Du bon usage des clauses de garantie indemnitaire ou de stabilité d’emploi
« Du bon usage des clauses de garantie indemnitaire ou de stabilité d’emploi » Semaine sociale Lamy du 6 février 1995 n ° 730
Philippe BOUDIAS, Avocat G.E.I.E. Juristes Sociaux Associés
Le G.E.I.E J.S.A. regroupe 28 cabinets indépendants d’avocats-conseils en droit social.
A l’exception d’une faute grave ou d’un cas de force majeure, les clauses de stabilité d’emploi restreignent partiellement le droit de l’employeur de rompre le contrat de travail.
Il est fréquent que des cadres qui sont conduits, pour faire évoluer leur carrière, à passer au service d’une nouvelle entreprise, cherchent à s’assurer le bénéfice d’un certain nombre de garanties contractuelles.
Ceci est significatif de ce que le droit, trop longtemps perçu par les non-initiés comme une contrainte ou l’expression d’un formalisme tatillon, est désormais appréhendé par tout individu, acteur de la vie économique, comme un instrument concourant à la protection de ses intérêts.
N’exige-t-on pas d’un juriste chargé de la rédaction d’un document contractuel qu’il soit à même d’appréhender les problématiques éventuelles qui s’attacheront à la vie ou à la rupture du contrat ?
Cet exercice de prospective – cette recherche d’une certaine prévisibilité concernant l’avenir des relations contractuelles – semble désormais avoir gagné la majorité des esprits.
Et si, jusqu’alors seule une légitimité était reconnue à la demande de garanties contractuelles formulées par une minorité de cadres ou, plus exactement une élite, cette situation a depuis largement évolué.
De plus en plus nombreux sont les cadres qui sont portés à solliciter des garanties (Les Échos Management du 8 février 1994).
Deux raisons président à cette évolution.
1. La crise économique a affecté, pour la première fois, le personnel d’encadrement, et ceci quel que soit son niveau de compétence.
Les difficultés de reclassement sont, par ailleurs, devenues également une réalité pour ces salariés.
L’assurance de disposer de garanties contractuelles est alors de nature à apaiser un certain nombre d’inquiétudes.
2. Le recrutement de cadres s’opère, le plus souvent, par le biais de cabinets spécialisés qui sont mandatés pour prendre contact avec des salariés en poste dont le profil et l’expérience présentent un intérêt déterminant pour leur client.
Cette configuration met en situation le cadre de subordonner sa venue dans l’entreprise à certaines conditions. Une véritable négociation financière s’ouvre alors. Les entreprises conduites dans ce contexte à négocier les garanties contractuelles les plus diverses doivent savoir ce qu’impliqueront, sur le plan juridique, leurs initiatives, notamment en ce qui concerne les clauses de garantie indemnitaire et les clauses de stabilité d’emploi.
Clauses de garantie indemnitaire
Le dispositif d’une telle clause consiste à prévoir qu’il sera alloué au salarié, en cas de rupture de son contrat de travail à l’initiative de l’employeur, une indemnité dont le montant est soit prédéterminé, soit exprimé par référence à un certain nombre de mois de rémunération.
L’extrême simplicité de ce mécanisme, s’il suscite le plus souvent une rédaction dépouillée de la clause contractuelle qui le traduit, est, par ailleurs, peu propice à faire naître chez l’une ou l’autre des. parties contractantes des interrogations sur le régime et la portée réelle d’une telle garantie. Tout semble, à leurs yeux, être effectivement consigné dans la traduction contractuelle de la garantie telle que définie après négociation.
Le temps des surprises n’est pas toujours long à venir !
• Rattachement de ce type de clause au régime des clauses pénales
La clause pénale régie par l’article 1152 du Code civil est celle par laquelle deux parties conviennent par avance de la somme qui interviendra à titre de dédommagement pour le cas où l’un des engagements contractés ne serait pas respecté.
Et la spécialité de la clause pénale réside dans le fait que le juge se voit confier le pouvoir de modérer ou de majorer le montant des dommages et intérêts prévus contractuellement (sur les clauses pénales en droit du travail, Isabelle Chevalier, Semaine Sociale Lamy n° 662).
Jusqu’à présent, la Cour de cassation fait obéir les clauses de garantie indemnitaire au régime des clauses pénales (Cass. soc. 18 décembre 1979, – Bull. civ. V, n° 1009 ; Cass. soc. 9 novembre 1983, Bull. civ. V, n° 547; Cass. soc. 2 juillet 1984, Bull. civ. V, n° 279).
Les juridictions du fond développent une analyse similaire (C.A. Paris 23 avril 1992, Fédération française de motocyclisme c/Peyronnet ; C.A. Paris 18 mai 1993, Teresa coiffure c/Guinard ; C.A. Versailles 11 janvier 1994, Tayo international c/Ferrari ; C.A. Paris 25 février 1994, Salaisons Imbert c/Vauclel ; C.A. Aix-en-Provence 17 mai 1994, Roux c/Ets Roux).
Le salarié et l’employeur, le plus souvent seulement au moment de l’établissement du solde de compte du salarié à la suite d’un licenciement, découvrent alors la véritable nature de la garantie prévue contractuellement.
Le salarié qui pensait que la garantie qu’il avait obtenue était inaltérable connaît une certaine déception.
L’entreprise qui, eu égard au parcours du salarié à son service, juge, a posteriori, exorbitante la garantie concédée, retrouve des raisons d’espérer pouvoir se dégager d’une charge qu’elle estime injuste d’avoir à assumer.
Les litiges qui ont pris naissance dans un tel contexte nous enseignent que les tribunaux sont parfois amenés à décider d’une réduction de l’indemnisation du salarié pour des considérations qui tiennent à la durée très courte de la prestation de travail fournie (Cass. soc. 23 mars 1989, Bonrepos c/Financière industrielle Gaz et eaux), à la durée de la période de chômage consécutive à la cessation des relations de travail (Cass. soc. 7 mars 1984, Revillo Frères c/Perrier de Larson), au niveau de la rémunération perçue par le salarié dans son nouvel emploi postérieur à la rupture, ou encore au motif même du licenciement (incompétence avérée).
Le pouvoir de modération de l’indemnité est parfois exercé par le juge de façon radicale : une indemnité contractuelle de licenciement correspondant à deux années de salaire a pu être réduite à 28 000 F, soit une somme très inférieure (Cass. soc. 2 juillet 1984, Bull. civ. V, n° 279).
Ceci étant, et au-delà de ce simple panorama, on peut s’interroger sur le caractère durable de ce rattachement des garanties indemnitaires à l’article 1152 du Code civil.
Il faut ainsi relever, au niveau jurisprudentiel, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 17 avril 1991 (Sté de travaux électriques c/Viard), qui bien que ne constituant pas un revirement de jurisprudence, témoigne d’une certaine évolution comme se sont plus à le relever certains commentateurs (Cahiers sociaux du Barreau de Paris, n° 34-A 55).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation pose, en effet, comme principe à propos d’une clause de garantie indemnitaire, que « le contrat fait la loi entre les parties, quelles que soient les circonstances postérieures à sa conclusion ».
Une telle formulation, même si le problème n’était pas directement posé, peut-elle encore laisser prospérer l’analyse qui fondait les juges à faire application de l’article 1152 du Code civil pour réduire, le cas échéant, l’indemnité due au salarié ?
Il serait prématuré de se prononcer sur ce point, d’autant que la Cour de cassation, à notre connaissance, n’a pas eu l’occasion de prendre une position de principe.
Et sur le plan doctrinal, les plus éminents auteurs ne s’accordent pas sur l’analyse qui
doit être faite quant à la nature de l’indemnité contractuelle de licenciement (en faveur d’un rapprochement avec la clause pénale, H. Blaise, Droit social 1980, p. 365, contra, D. Mazeaud, Droit social 1994, p. 343).
Mais, comme le souligne le Professeur Mazeaud, toute discussion à ce sujet doit, avant tout, prendre en compte la définition même de la clause pénale.
La caractéristique essentielle d’une clause pénale est qu’elle constitue une sanction du non-respect par l’une des parties de ses obligations.
Retrouve-t-on la même inspiration dans l’indemnité contractuelle garantie de licenciement ?
Il ne peut, nous semble-t-il, y avoir de réponse à cette question sans s’intéresser à la rédaction de ces clauses.
Il faut alors faire référence à la variante la plus fréquente que l’on rencontre à ce niveau.
S’il arrive que le contrat de travail octroie au salarié une indemnité sans autre précision sur l’application dans le temps de cette garantie, il est aussi fréquent qu’il soit prévu que cette garantie ne trouvera application que pour le cas où la société serait amenée à rompre le contrat du salarié, par exemple, dans l’année ou les deux années suivant son embauche.
Dans la situation où l’application de la garantie indemnitaire n’est pas limitée dans le temps, la référence au régime des clauses pénales semble critiquable (analyse D. Mazeaud, cité plus haut).
En effet, en accordant ce type de garantie, l’employeur, non seulement n’obère pas pour autant son droit de licencier, mais encore n’a pas donné à l’attribution de l’indemnité contractuelle de licenciement la portée de l’engagement d’une durée minimum d’emploi.
Il ne peut, par conséquent, être considéré que l’indemnité contractuelle répond à la rupture d’un engagement.
Il n’en va pas de même dans l’autre cas.
Dans cette autre hypothèse, l’indemnité contractuelle est connectée avec ce qui apparaît bien être un engagement de l’employeur de pérenniser sa relation de travail sur une durée précise (sans qu’il s’agisse d’un véritable engagement de stabilité d’emploi).
L’indemnité ne fait alors que réparer le préjudice résultant de la décision de l’employeur de ne pas maintenir la relation de travail sur la durée prévue.
Un rattachement au régime des clauses pénales apparaît alors moins osé.
• Portée selon la nature du licenciement
Nous l’avons vu, les clauses garantissant contractuellement à un salarié une indemnité ne sont pas nécessairement très explicites.
Il peut être prévu que certaines situations de rupture à l’initiative de l’employeur n’emportent pas le bénéfice de l’indemnité contractuelle.
Mais il arrive fréquemment que soit énoncé simplement le cas d’un licenciement « pour quelque motif que ce soit ».
D’où la naissance d’un certain nombre de problématiques.
1. En cas de licenciement pour faute grave ou lourde. La jurisprudence, pour le cas de faute grave, admet l’application de la garantie indemnitaire contractuelle si la rédaction de la clause est générale (Cass. soc. 4 juillet 1990, Bull. civ. V, n° 347).
Elle juge qu’une telle disposition ne contrarie pas le pouvoir de l’employeur de mettre un terme à ses relations contractuelles.
Dans le cas d’une faute lourde, il n’en est pas de même.
Ainsi, la Cour d’appel de Douai (18 décembre 1992, Dujanlin c/S.A. H.L.M. Nord Artois), considère alors que, dans cette circonstance, le droit de rupture unilatérale du contrat de travail dont dispose l’employeur et la garantie indemnitaire ne peuvent s’accorder.
Permettre à ladite garantie indemnitaire de s’appliquer en cas de faute lourde conférerait au salarié une certaine immunité heurtant directement le pouvoir de l’employeur de licencier, et la possibilité de s’affranchir de ses obligations contractuelles sans que l’employeur soit dispensé, corrélativement, des siennes.
2. En cas de licenciement économique. Si une entreprise se trouve dans une situation difficile la conduisant à procéder à un licenciement, il a été soutenu que cela devait permettre, lors du licenciement économique du salarié bénéficiaire d’une indemnité contractuelle, de neutraliser cette garantie.
La jurisprudence se refuse à avaliser cette position en précisant de façon très claire que l’engagement de la société devait être examiné à la date à laquelle celui-ci avait été pris (Cass. soc. 17 avril 1991, Sté de travaux électriques c/Viard).
Clauses de stabilité d’emploi
L’insertion de ce type de clause dans le champ contractuel est motivée, le plus souvent, par la volonté d’un salarié auquel est confiée une mission de redressement d’un secteur d’une entreprise de s’assurer qu’il disposera du temps qu’il juge nécessaire pour obtenir des résultats et, ainsi, s’assurer une certaine sérénité indispensable à un travail efficace.
La revendication d’une telle garantie traduit dans d’autres situations une volonté pour le salarié de renforcer son statut et d’échapper aux vicissitudes de la relation de travail, ou encore le souci pour les cadres les plus avancés en âge de favoriser la jonction, dans les meilleures conditions, avec l’âge de la retraite.
Au terme des dispositions figurant alors dans le contrat de travail du salarié, ce dernier se voit
assurer d’une stabilité d’emploi pour une durée certes limitée qui, parfois, n’en est pas moins très conséquente (ex : clause de garantie d’emploi de 10 ans ; C.A. Rouen 24 juin 1993, Formager c/Lemoine).
Le caractère substantiel d’un tel avantage fait, par ailleurs, très souvent, que le salarié ne peut pas obtenir qu’une clause de garantie indemnitaire intervienne en complément ou en relais.
• Compatibilité de ce type d’engagement avec les principes gouvernant la rupture du contrat à durée indéterminée
Il est très clairement admis que l’insertion d’une clause de stabilité d’emploi dans le contrat de travail est parfaitement licite et n’est pas susceptible de remettre en cause la nature du contrat.
L’employeur peut ainsi décider d’aliéner partiellement son droit à rompre le contrat de travail du salarié.
Cette affirmation semble définitivement acquise sur le plan jurisprudentiel (Cass. soc. 16 mai 1990, Groupe service transports c/Cmnpourcy ; Cass. SOC. 7 novembre 1990, Bull. civ. V, IP 524).
• Consistance de cette garantie
Les employeurs n’ont pas alors toujours suffisamment conscience des contraintes qu’ils mettent à leur charge en garantissant à un salarié la stabilité de son emploi sur une certaine période.
Il doit, en effet, être rappelé qu’en souscrivant un tel engagement, l’employeur s’interdit de rompre le contrat de travail du salarié sur la période en cause, en dehors d’un cas de faute grave ou lourde ou d’un cas de force majeure.
L’employeur ne pourra, de ce fait, pas licencier à titre économique le salarié si la situation l’impose, sans se placer en contradiction avec la garantie octroyée.
Il ne pourra, de même, mettre à la retraite le salarié si, à la date à laquelle il peut procéder à cette mise à la retraite, le salarié continue à bénéficier de la garantie de son emploi (Cass. soc. 3 octobre 1991, Banque Sudameris c/Demary).
Notons, par ailleurs, qu’à défaut de précision le salarié conserve, pour sa part, la possibilité de démissionner en cours d’application de la clause (J. Savatier, Droit social 1991, p. 413).
Ces quelques éléments militent en faveur d’un usage très circonstancié de ce type de clauses contractuelles, ce qui n’est pas forcément toujours le cas actuellement.
Par ailleurs, il convient de relever qu’indépendamment des deux types de garanties examinés, d’autres dispositifs sont parfois retenus et notamment la reprise contractuelle de l’ancienneté qu’avait acquise le salarié au service d’un précédent employeur.