Les ambiguïtés du contrôle URSSAF

« Les ambiguïtés du contrôle URSSAF » semaine sociale Lamy du 9 avril 2002 n° 1101

Les idées, opinions et analyses développées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs et en aucun cas la rédaction de la Semaine sociale Lamy.

Cotisations sociales. Les ambiguïtés du contrôle Urssaf

Maîtres Philippe et Louis Boudias, avocats au barreau de Paris,
SCP Simon Wurmser Schwach Boudias Frezard, groupe JSA (Le Groupement européen d’intérêt économique « Juristes sociaux associés » regroupe 28 cabinets indépendants d’avocats-conseils en droit social)

Délicate situation que celle du cotisant, pris en tenaille entre les positions du législateur, de la jurisprudence et de l’Acoss.

Le cotisant et l’Urssaf sont devenus aujourd’hui, si l’on ne cherche pas à farder la réalité, des ennemis jurés. Sans instiller des éléments psychologiques inopportuns ou inadéquats, il est néanmoins légitime de s’interroger : cette situation est-elle intrinsèquement liée à la position d’agent contrôleur que tient l’Urssaf vis-à-vis des entreprises ou procède-t-elle d’une dégénérescence des relations entre le cotisant et l’Urssaf ?

La primauté serait facilement accordée à la première de ces propositions d’explication.

Cependant, il n’est pas possible de s’accommoder d’un tel constat, confinant au simplisme, à la seule observation des graves défaillances des différents acteurs chargés d’encadrer le volet juridique du contrôle Urssaf.

Quelques exemples illustreront utilement les incohérences et les rapports de force existant entre le législateur, les tribunaux et l’Acoss, au détriment du cotisant.

Lorsque le pouvoir normatif du législateur gêne l’Acoss

Sous le poids de la jurisprudence de la Cour de cassation, faisant naître l’affirmation des droits du cotisant en cas de contrôle Urssaf, une réforme de la législation apparaissait nécessaire.

Cette réforme au demeurant précipitée et incomplète est intervenue à travers un décret n° 99-434 du 28 mai 1999 (JO 30 mai).

Un des axes essentiels de cette réforme est de prémunir le cotisant contre d’éventuels changements de position de l’Urssaf.

Est ainsi prescrit à l’Urssaf, lors de la remise de ses observations de fin de contrôle au cotisant, l’obligation de donner une liste des documents consultés (CSS, art. R. 243-59 nouv.).

En articulation avec ce principe est posé un autre principe selon lequel l’absence d’observations de l’Urssaf suite à contrôle vaut acceptation tacite de sa part concernant les pratiques ayant fait l’objet de la procédure de contrôle (CSS, art. R. 243-59 nouv.).

Le schéma ainsi tracé pour sécuriser le cotisant et lui apporter de nouvelles garanties apparaît parfaitement défini.

Cela est sans compter avec l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), dont la vocation est notamment de promouvoir les orientations en matière de recouvrement et de contrôle des cotisants.

À ce titre, l’Acoss définit bien souvent la doctrine de l’Urssaf auprès de laquelle elle officialise ses positions par voie de circulaires. Or, il est surprenant de constater que l’Acoss dans sa circulaire n° 2000-021 du 17 février 2000, cherchant à tirer parti des lacunes laissées par le décret n° 99-43 du 29 mai 1999, précise que « l’absence d’observations par l’Inspecteur du recouvrement ne saurait être constitutive de l’accord tacite, l’organisme étant lui-même susceptible de désapprouver les dites pratiques par décision administrative adressée au cotisant à une date postérieure à la vérification ».

Subtile distinction, d’autant que le décret ne fixe aucun délai limite à l’Urssaf pour fixer sa position.

En réalité, l’Acoss promeut délibérément un mécanisme de contournement de l’effort de sécurisation du cotisant poursuivi par le décret susvisé.

Lorsque la jurisprudence embarrasse l’Acoss

La législation actuelle n’autorise l’Urssaf à recourir à un mode de taxation forfaitaire que dans le seul cas de déficience du cotisant dans la tenue de sa comptabilité (CSS, art. R. 242-5). En dehors de cette circonstance marginale, l’Urssaf doit donc procéder à un contrôle sur pièces exhaustif et détaillé, ce qui nécessite, dans le cas d’entreprises importantes, moyens et temps.

C’est pourquoi l’Urssaf ne cesse de tenter d’imposer au cotisant et de promouvoir auprès du législateur le contrôle par voie de sondage.

L’Urssaf défend ce mode opératoire avec acharnement, soutenant qu’il a toutes les caractéristiques et garanties d’un travail scientifique.

La jurisprudence a jusque-là, et de la façon la plus ferme, invalidé cette méthodologie, considérant qu’elle constituait la mise en œuvre abusive d’une taxation forfaitaire puisque intervenant en dehors de toute défaillance du cotisant (Cass. soc., 21 janv. 1993, n° 90-17.460 ; Cass. soc., 23 nov. 2000, n° 98-22.035 ; plus récemment, Cass. soc., 24 oct. 2002, n° 01-20.699).

L’Acoss ne cesse, quant à elle, d’encourager la pratique du contrôle par voie de sondage. Ainsi, dans sa lettre circulaire n° 1999-022 du 16 juillet 1999, l’Acoss évoque officiellement le mode de contrôle par sondage, feignant de tenir celui-ci pour parfaitement licite. L’Acoss joue de son rang pour obtenir un cadre légal au contrôle par voie de sondage, quitte, pour ce faire, à promouvoir auprès des Urssaf un dispositif toujours illégal.

Lorsque la jurisprudence contrarie le législateur

Dans le cas d’entreprises ayant plusieurs établissements relevant de différentes Urssaf, il peut être tentant, en cas de contrôle global, d’opérer des délégations de pouvoir répartissant mieux la charge de travail ou mettant en commun le résultat d’opérations de contrôle.

Les seuls textes de références sur le sujet consacrent pourtant la compétence territoriale de chaque Urssaf et notamment les articles L. 213-1 et D. 213-1 du Code de la sécurité sociale.

La Cour de cassation elle-même a constamment, au vu des textes susvisés, manifesté son attachement à la compétence territoriale des Urssaf (Cass. soc., 23 nov. 2000, précité ; Cass. soc., 31 oct. 2000, le 99-13.322). Précédemment, elle avait d’ailleurs clairement statué, en considérant que, « les Urssaf constituant autant de personnes morales distinctes, la décision prise par l’une d’entre elles n’engage pas les autres » (Cass. soc., 29 juin 1995).

Ces principes directeurs étaient fort embarrassants pour les Urssaf qui déjà, en certains cas, avaient institué entre elles des délégations.

Le législateur a donc fini par céder. Et c’est ainsi que l’article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (L. n° 2002-1257, 23 déc. 2000, JO 24 déc.), tout en renvoyant à un décret pour les modalités pratiques, ouvre la possibilité aux Urssaf de se déléguer leurs compétences.

Les textes et la jurisprudence contrarient les Urssaf. Qu’à cela ne tienne, changeons la loi !

Lorsque la jurisprudence dérive à son tour

La jurisprudence de la Cour de cassation, qui, semble-t-il, a été inspirée ces dernières années par le souci d’apporter des garanties au cotisant, vient à son tour de montrer les limites de sa cohérence.

Afin de stigmatiser ce que l’on peut dénommer une véritable hérésie, il convient de préciser, liminairement, que l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale désigne comme fait générateur des cotisations le versement de sommes à caractère de salaire.

Seule dérogation : l’article R. 242-1, alinéa 6, du Code de la sécurité sociale créant le principe d’une assiette minimale pour les cotisations constituées du smic et de primes s’y ajoutant en vertu d’une disposition législative ou réglementaire.

En dehors de ce cas, l’Urssaf ne peut appeler de cotisations que sur des sommes versées.

L’Urssaf n’est, en effet, pas juge des relations de travail et les conseils de prud’hommes sont là pour trancher ce type de litiges.

Or, la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 janvier 2002 et statuant à propos d’un contrôle Urssaf, arroge ce pouvoir à l’Urssaf à propos de la qualification du motif d’un contrat à durée déterminée : « une société fabricant des produits glacés et connaissant seulement un accroissement périodique de production n’a pas d’activité saisonnière de sorte qu’elle est tenue de verser aux salariés concernés une indemnité de précarité rendant exigibles les cotisations recouvrées par l’Urssaf » (Cass. soc., 17 janv. 2002, n° 00-14.709). L’Urssaf était donc fondée à opérer un redressement en raison des indemnités non versées à ces salariés sous contrat à durée déterminée.

Avec un commentateur de cet arrêt, on peut remarquer avec étonnement le pouvoir ici reconnu aux Urssaf (C. Roy-Loustaunau, Dr. soc. 2002, p. 769).

En effet, sans aucun fondement textuel, sans qu’aucun litige prud’homal n’existe entre l’employeur et les salariés concernés, l’Urssaf se voit autoriser à être juge du contrat de travail.

Simple maladresse, arrêt d’espèce ?

En tout état de cause, voilà un nouveau sujet de préoccupation qui s’élève pour le cotisant.

D’autres exemples auraient pu illustrer ce qu’il faut bien qualifier de « rapports d’influence » entre les différents acteurs du contrôle Urssaf.

Le cotisant, dans ce contexte, ne peut qu’être irrité et nous ne pouvons que penser avec lui qu’il est bien souvent maltraité et livré avec le soutien de l’Acoss aux méthodes et pratiques trop souvent exorbitantes et illicites de l’Urssaf !