin, par le fait même que les salariés n’ont qu’une position de bénéficiaires du contrat d’assurance et qu’ils ne peuvent être captifs de dispositions contractuelles et de pratiques dépréciatrices, à certains égards, de leurs droits, fussent-elles érigées dans le cadre de dispositions empruntées au droit des assurances.
La possibilité que s’arrogent contractuellement les assurances de cesser, irrémédiablement, de verser les compléments aux indemnités journalières de sécurité sociale en fonction des résultats de la visite qu’elles font passer aux salariés assurés devant le médecin expert de la compagnie nous paraît devoir être battue en brèche par les principes gouvernant le droit social dont la vocation protectrice doit primer, et ce dans l’intérêt de l’employeur et des salariés qui cofinancent le régime. Il ne peut être admis, au plan du droit du travail, qu’une assurance cesse de verser les compléments alors même que le médecin traitant du salarié continue à établir des arrêts maladie bien après l’avis du médecin expert de l’assurance selon lequel l’état du salarié est dit consolidé.
Il ne doit pas être perdu de vue que les assureurs viennent dans de tels régimes en relais de l’employeur dans la couverture du risque maladie et qu’à ce titre, ils « héritent » des droits et obligations de l’employeur sans pouvoir nullement les excéder ou les transgresser au titre d’une prétendue indépendance du contrat d’assurance.
L’attraction sociale de ce type de contrat est absolument incontestable et fondamentale. Elle irradie l’ensemble du contrat d’assurance.
La portée limitée de la contre-visite
Or, au terme d’une jurisprudence constante, la chambre sociale de la Cour de cassation ne cesse de restreindre la portée limitée des contre-visites médicales diligentées par l’employeur envers un salarié malade indemnisé en complément de la sécurité sociale : « l’avis émis par le médecin contrôleur lors du contrôle médical de l’arrêt de travail n’est valable qu’à la date où il a été émis et ne peut disposer pour l’avenir. Lorsque postérieurement à ce contrôle, une prolongation d’arrêt de travail est prescrite au salarié par le médecin traitant, elle rétablit l’intéressé dans son droit aux indemnités complémentaires de maladie et il incombe à l’employeur, s’il lui conteste ce droit, de faire procéder à un nouveau contrôle médical » (notamment : Cass. soc., 28 janv. 1998, SA Pathé Clichy/Arnold ; Semaine sociale Lamy, n° 878, p. 12).
Cela signifie que l’effet d’une contre-visite démentant la légitimité d’un arrêt de travail prescrit par le médecin traitant est annihilé par la prescription postérieure opérée par le médecin traitant d’un nouvel arrêt de travail ou d’une prolongation d’arrêt de travail. Cela démontre combien la chambre sociale est éminemment restrictive quant aux effets des contre-visites médicales diligentées par l’employeur.
La fausse indépendance du contrat d’assurance
L’assurance à qui l’entreprise délègue la gestion de la couverture maladie ne peut, nous semble-t-il, se conférer plus de droits que l’employeur — son délégant — et s’arroger de façon contractuelle, au nom de la prétendue indépendance du contrat d’assurance, la possibilité de tirer des conclusions rédhibitoires des résultats de la visite médicale passée devant son médecin expert et de ne plus indemniser le salarié, en dépit du fait que celui-ci continue à lui adresser de nouveaux arrêts de travail émanant de son médecin traitant.
En effet, il ne serait pas d’un moindre paradoxe qu’un dispositif ayant une visée sociale voit celle-ci être, en partie et de façon circonstancielle, battue en brèche du fait de sa gestion par une assurance et du droit contractuel exorbitant que s’arroge celle-ci de faire cesser sa garantie au vu des conclusions de son médecin expert, là même où l’employeur qui commettrait un médecin contrôleur ne pourrait en tirer les mêmes conclusions définitives.
Il ne saurait être question de laisser s’épanouir une conception polysémique du contrat d’assurance destinée à la couverture maladie là où on doit lui maintenir une vocation univoque et toute entière placée sous l’égide des avancées du droit social.
Il est des réalités, des pratiques qui vous ramènent à des principes juridiques intangibles qu’il convient de rappeler et pourquoi pas de « marteler ».